PIECE-MAITRESSE DE LA FRONTIERE BRETONNE
Gravure aquarellée, Bachelot de la Pylaie.(coll. privée) Le château au début du XIXè. |
Une ceinture de citadelles dissuasives
Pour
qui sait regarder entre ciel et terre, l’histoire se lit aussi dans la nature
comme dans un livre ouvert. Pour cela il suffit
de lever les yeux et porter son regard vers les très nombreux vestiges
jalonnant le territoire des marches de Bretagne au Moyen Age, lorsque celles-ci
revêtirent la robe grise des premiers châteaux en pierre : gardiens de la
frontière, pièces pétrifiées sur place d’une longue partie d’échecs perpétuant
le souvenir des anciennes luttes ; témoins inertes d’un passé toujours
présent, aujourd’hui ravivé par les songes de l’imaginaire. Des années 1150
jusqu’à la fin de la période médiévale, pas moins de trois siècles et demi de
transformations continuelles imprimèrent leurs marques distinctives à chacune
des grandes forteresses de première ligne.
La tour carrée de la Haye Saint-Hilaire, percée de multiples meurtrières, fin du XIIè (collection privée). |
De fait, celles-ci devinrent plus
puissantes, plus solides, plus vastes…
et surtout plus confortables que les anciennes constructions charpentées
de la première heure féodale : Fougères, Vitré, Châteaubriant, La Guerche,
Ancenis, Clisson… mais aussi Rennes et Nantes, conférant toute son épaisseur à
la zone d’intérêt proprement stratégique ; sans oublier nombre de places comme Combourg, Landal,
Aubigné, Hédé, Montmuran, Châteaugiron ou Châtillon reléguées au rang de
seconde importance. Au temps de la féodalité et des seigneurs campés sur leurs
antiques mottes, succéda le temps des princes et de la formation des Etats
souverains : d’un côté, le royaume
de France en passe de s’affirmer de manière suzeraine ; de l’autre, le
duché de Bretagne, en quête de sa propre existence. Point de meilleur exemple
que la fondation de Saint-Aubin-du-Cormier – ordonnée par Pierre Mauclerc en
1225 – pour témoigner de cette évolution accompagnant la véritable naissance du
pouvoir ducal en Bretagne au XIIIe siècle. Alors Saint-Aubin, ce
n’est pas seulement un château, ni une belle ruine aujourd’hui confiée à la
garde des oiseaux, c’est d’abord et avant tout un symbole : démonstration
d’indépendance, affirmation politique, pari sur l’avenir, mémoire de la
mortelle blessure infligée à l’identité bretonne… l’élévation de cet
impressionnant donjon continue de signifier la volonté du duc d’édifier une
authentique ligne de défense qui ne fût pas à la merci de certains de ses
grands barons : tels notamment ceux
de Fougères et de Vitré, dont il avait toutes les raisons de se méfier et qui, dans le temps présent, s’apprêtaient à prendre la tête « d’un
véritable parti français », délibérément hostile à sa politique.
LE DEFI DE LA HAUTEUR
Pendant ce temps à Fougères, la vie
s’écoulait au rythme des jours ordinaires. Passent les générations et passent
les seigneurs. En 1256 mourait le baron Raoul III, laissant sa fille Jeanne comme seule héritière de la baronnie.
En épousant Hughes XII de Lusignan, Jeanne planta les jalons d’une nouvelle
lignée qui devait régner sur Fougères jusqu’en 1314. Prestige, richesse, façons
de construire directement importées des croisades et rêves de fécondation… se
traduisirent à nouveau dans la pierre. De cette alliance, le rocher accoucha de
la plus belle tour du château : magnifique fleuron d’architecture
militaire posé en renouveau des anciennes structures ; situation
inapprochable, assise parfaitement bloquée, généreuse et puissante ;
impression saisissante de hauteur et remarquable pureté des lignes verticales…
en forme d’invitation à scruter le sommet et, pourquoi pas, un soir, essayer de
percer le secret de Mélusine : fée maternelle et bâtisseuse… et non moins
très frénétique défricheuse ! Avec les Lusignan, le mythe devint réalité.
Chose certaine pour Fougères, les années 1250-1300 furent des moments
d’éclosion et de grandes constructions. Outre la tour Mélusine, émergèrent du
sol la tour du Gobelin et l’enceinte urbaine, les églises Saint-Léonard et
Saint-Sulpice ; plus grand nombre d’édifices civils et religieux, hélas
aujourd’hui disparus.
La tour dite Mélusine à la fin du XIXè. Collection Albert Durand, Médiathèque La Clairière, Fougères. (cl. JPG.) |
Fières et pourtant vulnérables...
Ainsi
s’éleva la place forte de Fougères dont la silhouette – singulièrement dominée par le beffroi –
se calque point par point sur les nombreuses formes élancées de ses tours, de
ses murailles et de ses clochers . Chacune des étapes de
sa construction se reflète à travers la forme de ses différentes tours. Jusqu’à
la fin du XIVe siècle, restèrent privilégiées les structures
démesurément hautes, volontairement dissuasives et souvent retranchées dans des
lieux particulièrement difficiles d’accès… Il est vrai qu’à cette date, la
pratique de la guerre de siège, héritée des époques précédentes, reposait
encore sur les techniques d’approche, d’encerclement, de sape, d’escalade et de
jets de projectiles… destinées à venir à bout des systèmes défensifs ;
fussent-ils les meilleurs du monde, en dépit des nombreux
« raccoutrements » qui les caractérisaient et se présentaient
comme autant de points faibles ! C’est pourquoi, tout au long du Moyen Age, il
n’y eut guère de citadelles imprenables. Chacun sait ce qu’il advint de
Fougères lors la fameuse nuit du 24 au 25 mars 1449, autrement appelée
« la nuit de la surprise » : nuit tragique, au cours de laquelle
la ville fut littéralement capturée par François de Surienne et sa poignée
« d’échelleurs » professionnels qui, d’un seul bond d’un seul, s’en
emparèrent sans le moindre coup férir… pendant le saint temps du Carême !
Au moins l’événement eut le mérite de précipiter la fin de la guerre de Cent
Ans ; et ainsi, d’accélérer le cours de l’histoire.
Préparation des charges. Gravure sur bois, Flavius Végèce, Du fait de guerre et fleur de chevalerie, 1536. Fonds Patrimoine, Médiathèque de Fougères. (cl. JPG.) |
La
période qui suit immédiatement annonce déjà l’arrivée de la guerre moderne avec
les progrès fulgurants de l’artillerie à poudre. Dès lors les structures
évoluèrent de manière spectaculaire, faisant apparaître toute une série de
nouveaux ouvrages destinés à renforcer les parties les plus vulnérables de
loin. Les tours Raoul et Surienne du château de Fougères, édifiées dans le
courant des années 1480 sous l'autorité du duc François II, s’érigent en véritables merveilles d’adaptation à
l’usage du canon : des constructions de type « fer à cheval »,
comme à Nantes, Clisson ou Dinan ; des murs d’une épaisseur exceptionnelle
de 7 mètres à la base, une hauteur de 20 mètres affleurant au niveau de la
courtine afin d’accentuer les effets de masse ; cinq étages surmontés
d’une tourelle centrale et d’une vaste plateforme à canons ; nombreuses casemates
aménagées dans les entrailles de la maçonnerie, débouchant par autant de
petites embrasures évasées – signe de modernité ! – vers l’extérieur…
Des réalisations tout aussi impressionnantes que coûteuses qui, en
définitive, s’avérèrent complètement inutiles face à l’énorme supériorité des
forces françaises à compter du 9 juillet 1488, date à laquelle Fougères dut
s’incliner une nouvelle fois devant le verdict des armes… en prélude à la
terrible journée de Saint-Aubin-du-Cormier : une journée sans lendemain,
placée sous les signes de la défaite et du démantèlement de l’Etat ducal…
Les tours Raoul et Surienne édifiées vers 1480. |
René Cintré.
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A suivre: La seconde vie du château de Fougères.
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