JULIEN MAUNOIR,
LE CHAMPION DE LA CONVERSION
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Julien Maunoir prêche la mission à Plévin, église de Plévin,
Atelier G.Léglise,1926.
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L'ENVOI EN MISSION
Après une année de probation(1640) à Rouen pendant laquelle il assure déjà plusieurs missions, Julien Maunoir est affecté à Quimper, alors que le Canada, nouvelle terre à évangéliser, semblait la destination la plus probable. Cette nomination est conforme à ses souhaits car il avait fait le voeu d'évangéliser la Bretagne, après avoir été miraculeusement guéri de la gangrène en 1637. Cette conviction d'avoir été un "miraculé" a pu renforcer sa vision de l'action divine dans le destin des croyants : dans ses rapports de missions, Julien Maunoir voit des miracles partout... Il avait aussi promis à Michel Le Nobletz, prédicateur breton passionné, de continuer son oeuvre de reprise en main. L'implantation du catholicisme en Bretagne est très forte : les saints bretons ont combattu le paganisme et, au cours des siècles précédents, saint Vincent Ferrier (XVe) et les frères prêcheurs ont beaucoup semé mais l'ignorance, les superstitions et les pratiques occultes ont reconquis l'espace. Ce sont les cibles de Julien Maunoir.
C'est alors le début de 43 années de pérégrinations incessantes qui le conduisent à parcourir les évêchés bretons, à instruire et convertir les villes, les îles, les paroisses rurales, les prisons... et à revenir consolider l'édifice. Chaque année, il assure entre huit et dix missions, en fonction des distances, or la mission dure trois ou quatre semaines. De cet infatigable apostolat, de cette énergie presque supranaturelle, les cahiers (1631-1650) du Journal latin des missions, rédigé par le Père Maunoir et destiné au supérieur général des Jésuites rendent bien compte, même si la version intégrale n'existe plus.
Julien Maunoir part sur les chemins avec, dans les premières années, le père Bernard qui, à 56 ans, apprend un peu de breton et accepte l'aventure itinérante et des conditions de vie plus que spartiates.. Les missionnaires jésuites partaient évangéliser par groupes de deux ; au fil du temps, l'encadrement s'étoffe. La Basse-Bretagne est littéralement quadrillée.
JULIEN MAUNOIR AU PAYS DE FOUGERES
La Haute-Bretagne n'est pas oubliée : Julien Maunoir revient prêcher la mission à quatre reprises dans son pays natal à Saint-Georges-de-Reintembault en 1648,1662,1666,1681. En 1648, il est aussi présent à Mellé, Monthault, Louvigné-du-Désert ; en 1661, on l'entend à La Chapelle-Janson, La Guerche-de-Bretagne, à la prison et à l'hôpital de Rennes. L'année 1662, il revient prêcher à Saint-Georges et à Fougères. En 1666, on le revoit à Saint-Georges et à Fougères, il se rend aussi à La Boussac près de Dol ; il est à nouveau chez lui, à Saint-Georges, en 1681 et il assume plusieurs missions près de Rennes.
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Julien Maunoir,"An Tad Mad"(le bon Père) église de Plévin. |
DES MISSIONS DE CHOC
Les missions sont un temps fort spirituel ; on y fait apprendre la religion et c'est une nouveauté... Une part importante de la population rurale bretonne n'a jamais été scolarisée.
Julien Maunoir a-t-il utilisé les cartes parcheminées ou tableaux peints, les "taolennou", conçus par Michel le Nobletz, illustrant de façon naïve les vertus et les vices et les chemins de Paradis? Ce n'est pas une certitude, bien que plusieurs représentations artistiques le montrent tenant en main ou expliquant ces tableaux, par exemple le vitrail de l'église de Mûr-de-Bretagne. Toujours est-il qu'il n'en mentionne pas l'usage.
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Cathédrale Saint Tugdual de Tréguier, vitrail de la Vigne Mystique (détail), oeuvre de Hubert de Sainte-Marie, Quintin,1968. Au centre de la composition, Saint Yves
avec le fléau de la Justice et, à droite, le Bienheureux Maunoir,
présentant un "taolennou". |
Grande innovation : il institue la leçon de catéchisme incluant la récitation de prières et de chants : lui-même a rédigé en 1659 un catéchisme en breton très simple, avec les articles de foi essentiels et de nombreuses mises en garde contre le démon, thème obsessionnel.
Et surtout Julien Maunoir est le spécialiste du cantique : plusieurs livrets de cantiques publiés à partir de 1641 ont connu un vrai succès. Certains s'inspirent de mélodies populaires. Il s'étonne d'ailleurs dans son Journal de l'engouement qu' ils suscitent dès les premières missions et de leur efficacité pédagogique, ainsi sur l'île d'Ouessant en 1641 : " Nous nous mettons à chanter en vers bretons des cantiques qui renfermaient notre enseignement. Sur terre et sur mer, tout le monde fut charmé de cette nouveauté..."
LA FORCE DU VERBE ET LA CHASSE AUX SORCIERS
Autre moment privilégié : la prédication. Les sermons , trois par jour, ressassent des thèmes favoris : les pièges du démon, la peur de la mort,si présente dans la culture bretonne, la damnation, les supplices de l'Enfer. Et il faut croire que notre missionnaire savait épouvanter et convaincre quand on imagine les effusions de larmes (Lannévez, 1642) et les milliers de confessions indiqués dans ses rapports.
Julien Maunoir appelle constamment son auditoire au redressement des moeurs : il exige le respect des églises qui à l'époque servent, à l'occasion, de salles des fêtes et abritent beaucoup d'abus : beuveries, veillées dansantes, accouplements, déjections... Curieusement, les danses, partie intégrante de la culture locale, sont suspectes, complices du diable,d'autant plus que les jeunes les préfèrent aux sermons fâcheux, comme à Saint-Mayeux (1646) ou à Plougastel-Daoulas. Les musiciens provocateurs sont maudits.
Devant une telle stature et une telle aura, les démons cessent de harceler leurs victimes et prennent la fuite, c'est le grand leitmotiv du Journal, les jeteurs de sort sont démasqués, les sortilèges anéantis, les sabbats confondus, les rites superstitieux interdits. Julien Maunoir apparaît comme le spécialiste de l'exorcisme, il pratique d'ailleurs le manuel des Inquisiteurs Le marteau des sorcières que lui a donné Michel Le Nobletz.
Le temps de la mission, c'est toujours une irruption du merveilleux : apparitions célestes et miracles se produisent : les paralytiques marchent (Quimper,1643) les malades guérissent, les muets retrouvent la parole, les sourds entendent, les aveugles voient(Ouessant, 1641)...
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Miracle de Julien Maunoir, église de Plévin,
Atelier G. Léglise,1926 |
JULIEN MAUNOIR, LE GENIE DE LA MISE EN SCENE
Chaque mission se termine en beauté : c'est la procession liturgique, toujours grandiose, spectaculaire, bien en phase avec la spiritualité de l'émotion voulue par le Concile de Trente.
Julien Maunoir décrit par le détail dans son Journal des missions quelques-unes de ses trouvailles liturgiques : sur un fond de cantique " infernal" de son invention, deux anges juchés sur un théâtre interrogent un groupe de damnés dissimulés dans les profondeurs sur les supplices qu'ils subissent et leurs remords sans fin... Des scènes d'épouvante dignes des fresques de l'Enfer de Kernascléden...
Les processions costumées sont ouvertes par les arquebusiers ; suivent les Patriarches, les Prophètes et les Sybilles, les Apôtres avec les insignes de leur martyre comme les statues familières des porches des églises bretonnes, les Docteurs de l'Eglise, parfois les martyrs, les saints bretons de nos villages ; des cohortes de jeunes femmes en robe blanche , portant le voile des novices, précèdent le clergé qui porte le Saint-Sacrement et conduit le peuple en marche...
Tout au long du parcours, on représente des tableaux vivants inspirés des Mystères médiévaux et des Vies de Saints bretons : on joue des scènes de l'Ancien Testament et de l'Evangile, l'Annonciation, l'Adoration des bergers et des Mages, puis "s'avance la foule écarlate des Innocents avec leur mère en habits de deuil..." (Journal, année 1645)
Et les stations de la Passion sont revécues ; les acteurs sont les habitants mobilisés et entraînés par les prédicateurs, dont le nombre grossit, pendant deux ou trois semaines. La procession de clôture, c'est vraiment une appropriation physique et mentale du message dans une communion générale. Les acteurs vivent leur rôle, s'effondrent comme le Christ, les filles de Jérusalem gémissent et pleurent et la foule en fait autant... (missions de 1645, Landerneau, Logona, Roscanvel, Bénodet...). Les enfants qui jouent dans les stations donnent à leurs parents le désir de s'instruire et le pari spirituel est gagné!
On accourt de loin pour voir, pour trembler, pour prier et chanter les cantiques en choeurs alternés, au milieu des oriflammes... Par une sorte d'élan communicatif, la mission et plus encore la procession déplacent toujours des milliers de fidèles : quand Julien Maunoir tente d'estimer le nombre de personnes touchées par son enseignement, les milliers s'envolent, les chiffres se mettent à danser...
PERIPETIES DE MISSIONS
Une telle conquête des paroisses et des coeurs ne se passe pas sans revers ; elle soulève parfois l'hostilité des recteurs, les railleries, la résistance organisée, les calomnies. Des esprits malveillants détournent les foules, font passer les prédicateurs pour des sorciers, les accusent d'envoûter les enfants. Les cantiques fredonnés sur des airs populaires légers se retournent contre leurs auteurs,accusés de frivolité.L'interdiction des danses nocturnes inspire de nombreuses provocations : à Mur-de-Bretagne, des musiciens viennent sonner pendant le sermon et font danser la jeunesse dans l'église. La parade des jeunes filles à la procession finale fait scandale. Intrigues, guet-apens, tentative d'empoisonnement, rien n'arrête jamais l'élan du père Maunoir et des autres missionnaires... Mais une fois les prêcheurs partis et la mission finie, les anciennes pratiques, les superstitions, les faiblesses regagnent de l'espace : il faut toujours consolider, remmailler les filets , ce qui explique ces missions à répétition en Basse-Bretagne et le relais des missionnaires lazaristes, très présents en Haute-Bretagne, secondés par les séculiers acquis à la cause.Quant à certaines contrées, elles restent longtemps hostiles et fermées à la vague missionnaire.
Et puis l 'Histoire s'embrouille: à partir de 1675, les révoltes bretonnes éclatent , Papier Timbré et Bonnets Rouges, les villes s'embrasent, le pouvoir est défié: la répression est impitoyable. Le duc de Chaulnes, gouverneur de Bretagne, sollicite l'aide de Julien Maunoir pour raisonner les consciences : ce sont les missions dites "militaires". Avait-on alors le choix?
Le discours de Julien Maunoir peut paraître radical, presque manichéen,il s'inscrit dans le courant de la Réforme catholique au XVIIe et traduit le souci doctrinal et pastoral de l'Eglise, une volonté d'implantation missionnaire qui a sublimé les énergies et fait des héros et des saints; certes les armes de la conversion -la culpabilité, la crainte, la beauté des cérémonies, le merveilleux chrétien - qui visent un public simple et souvent démuni passent pour rudimentaires mais la conscience de servir et d'éléver les coeurs reste exemplaire.
Jean-Paul Gallais
Clichés: auteur.
Sources:
- Eric Lebec, Miracles et sabbats, Journal du Père Maunoir.Missions en Bretagne,1631-1650, traduit du latin par Anne-Sophie et Jérôme Cras,Paris,1997.
- Alain Croix, L'âge d'or de la Bretagne 1532- 1675. Editions Ouest-France université,1993.
- Fanch Morvannou, Julien Maunoir: missionnaire en Bretagne, Tome I éd. Auteur.
Autorisation de reproduction : Société d'Histoire et d'Archéologie
A suivre:III)Julien Maunoir à Fougères et à la Chapelle-Janson.