mardi 28 février 2012

ABBAYE DE SAVIGNY II: SAINT VITAL

SAINT VITAL DE MORTAIN, fondateur de l'abbaye de     SAVIGNY (1050-1122).



          La première " Vie du bienheureux  Vital " est une oeuvre en latin écrite par Etienne de Fougères,  ecclésiastique et poète auteur du "Livre des manières", chanoine de la collégiale Saint-Evroult de Mortain avant d'être évêque de Rennes  de 1168 à  1178 ; lui-même  fréquentait beaucoup Savigny . Sur l'encouragement de Jocelin, abbé du monastère de Savigny, il  a consenti à écrire la " Vita  beati Vitalis " sans déroger aux codes qu'implique le genre hagiographique destiné à édifier et porté au merveilleux. Il  s'est  appuyé  sur des témoignages oraux et  sur le  Rouleau mortuaire de saint Vital (1). La vie de saint Vital   et celle  des saints de Savigny ont  inspiré  beaucoup de biographes ; au XVIIIème, dom Claude Auvry,  prieur  de Savigny, a écrit une "Histoire de la Congrégation de Savigny" et compilé  plusieurs récits traditionnels sur saint Vital ; ce manuscrit original, par ailleurs imprimé, est  toujours conservé à la médiathèque de Fougères (Ms VII). Ces récits de vie greffés sur  Etienne de Fougères et sur le Rouleau mortuaire de saint Vital, relus, revisités  par Hippolyte Sauvage "Saint Vital et l'abbaye de Savigny "en 1895 et par de nombreux chercheurs plus récemment composent un  long palimpseste  d'où  les zones d'ombre n'ont pas totalement disparu.



 Eglise Saint-Léonard, Fougères: saint Bernard de Tiron, qui fut ermite  dans les forêts de Craon, Fougères et Savigny,  saint Vital en abbé - étonnamment jeune , Julien Maunoir et  saint Hamon, moine de  Savigny originaire de Saint-Etienne-en-Coglès. Ateliers Lorin,1959.


      Vital est né vers 1050 à Tierceville près de Bayeux  dans une famille noble de moyenne fortune ; en  raison de ses qualités intellectuelles et de ses dispositions  spirituelles, on l'envoie étudier à l'université de Liège. Remarqué pour sa piété, il a été pressenti pour la prêtrise par l'évêque de Bayeux, Odon de Conteville. Devenu prêtre, il est appelé par le comte Robert de Mortain qui souhaite en faire son chapelain, en même temps il est chanoine de la collégiale Saint-Evroult.

 LE CHOIX DE LA VIE EREMITIQUE

        En 1093 , après  plusieurs années passées à  la cour du comte de Mortain, Vital décide de quitter le monde et de distribuer ses biens pour se retirer en ermite  dans les rochers du Neufbourg,  près  de la cité .
       De là, il rejoint les ermites de la forêt de Craon, devenue le refuge de nombreux ascètes à tel point qu'on l'a appelée la "Thébaïde du Maine". Robert d'Arbrissel, futur fondateur des abbayes de la Roë et de Fontevraud y  rayonnait déjà par la richesse de sa prédication, de même Raoul de la Futaie, fondateur de l'abbaye de Saint-Sulpice-la-Forêt près de Rennes. Bernard d'Abbeville, plus connu sous le nom de Bernard de Tiron ne tarde pas à les rejoindre.

  L'EXIGENCE EVANGELIQUE A LA LETTRE

 Le ministère de la prédication: moine enseignant,
 maître-autel, église de Savigny.
        En 1095, le pape Urbain II décide la première croisade  en vue d'une reconquête de la Terre Sainte et demande à Robert d'Arbrissel de prêcher dans l'Ouest pour une véritable conversion et pour le succès de l'entreprise ; Robert d'Arbrissel est secondé par Vital dont les talents d'orateur sont connus ; prédicateur itinérant infatigable, il porte la bonne parole  jusqu'en Angleterre.
 D'après Dom Auvry, il a participé en 1102 au Concile de Londres  réuni par saint Anselme, archevêque de Cantorbéry dans le cadre de la réforme grégorienne : "pour rétablir la pureté des moeurs parmi les fidèles  et dans le clergé".   Son message est vivant, incisif et intransigeant : "il était incapable de déguiser la vérité ni par la crainte  ni par la faveur des puissants" écrit Dom  Claude Auvry.

   A son retour, il souhaite s'isoler dans la forêt de Fougères et s'impose un mode de vie très austère. Son aura attire  d'autres ermites : parmi eux se trouve  Bernard de Tiron  qui  choisit le site  depuis lors appelé le " Chênedet" et lui-aussi est suivi de nombreux  adeptes. Le  comte de Fougères, Raoul Ier, craignant pour la tranquillité de ses terrains de chasse favoris, demande  à Vital de  s'installer avec sa petite communauté  d'ascètes sur  une partie de ses possessions de la forêt de Savigny.

 Eglise du Neufbourg près de Mortain : saint Vital et sainte Adeline font l'offrande de leur fondation.

 Entre-temps, Vital aurait fondé en 1105 le monastère de la Sainte Trinité au Neufbourg avec l'aide de sa parente Adeline.  Au cours de ces années, il   implante  un ermitage à Dompierre  en Mantilly dans l'Orne, non loin de Savigny . Plusieurs moines le suivent dans ce vallon retiré de la  forêt de Passais où sinue  une petite rivière, la Colmont. Cet ermitage devient le prieuré de Dompierre en 1119,   quand  le roi d'Angleterre Henri 1er  Beauclerc lui octroie quelques terres.



       








                             
                                   Mantilly : état actuel  de l'ancien prieuré de Dompierre (propriété privée)
        décrit dans l'ouvrage d'Hippolyte Sauvage Saint Vital et l'abbaye de Savigny consultable sur le site de la BNF p.42 en ouvrant le lien qui suit:


           Voilà qu'en 1106 un conflit oppose deux fils de Guillaume le Conquérant : Robert Courteheuse, duc de Normandie et Henri Beauclerc, roi d'Angleterre: Vital s'interpose en vain, il ne peut empêcher la bataille de Tinchebray et, comme il se trouve lié aux  comtes de Mortain, les grands perdants, les  terres attachées à la fondation de la Trinité du Neufbourg lui  sont confisquées.

 L A FONDATION DE L'ABBAYE DE SAVIGNY

 

        Vers 1108, Vital crée un ermitage dans la forêt de Savigny, il est entouré d'une communauté d'ascètes ; la même année,  Bernard de Tiron quitte son ermitage de "Chênedet"  et se dirige vers la forêt de Savigny où il retrouve  Vital et les siens, pour peu de temps car  Bernard s'en va fonder son abbaye à Tiron, près de Nogent-le-Rotrou.
 C'est en 1112 que  le comte de Fougères  Raoul Ier   octroie officiellement   la forêt de Savigny à Vital qui lui en a fait la demande, cette donation est confirmée  par  le duc de Normandie, roi d'Angleterre, Henri Ier Beauclerc en mars 1113. 
 La communauté s'organise et s'agrandit , on construit une première église de bois; Vital   donne à  cette communauté la règle de saint Benoît. A quelques centaines de mètres,  au lieu-dit "la Prise aux Nonnes", on  pose les bases d'une communauté des femmes, à l'image des abbayes doubles fondées par Robert d'Arbrissel.
 Vital mène de front sa fondation et son apostolat: il n'a pas renoncé au ministère de la parole et, en 1119,  il aurait encore participé au concile de Reims .
  Il s'éteint  au prieuré de Dompierre en 1122, pendant l'office. 
 
  Eglise de Savigny-le -Vieux: cénotaphe de saint Vital ( XVII ème ).  L'inscription latine mentionne un miracle
de saint Vital:la résurrection d'un soldat.


 (1): Le Rouleau mortuaire ou obituaire de saint Vital est  constitué de quinze feuilles de  parchemin cousues (9m50x22.5cm) sur lequel on a écrit l'éloge  du fondateur défunt et qui a  voyagé d'une abbaye à l'autre, selon la tradition  de l'époque. Chacune y ajoutait  son hommage et ses prières.

                       Texte et photos : Jean-Paul Gallais.

lundi 20 février 2012

Fougères et la Normandie au Moyen Age

Fougères et la Normandie au Moyen Âge     (début XIe – milieu du XIVe siècle)




Fougères se situe en situation frontalière, en Marche, comme on aurait pu le dire durant le Moyen Âge. Mais derrière le mot de Marche se devinent les idées de guerres, de conflits, de violences... Alors certes le pays de Fougères se situe dans cette zone particulière qu’est la région frontalière, mais on ne peut résumer son histoire à celle d’un avant-poste breton contre le voisin normand.



 La forteresse de Fougères, gravure de Bachelot de La  Pylaie. Archives municipales de Fougères.

Fougères : un château et un lignage breton ?

La vision « martiale » a été développée par Arthur Le Moyne de La Borderie dans sa célèbre Histoire de Bretagne. L’historien vitréen écrivit au début du XXe siècle, qu’au tournant de l’an Mil, « la première nécessité était de créer à l’Est, du côté de la France, contre les attaques de la Normandie, du Maine, de l’Anjou, du Poitou, une solide frontière . » L’importance de la zone frontalière était telle pour l’affirmation et la sûreté de l’État breton qu’il fallait qu’elle soit confiée « à des hommes d’un dévouement à toute épreuve pour la cause de la Bretagne. (...) [Il fallait] des hommes de pur sang breton venus directement de la Bretagne bretonnante  ». Dans ce cadre, le secteur nord-est aurait été confié à un dénommé Main, parfois orthographié Méen, afin de renforcer son caractère breton.
Force est d’admettre que les voisins normands n’hésitèrent pas à traverser à plusieurs reprises les cours d’eau frontaliers pour mener des raids en Bretagne. Ainsi parmi leurs attaques qui ont laissé des traces connaissons-nous celles de 936, 944, 996, 1014, 1064, 1076, 1086, 1166, 1173, 1204... Mais on doit aussi reconnaître qu’il n’y a pas de fréquence plus intense vers l’an Mil qu’à d’autres périodes. Dès lors le château de Fougères ne doit pas sa construction uniquement dans un but de défense de la frontière bretonne. De plus, la finalité d’un château n’était pas exclusivement militaire, bien au contraire. Il devait permettre de dominer un territoire et d’ancrer un lignage en un lieu particulier.
Et justement ce lignage était-il constitué d’ « hommes de pur sang breton » ? Le premier ancêtre mentionné de la famille de Fougères, Main Ier (v. 1000) reste inconnu, de même que son fils, Alfred (v. 1008-1030). Tout au plus savons nous qu’ils gravitaient dans l’entourage ducal breton et qu’ils possédaient des domaines et des droits dans le nord-est du Rennais, particulièrement autour de Louvigné-du-Désert. Le premier seigneur à être qualifié « de Fougères » fut donc Main II au cours de la décennie 1040. Il était marié à Adélaïde, probable fille du comte Eudes, lui-même fils de Geoffroy, duc de Bretagne et d’Havoise, fille de Richard Ier et sœur de Richard II, ducs de Normandie. Ainsi donc, les enfants de Main II et d’Adélaïde avaient des ascendants normands ! Le « pur sang breton » relève des mythes historiographiques.
Le lignage de Fougères se sentait-il au moins breton ?
Là aussi, aucune certitude, il savait où était le cœur de ses domaines, mais de là à en faire des ardents défenseurs de la cause bretonne il y a un pas difficile à franchir. En effet, dès le milieu du XIe siècle, Main II reçut de Guillaume de Normandie, bientôt surnommé le Conquérant, des terres de l’autre côté du Couesnon. Main II était vassal du duc normand pour la terre de Savigny-le-Vieux, dans le sud de la Manche. On sait également que les seigneurs de Fougères, notamment Raoul Ier (v. 1060 – apr. 1113), obtinrent des terres en Angleterre avant 1085. Raoul Ier paraît avoir été trop jeune pour participer à la bataille d’Hastings (14 octobre 1066), ce qui n’exclut pas la participation d’autres membres du lignage.

Fougères en Normandie

On constate que la famille de Fougères a très tôt tissé des liens avec le voisin normand qui n’était pas vu comme une menace. D’ailleurs, Raoul Ier épousa Avicie, fille de Richard, seigneur d’Orbec et de Bienfait.
Au cours du XIIe siècle, la documentation permet de mieux cerner les possessions normandes du lignage de Fougères. Un premier ensemble se situait dans l’Avranchin avec Hudimesnil, Chavoy, Bouillon (paroisse disparue en Jullouville), Verdun (lieu-dit en Saint-Quentin-sur-le-Homme), les Courtils, Carnet, Moidrey (lieu-dit en Pontorson) et Brécey. Le deuxième ensemble de terres et de droits se concentrait dans le Mortainais avec Martigny, le Val de Mortain, Virey, Lapenty, les Loges-Marchis, Villechien, Moulines, Romagny, Savigny-le-Vieux, Le Teilleul et La Mancellière-sur-Vire.


Carte des possessions normandes du lignage de Fougères (XIè-XIIè siècles)

L’abbaye de Savigny symbolise a elle seule les liens entre la famille de Fougères et la Normandie. Elle a été officiellement fondée en 1113 dans la forêt de Savigny, celle-ci servait depuis quelques années de refuge à Vital de Mortain, célèbre ermite de l’Ouest français. Raoul Ier devait l’avoir autorisé à y vivre depuis quelques temps, il officialisa cette permission en 1113 avec l’accord du duc-roi anglo-normand Henri Ier Beauclerc et de l’évêque d’Avranches. Savigny reçut de nombreux dons de la part des seigneurs de Fougères, qui choisirent d’y être inhumés. Les gisants conservant leur mémoire dans la pierre.



L'abbaye de Savigny fut fondée en 1113, il n'en reste plus aujourd'hui que quelques ruines romantiques.( cliché  JPG )



Des temps difficiles

Mais à partir des années 1160, le voisin normand se montra moins conciliant. Le duc était alors Henri II Plantagenêt. Il contrôlait la Normandie, l’Anjou, le Maine et la Touraine et, en 1152, il épousa Aliénor d’Aquitaine, répudiée par Louis VII, roi de France. Ses possessions s’étendaient de l’Écosse aux Pyrénées, excepté la Bretagne qu’il ne chercha pas à envahir mais à contrôler. Les circonstances firent qu’il intervint... La seigneurie de Fougères et son seigneur, Raoul II (1150-1194), furent en première ligne.
Ce dernier participa à une révolte en 1163, trois ans plus tard Henri II Plantagenêt se déplaça en personne pour mâter la rébellion. Le 28 juin 1166, il se trouvait sur les hauteurs de Fougères et dès le 14 juillet le château fut pris. L’abbé du Mont-Saint-Michel, Robert de Torigni, présent, nota lapidairement que le château « fut assiégé, pris et détruit de fond en comble ». Plus qu’une improbable tour dont d’aucuns ont cru reconnaître la trace dans la troisième enceinte, ce fut plus vraisemblablement la résidence (aula) de Raoul qui fut rasée. En 1173, ce dernier se révolta une nouvelle fois et subit le même affront, à ceci près que la bataille se déroula à Dol. En 1189, le seigneur de Fougères participa à une énième insurrection contre le vieux roi Henri II, qui mourut alors. La situation frontalière alla en s’apaisant, malgré les menaces que fit peser Jean sans Terre après la perte du duché normand en 1204.



Cette aula (salle de réception ) date du XII ème siècle : est-ce celle qui fut rasée en 1166?
 ( cliché J. Bachelier )


Une frontière franchissable à souhait

Mais durant toute cette période troublée, les relations en Fougères et la Normandie se poursuivirent. Des Normands s’installèrent, nous en avons la trace dès le milieu du XIIe siècle avec l’orfèvre Robert de Quettehou, puis en 1348 parmi une liste de bourgeois fougerais sont cités Gilot Normant, Michel Lenormant et Richard le Normant.
Les marchands et les commerçants traversaient une frontière qui n’en était pas vraiment une, ils fréquentaient les foires normandes de Mortain, Tinchebray, Saint-Hilaire, Buais, et peut-être jusqu’à Saint-Pois, Gathemo, Le Teilleul et du côté breton ils pouvaient se rendre à celles de Fougères, Louvigné-du-Désert, Valaines (au Ferré), Saint-Georges-de-Reintembault et Antrain. Thomas de Ferrière, bourgeois de Fougères, symbolise ces échanges. En 1293, il acheta avec un associé une maison dans le bourg de Rillé, il vendait des vins gascons et angevins, et à Saint-James-de-Beuvron, Thomas pouvait commercer en toute liberté car il y « jouissait de toutes franchises », c’est-à-dire que son statut privilégié lui permettait de ne pas payer certaines taxes.
Les pèlerins aussi franchissaient cette frontière décidément poreuse. En effet, le Livre des Miracles de Savigny garde le souvenir de Mathilde, veuve de Pierre Rouaut, atteinte d’une très forte fièvre. Craignant le pire, elle se confessa et reçut le viatique des mains des Frères Mineurs. Son fils, Hasculf pria les saints de Savigny. Or, le hasard de la conservation des documents nous permet de retrouver Mathilde, qui a non seulement survécu mais a ensuite remercié l’abbaye. En effet, en 1246, elle donna aux saints de Savigny et à l’abbaye une rente de quatre sous à prendre sur un champ au Ferré, où il existe un lieu-dit La Rouaudière.

Conclusion

On est donc loin d’une situation guerrière. Certes, on ne peut exclure les moments de tensions et de violences, particulièrement la seconde moitié du XIIe siècle. Mais cette histoire-bataille ou « agitation de surface », selon l’expression de Fernand Braudel, masque l’histoire économique et sociale, « vagues de fond » plus discrètes dans les sources, mais ô combien importantes pour les hommes et les femmes de l’époque. Les seigneurs de Fougères et leurs chevaliers ne cessèrent de réaliser des dons en faveur de Savigny, les moines continuèrent de parcourir les terres en situation de Marche, les marchands fréquentaient les assemblées commerciales normandes et bretonnes, les pèlerins sillonnèrent les routes menant d’un duché à l’autre. Les échanges furent plus souvent pacifiques que violents. La ville de Fougères fut dès le Moyen Âge central influencée par la Normandie.

                                                                                             Julien Bachelier

Bibliographie sommaire :
Julien Bachelier, « Réseau vassalique et réseaux de peuplement : une même géographie féodale ? L’exemple du Fougerais (v. 1160-1180) », dans Bulletin et Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie du Pays de Fougères, 2010, t. 48, p. 1-74.

Julien Bachelier, « Une histoire en Marche : Fougères et la Normandie au Moyen Âge (début XIe – milieu du XIVe siècle) », dans Revue de l’Avranchin et du Pays de Granville, , t. 88, 2011, p. 423-529.

vendredi 17 février 2012

Abbaye de SAVIGNY : I - les origines


                             L'Abbaye de SAVIGNY : les origines 


                                                                                      
 Reconstitution d'un blason portant les insignes de l'abbaye: l'initiale S enroulée autour d'une feuille de fougère présente sur le sceau de l'abbaye.                 



             DECADENCE  ET REFORME DE L'EGLISE
 


        A l'époque, c'est-à-dire à la fin du XIème siècle, les institutions eccésiastiques subissaient la tutelle féodale : en rebâtissant des églises et monastères, les seigneurs entendaient y exercer leur autorité. Ils choisissaient eux-mêmes  les évêques, les abbés, les curés en favorisant leurs parents et amis. Un comte-évêque exerçait  alors son pouvoir comme un comte-laïc. Des évêques et des curés se mariaient pour transmettre leurs bénéfices ecclésiastiques à leurs descendants... Dans certaines abbayes, la situation n'était pas meilleure : l'abbaye de Cluny qui avait été le phare de la chrétienté n'avait pas échappé à la décadence.
     A l'appel  du pape Grégoire VII , plusieurs responsables de l'Eglise cherchaient à se libérer du pouvoir temporel. Marborde, le nouvel évêque de  Rennes, comptait parmi les prélats décidés à mener les réformes nécessaires. Son premier objectif  fut d'obtenir des seigneurs laïcs qu'ils renoncent à choisir eux-mêmes les curés des paroisses dont ils avaient été les fondateurs. Généralement les seigneurs cédèrent leurs droits à des abbayes : Marmoutiers, Pontlevoy, Saint-Melaine... plus rarement à l'évêché. Mais le zèle des réformateurs se heurtait à des oppositions au sein même de l'Eglise.  Des prêtres et des religieux  quittèrent alors  leurs paroisses et leurs monastères pour chercher dans la solitude de pauvres ermitages un climat plus propice à la prière et au recueillement.



       LA  RECHERCHE DES SOLITUDES




        Dans notre région, le pays du "Désert", entre Fougères, Mortain et Mayenne, devint l'un des refuges de ces ermites. L'un des premiers fut probablement Guillaume Firmat qui aurait séjourné quelque temps sur la paroisse de La Bazouge-du-Désert, à l'endroit où fut édifiée plus tard la chapelle Saint-Clair dite de l' Ermitage.
      C'était alors une petite clairière en pleine forêt de Glaine, sur la frontère bretonne et loin de toute habitation. Peu de temps après, un autre ermite , Bernard de Tiron, vint se réfugier dans la forêt de Fougères, au lieu dit "Chênedet", le nom venant de "chêne docte", le chêne sous lequel  l'ermite faisait ses prédications.
       Or toute la forêt de Fougères faisait partie du domaine personnel du baron Raoul Ier ; située à peu de distance de son château, elle lui servait de terrain de chasse. Pour y conserver le gros gibier, le baron de Fougères l'avait fait entourer d'un fossé ou d'une palissade. Mécontent de voir sa chasse parcourue par  ceux  qui  venaient écouter les enseignements de Bernard de Tiron, il pria celui-ci de s'installer ailleurs et lui offrit un asile dans la forêt de Savigny, l'une de ses possessions plus éloignées. En quittant le "Chenedet" en 1108,  Bernard de Tiron emmena  dans la forêt de Savigny plusieurs de ses compagnons ; d'autres le quittèrent pour s'installer  en  bordure de la forêt de Fougères, comme Agnellus, fondateur de la paroisse de Laignelet.
       En arrivant à Savigny, Bernard de Tiron y trouva d'autres ermites : parmi eux Vital de Mortain,  prédicateur itinérant  qui avait déjà une grande réputation tant en raison de son zèle apostolique que de la dignité de sa vie. La cohabitation devenant sans doute difficile, Bernard de Tiron décida de quitter Savigny pour fonder l'abbaye de Tiron dans le Perche.
       Vital  était entouré de nombreux disciples des deux sexes ; ils lui demandèrent de fonder un monastère à Savigny. De leur côté les évêques souhaitaient aussi que les ermites itinérants se sédentarisent et fondent des établissements religieux dont ils pourraient  surveiller la bonne tenue.

       DONATION DE LA FORET DE SAVIGNY PAR  RAOUL I



          Vital intervint alors auprès du baron Raoul Ier pour obtenir une donation de la forêt. Sa démarche fut d'autant mieux accueillie que Raoul Ier était en conflit avec les bénédictins de Marmoutiers à propos de la chapelle Sainte Marie du château de Fougères qu'il voulait attribuer à d'autres religieux. Les moines de Marmoutiers protestèrent et Raoul Ier n'eut pas gain de cause : il n'était pas fâché d'exprimer son ressentiment en favorisant la fondation d'une abbaye concurrente à Savigny.

              L'acte de donation sollicité par Vital fut rédigé en janvier 1113 :

     "Moi,RAOUL de FOUGERES...considérant  avec une sérieuse attention la fin et consommation  de toutes choses...je donne à Dieu Tout-Puissant ma forêt de Savigny, telle qu'elle m'appartient  en propre d'hérédité, comme une offrande à Lui présentée en odeur de suavité, et comme un sacrifice du soir offert pour notre salut...
Disons à tous enfants de l'Eglise Catholique...que nous donnons ces fonds  pour y bâtir, Dieu aidant, une abbaye par les soins du frère Vital, tant pour son salut et le nôtre, que celui de tout le monde...(1)

       Vital choisit d'implanter l'abbaye dans une clairière traversée par une petite rivière. Les premiers  bâtiments de l'abbaye furent de simples baraques en  bois qui abritèrent une centaine de moines ; tout près de là, au lieu-dit actuellement " Prise aux Nonnes", d'autres baraques furent édifiées pour un petit groupe de moniales qui, peu après, allèrent s'installer au Neufbourg de Mortain où sera construite l'Abbaye Blanche : cette communauté féminine était dirigée, non pas, semble-t-il , par  la  parente de Saint Vital, Sainte Adeline mais par un moine détaché de Savigny.





Ruines de l'abbaye de Savigny, emplacement du cloître devant la porte Saint-Louis;
 sur la droite,  emplacement de l'hôtellerie





         Vital de Mortain adopta la règle de saint Benoît dans sa pureté originelle voulant ainsi se démarquer des abbayes bénédictines où cette règle n'était plus suivie. Peu auparavant,  en Bourgogne, le moine Robert de Molesmes avait fondé l'abbaye de Cîteaux suivant les mêmes règles que celles observées à Savigny. Cîteaux donna son nom à l'ordre des  Cisterciens ; en 1143, Savigny se réunit à Cîteaux en conservant quelques privilèges particuliers, tel celui de patronner des paroisses en bénéficiant des dîmes correspondantes, ce qui était interdit aux Cisterciens. Les règles de Saint Benoît étaient basées sur la prière et le travail manuel ; elles prescrivaient  l'austérité, la pauvreté et de multiples privations alimentaires. Toutefois, les dons et les aumônes étaient acceptées car il  fallait des ressources financières  pour construire l'abbaye et défricher les terres à cultiver.


        Le baron de Fougères, Raoul Ier, n'avait cessé de favoriser le développement de Savigny. A la fin de sa vie, il alla s'installer dans l'abbaye et y mourut en 1120. A cette époque les seigneurs et les gens tant soit peu fortunés faisaient des dons importants aux abbayes en échange de prières et de messes pour faciliter leur passage devant le tribunal divin. On craignait alors beaucoup moins la mort que le jugement dernier. Lui-même et ses descendants se firent enterrer à Savigny et l'on suppose que leurs pierres tombales se trouvaient dans le cloître devant l'entrée de la salle du Chapître.






                            Général Jean Barreau : "L'Abbaye de Savigny",article
                            paru dans Bulletin et Mémoires de la Société Archéologique
                            et Historique  de Fougères. Tome XXXII, partiellement reproduit.
                           Clichés: JPGallais.     





(1): acte cité par J. Durand de Saint-Front dans le tome I,3 du bulletin de la Société d'Histoire     du  Pays de Fougères.

 

 Maquette de  l'abbaye réalisée par Louis Saint-Pois  exposée sur le site-même à l'occasion du 900 ème anniversaire  de  la fondation.



 Cartulaire de la  Seigneurie de Fougèreshttp://paysdefougeres.blogspot.fr

                                                                                               

lundi 13 février 2012

Personnages d'Histoire : Honoré de La Riboisière, l'homme de la continuité.


Honoré- Charles Baston de La Riboisière


 
 Antoine-Jean Gros, Portrait du comte Honoré de La Riboisière, 1815.


 AU SERVICE DE L'EMPEREUR

       Fils aîné du Général de La Riboisière et de Marie Le Beschu de la Rallaye, Honoré est né à Fougères le 21 septembre 1788.   Il se destine à une carrière militaire et entre, en 1807, à l’Ecole Polytechnique d'où il sort lieutenant d’artillerie. Nommé aide de camp de son père, il participe aux campagnes d’Espagne et d’Autriche, remplit des missions en Westphalie et en Pologne, essuie le feu à la bataille de Wagram et participe à la campagne de Russie, avec son frère cadet Ferdinand mortellement blessé au cours de la bataille de La Moskova. Il est capitaine lors du passage de la Bérézina où il combat vaillamment ; son cheval est tué sous lui, précipité dans le fleuve, il ne doit son salut qu’à la présence d’esprit d’un camarade qui l’aide à sortir de ce mauvais pas. A peine rétabli, il perd son père le 21 décembre 1812 à Königsberg, peu après le décès de son frère sur le  champ de bataille.
                                 
                                                                                                                       
 Au début de l'année suivante,il est nommé  à la direction de l'Artillerie et reçoit le titre de chambellan de l’Empereur. Le 11 janvier 1814, il épouse Elisa Roy, fille d’Antoine Roy, richissime avocat qui deviendra Ministre des finances de Louis XVIII, Ministre de Charles X et Pair de France. Il échappe à la disgrâce au retour des Bourbon. 
Pendant les Cent-Jours, Honoré reste fidèle à l’Empereur et devient son officier d’ordonnance. Waterloo met provisoirement un terme à sa carrière militaire mais il n'est pas inquiété par le nouveau pouvoir et affiche des opinions assez libérales : l'influence de la puissante famille Roy  lui offre une protection sûre.



    UNE LONGUE CARRIERE  MILITAIRE ET POLITIQUE 


Il partage sa vie entre le château de Monthorin à Louvigné-du-Désert qu’il embellit et agrandit, et Paris où il reçoit dans son hôtel particulier. Elu député de l'arrondissement de Fougères et de Vitré en 1828 après la démission de Rallier, il siège au centre-gauche avec l'opposition et est réélu en 1830 après la dissolution de la Chambre par Charles X.  


     Après les Trois Glorieuses et l'avènement de Louis-Philippe, Honoré de La Riboisière est nommé Chef de la Vème Légion de la Garde Nationale en 1831, fait Officier de la légion d’Honneur, promu lieutenant-colonel puis colonel et enfin commandant en chef de cette Vème Légion qui a pour rôle de défendre la capitale.
Son mandat de député est confirmé en 1831 et 1834. Le roi Louis-Philippe l’élève  la dignité de Pair de France en 1835. Lorsque la Révolution de 1848 éclate, Honoré  se trouve dans sa demeure de Monthorin à Louvigné-du-Désert. En 1849, il est élu représentant à l’Assemblée législative par le département d’Ille-et-Vilaine et adhère au parti du Prince-Président. 
 Son épouse, Elisa Roy, décède  en 1851 sans lui avoir donné d’enfant. En 1852, il est nommé sénateur. C’est en 1854 qu’il épouse Antoinette de Robert d’Acquéria de Rochegude qui, le 1er janvier 1856, lui donne l’héritier tant espéré : Ferdinand de La Riboisière ; lui-aussi  marquera profondément le Pays de Fougères par son action politique et ses initiatives agricoles et sociales.
Père à 68 ans d’un fils prénommé Ferdinand en souvenir de son frère tué à la Moskova, Honoré de La Riboisière voit le malheur s’abattre sur son foyer lorsque son épouse meurt le 7 janvier des suites de ses couches. Dans le même temps, il devient maire de Louvigné-du-Désert en 1863 et  s'emploie à  apaiser un climat houleux au sein du conseil et à redresser les finances; il dirige la commune  jusqu'en 1868.
  Honoré de La Riboisière meurt à Paris le 21 mars 1868 à l’âge de 80 ans. Lors de ses obsèques à Monthorin, une foule nombreuse  vient rendre   hommage à un notable discret et efficace, unanimement respecté.



UNE GENEROSITE  RECONNUE


                      
                            Hôpital Lariboisière,  édifié de 1848 à 1853, par l'architecte Gauthier: pavillons parallèles
                            et galeries  lumineuses,très modernes à l'époque. 


C'est grâce à la comtesse de La Riboisière-Roy que la ville de Paris a pu mener à son terme la construction de l'hôpital prestigieux qui porte son nom. A son décès en 1851, elle lègue par testament à la ville de Paris la nue propriété de ses biens immobiliers très vastes pour fonder l'hôpital  La Riboisière, son mari restant bénéficiaire de l'usufruit. Pour permettre  à la ville de Paris d'utiliser dans l'intérêt  public le legs de son épouse, Honoré de La Riboisière  renonce à une partie de sa succession et verse à la ville la somme à l'époque colossale de 2 057 402 francs-or; ce geste permet  à Paris de financer en bonne  part l'achèvement des travaux.  Implanté aux portes de Paris, dans un environnement peu favorisé, l'hôpital Lariboisière a parfois été appelé "le Versailles de la misère". Revers de la géographie, Zola l'a intégré dans le cadre romanesque de "L'Assommoir"...





                                       Chapelle néo-Renaissance ornée des allégories
                                             de la Foi, de l'Espérance et de la Charité.





                 A l'intérieur de la chapelle, monument  funéraire en l'honneur de
                 la comtesse  Elisa de La Riboisière (vue partielle),  orné d'une
                                représentation de la Charité ; oeuvre du sculpteur
                                     Charles Marochetti,1853 .                                                



 La ville de Fougères n'a pas été oubliée:  le couple de La Riboisière y a fait édifier sur la place qui porte son nom une salle d'asile pour l'accueil des enfants pauvres :  son fronton  abrite une Vierge à l'enfant  qui rappelle sa fonction  d'institution de charité. C'est aujourd'hui l'école Odile Gautry




Ecole Odile Gautry, Place Lariboisière, Fougères.


LE MECENAT ARTISTIQUE

Outre ses activités  caritatives et ses réceptions mondaines,  madame de La  Riboisière anime un salon littéraire et artistique réputé ; le comte est  un amateur d'art, grand collectionneur d'antiquités gréco-romaines et orientales. Dès 1830, il préside le "Cercle des Arts", société qui soutient les jeunes artistes. Il est proche des peintres Antoine-Jean Gros dit le baron Gros, Alfred Johannot, Horace Vernet ; beaucoup ont réalisé des portaits de sa  famille.





UNE CHRONIQUE DE LA VIE PARISIENNE



   Une partie de sa correspondance avec sa mère, conservée aux Archives municipales de Fougères, a fait l’objet d’une étude intéressante de M. Jérôme Lemesle, auteur d'un article sur Honoré de Lariboisière dans le tome XLVIII  de notre Bulletin et Mémoires, elle couvre la période de 1813 à 1844, année de la mort de la comtesse La Riboisière. S’étalant sur une période de 30 ans, la correspondance aborde l’Histoire de la fin de l’Empire à Louis-Philippe. Honoré de La Riboisière, témoin de son temps, en fils aimant, rapporte à sa mère restée en Bretagne, aussi bien les événements parisiens de l’époque, les tribulations de la Chambre des députés, sa carrière politique… que sa vie privée émaillée de réceptions, de bals, de rencontres. On y perçoit également ses soucis, la maladie de sa femme, son attachement à Monthorin et à sa région natale …




 Le château familial de  Monthorin,
Louvigné-du-Désert. ( cliché M. Hodebert)
 Textes: Marcel Hodebert
             Jean-Paul Gallais
 Clichés: collection privée. 

dimanche 5 février 2012

Personnages d'Histoire : Marie Collin

Une Héroïne populaire :  MARIE COLLIN


Monument de la République, Rimou.



              Lorsque le 14 octobre 1906 on installa sur la place de Rimou le buste en bronze de Marianne, symbole de la République, à laquelle la petite commune n’avait eu de cesse d’être attachée depuis la Révolution, beaucoup se souvinrent d’une fille du pays, Marie Collin, dont l'histoire héroïque transmise de génération en génération, parfois enjolivée d’ailleurs,  remontait à la prise du bourg de Rimou par les chouans de du Boisguy en 1796. On n’hésita pas à trouver dans les traits de Marianne ceux de Marie Collin : ressemblance gratuite et symbolique ! Le personnage est réellement historique, mais comment  Marie Collin s'était-elle illustrée ?

Marie Françoise Collin  était née à Rimou, au village du Boisbaudry, le 26 avril 1776. Elle épousa Jean-Baptiste Berthelot, maréchal-ferrant à Rimou et s'éteignit en 1833. Lors de la prise du bourg de Rimou par les Chouans au cours de laquelle elle  brilla par sa vaillance en défiant les tirs, elle avait 20 ans ; rien ne la prédestinait à devenir momentanément une Amazone de chez nous, sinon la fibre  républicaine.

 Que s’était-il donc passé en 1796 ?  Par sa situation sur la ligne du Couesnon gardée par des garnisons républicaines, notamment à Tremblay et à Antrain, Rimou est un point stratégique important. Pour correspondre avec le pays de Dol, il faut franchir le Couesnon, les chouans du pays de Fougères doivent pouvoir communiquer jusqu’aux rives du Clos-Poulet aux alentours du port de Saint-Malo pour faire passer courrier, argent, armes et munitions venant de Jersey et d’Angleterre. Pour s’assurer de ce libre passage, ces bourgs, convoités par les Chouans, font l’objet de leurs attaques.


 UNE DEFENSE  HEROIQUE

 Le 13 mai 1795, Rimou « qui était une des communes les plus républicaines du département» subit un coup de main de la part des Chouans. Alors que les hommes étaient occupés aux travaux des champs, une bande de Chouans pénétra dans le bourg. N’y trouvant que des femmes, des vieillards et des enfants, ils en maltraitèrent plusieurs avant d’abattre l’Arbre de la Liberté et de piller quelques maisons.  L’alarme ayant été donnée,courageusement une poignée d’habitants se réunirent en armes pour défendre leurs biens. Les Chouans s’en allèrent dans la direction de Tremblay. Mais les Rimois restaient pour les chouans d’infatigables adversaires, « toujours prêts à faire des patrouilles ou des battues, toujours prêts à voler au secours des communes attaquées ».






 A. du Boisguy
portrait anonyme in E.Aubrée 

 Le 21 février 1796, Aimé du Boisguy, le jeune et intrépide chef chouan du pays de   Fougères, voulant se rendre maître de la vallée du Couesnon, décide de passer à l’attaque du bourg de Rimou. Attendant des munitions d’Angleterre, il veut s’assurer le contrôle des points de passage sur le Couesnon, Romazy et Rimou en font partie. La prise de Rimou est racontée par divers historiens locaux, et selon la tendance de ces auteurs, les faits sont narrés avec plus ou moins de détails. Ils sont à prendre avec précaution, car les archives manquent parfois pour les rendre absolument conformes avec la réalité des faits.


  

L’abbé Joseph Louet qui reprend le récit de la prise de Rimou fait par du Breil de Pontbriand, beau-frère du Boisguy, précise que le tocsin avait rameuté « une foule énorme composée de tous les patriotes, territoriaux et une masse de paysans de Sens, Gahard, Saint-Rémy, Saint-Marc-le-Blanc et autres paroisses de ce canton, mais le nombre leur fut nuisible et les paysans prirent la fuite dans un tel désordre qu’ils entraînèrent avec eux les gardes territoriaux… ». Il parle ensuite de « l’héroïne Rimoise », Marie Collin « une vieille fille… à la force herculéenne que lui prête la tradition… »

Si l’on veut bien mettre de côté l’ironie des deux auteurs cités plus haut qui prennent fait et cause pour les Chouans, sur le rôle joué par Marie Collin lors de la prise du bourg de Rimou le 21 février 1796 et minimisent l’action menée par quelques femmes du pays, il faut bien se référer à Théodore Lemas pour éclairer quelque peu cette histoire, même si l’on sait que cet auteur républicain a pu l’enjoliver à sa manière pour rendre hommage à leur bravoure...
" Deux fois les Chouans tentèrent de s’emparer de ce bourg, deux fois ils furent repoussés. La position naturelle de Rimou, située sur une colline autour de laquelle tourne sinueusement le Couesnon, l’avantageait au point de vue de la défense et la mettait à l’abri d’un coup de main. Aussi, si le 21 février elle succomba, ce fut surtout sous le nombre de ses ennemis qui s’élevait à plus de 3.000.

C’est alors que Marie Collin, compenant les dangers qu’allait courir son père, fermier au Boisbaudry, vieillard paralytique et patriote connu, si les chouans parvenaient à la ferme, le prit sur son dos et le porta à plus d’une lieue de là, au village du Hamel. Son père en sûreté, Marie Collin, s’arma d’un fusil, remplit son tablier de cartouches, alla rejoindre les combattants et prit part à la mêlée
     A Rimou, la résistance s’organisait sous les ordres du commandant de la garde nationale, Gilles Trébourg. Mais les tirailleurs rimois faiblissaient et les Chouans gagnaient du terrain. La retraite sur Rimou se précipita : à chaque champ, c’était un échange rapide de coups de feu ; dans celui de la Douve, une balle brise la branche d’un chêne au-dessus de la tête de Marie Collin ; ses compagnons la croient blessée : « Non ! non ! crie la courageuse enfant, du courage ! ». Bientôt les Chouans se présentèrent à la fois à toutes les issues. A la butte du Châtel, qui domine le bourg, un groupe de défenseurs, parmi lesquels trois femmes, Marie Collin, Marguerite Grohan, de la Hervelinais qu' un historien  a qualifiée de « virago fumant la pipe comme un grenadier », et Julienne Trébourg, la sœur de Gilles, faisait un feu ardent contre les Chouans qui dirigeaient toutes leurs balles sur ce point. Se rendant compte du nombre des défenseurs, les Chouans livrèrent un assaut furieux à Rimou et pénétrèrent dans le bourg. Les gardes nationaux et les citoyens rimois prirent la fuite de toutes parts et coururent se réfugier au bois de la Vigne, où la population s’était retirée à la nouvelle de la marche des Chouans. Là, sous le commandement de Gilles Trébourg, ils s’organisèrent en usant des dispositions du terrain pour défendre chèrement leur vie..."




 Les  Rimois défendirent opiniâtrement leurs positions et tinrent les Chouans en échec mais Gilles Trébourg succomba sous leurs balles. Quant à Marie Collin, François Depasse nous dit qu’après l’affaire du bois de la Vigne, elle retourna chercher son vieux père au Hamel et le conduisit à Antrain. On lui conseilla d’aller trouver le capitaine afin d’obtenir une récompense mais elle répondit : « Je ne tiens pas au gain, j’ai sauvé mon père, c’est tout ce que je demandais »  
 Quelle Rimoise pouvait incarner mieux qu'elle les  valeurs de la  nouvelle pietas : le culte désintéressé de la  famille et de la République confondues ? On imagine l'envergure romanesque qu'elle aurait pu  prendre sous la plume d'un Victor Hugo ou d'un  Emile Zola…



LA  RECONNAISSANCE DE LA POSTERITE



             Son  nom est resté longtemps gravé dans la mémoire collective de Rimou : ainsi,lors de l'instauration de la II ème République en 1848, Madame Lendormy, fille de Marie Collin, fut la marraine du  nouvel Arbre de la Liberté. Ce fut elle qui entonna la Marseillaise.
 Les arbres symboliques ont disparu  au gré de l'Histoire mais Rimou porte toujours très haut son panache républicain.  C'est à l'occasion d'une grande fête républicaine que le monument offert par les Républicains d'Ille-et-vilaine a été inauguré le 14 octobre1906 ; le souvenir de Marie Collin, devenue  en la circonstance la figure emblématique des libertés républicaines y est évoqué,  les maisons sont pavoisées, des inscriptions rappellent  les noms des héros de 1796 : Marie Collin,  Gilles Trébourg, le curé Macé. Des arcs de triomphe sont élevés avec des banderoles à la gloire des Républicains et même les cloches sonnent pour la République acclamée par une foule estimée à  5000 personnes.

Les journaux locaux et départementaux  couvrent l'évènement ; La Chronique Républicaine, qui a largement contribué à la publicité de la  fête  et battu le rappel dans les numéros précédents, lui consacre un supplément spécial où sont rapportés les fastes républicains et toutes " les belles paroles de réconfort civique ".  L'écho est tout autre  dans Le Journal de Fougères, du bord opposé, à une époque où les hostilités avaient été avivées  par les lois de séparation  de 1905 ; la polémique  envenime  les colonnes de semaine en semaine et voilà  la fête" blocarde "ridiculisée, l'héroïne démythifiée et Marianne réduite à une vulgaire "babiole de brocante"...




Textes: Marcel Hodebert,
           Jean-Paul Gallais.  
clichés: Marcel Hodebert.