lundi 25 août 2014

THERESE DE MOELIEN,II : l'arrestation et l'exécution



 L'ARRESTATION ET L'EXECUTION  de THERESE DE MOELIEN



   Le 9 mars 1793, la municipalité fougeraise lui refuse un certificat de résidence au motif que « la citoyenne Moëlien qui a été 15 jours absente sur quatre mois : temps suffisant pour émigrer sur le territoire anglais ». Le 25 mars suivant, le policier Lalligand[23] et l’espion Sicard qui savaient que Thèrèse de Moëlien détenait un reliquat des fonds de la Conjuration – il était estimé à mille louis d’or – obtiennent sans difficulté un réquisitoire de la municipalité pour procéder à une réquisition à son domicile. 
Ce document est conservé aux Archives Nationales dans un dossier-manuscrit comportant quatre gros volumes sur la Conspiration de La Rouërie[24]. Il est intéressant de rapporter ici le procès-verbal de cette perquisition. On s’aperçoit que Thérèse avait pris toutes ses précautions pour n’impliquer personne et que finalement, le policier fit chou blanc :

« L’an 1793, 2ème de la République Française, le vingt-cinq mars, aux 10 h. du matin, Nous, Jean-François-Pierre Le Bouc, juge de paix et officier de police de la ville de Fougères, ayant avec Nous pour adjoint Jean-Baptiste-René Pacorin, greffier de paix de la 2ème section, vu l’indisposition de notre greffier ordinaire, rapportons que sur la réquisition à nous faite par le citoyen Le Nicolais[25], Commissaire du département, de nous transporter chez la demoiselle de Moëlien aux fins d’ordres donnés par les Députés Commissaires de la Convention Nationale pour faire visite et perquisition de tous les objets qui pourront se trouver suspects dans ses appartements et meubles. En conséquence, nous nous y sommes transportés et parlant à Thérèse de Moëlen nous lui avons annoncé l’objet de notre commission en lui communiquant les pouvoirs susdits ; elle a déclaré ne s’opposer à ladite visite, et nous a aussitôt remis les clefs d’un secrétaire étant dans son appartement situé sur le jardin et à l’Orient. Ouverture faite dudit secrétaire, nous y avons remarqué quelques papiers dont nous avons fait l’examen et dont nous n’avons pas cru devoir nous emparer, ne consistant que dans des lettres indifférents, titres de propriétés, livres, papier blanc et autres effets que nous avons remis dans ledit secrétaire, dans l’ordre que nous les avons trouvés, l’avons fermé de ses clefs. Ouverture faite d’une commode ou chiffonnier, nous n’y avons trouvé que des effets à l’usage de ladite de Moëlien. Entrés dans la bibliothèque ou cabinet de toilette, nous n’y avons trouvé que des livres et une toilette dans un corridor où nous avons fait l’ouverture d’une armoire qui ne contient que des robes à l’usage de la même, linge de table et autre. N’ayant d’autres appartements à vérifier, nous avons demandé à voir la cave ; l’ayant examinée exactement, nous n’avons trouvé rien de suspect. Après quoi, ayant fait ouvrir une autre armoire, nous n’y avons trouvé que des livres, quatre épaulettes dont deux en or et deux en argent, une croix de l’Ordre de St Cinnatus (sic)[26] avec un coupon de ruban bleu, bordure blanche, destiné à la décoration de la croix. Nous nous sommes saisis de ces derniers objets pour remettre à l’Administration du District. Dans la cuisine, nous n’avons rien trouvé de fermé qu’une malle contenant des effets appartenant à Nanon, sa femme de chambre qu’elle a dit être partie dans l’espoir de se marier à Vannes, son pays.


Demandé : Depuis quand elle était partie et si elle n’avait rien emporté avec elle ?


Répond : Partie d’hier et n’avait emporté que des choses indispensables à son usage.


Demandé : Lui avons demandé qu’elle devait avoir son adresse pour lui faire passer ses effets.


Répond : Qu’elle devait l’envoyer à une de ses amies à Rennes dont elle ne se rappelle pas le nom, que du reste elle lui avait promis de lui écrire à son sujet.





Dont de tout ce que nous, juge susdit avons, en présence de C. de la Touche, procureur sindic du District de Fougères, rapporté le présent procès-verbal pour être déposé au District et servir ce que de raison et avons envoyé l’apposition des scellés à mettre sur les effets et les portes des appartements.


Signé : Thérèse de Moëlien, de la Touche, procureur sindic, le Bouc, Pacorin ».



   Bien que ne trouvant rien de compromettant dans l’appartement de Thérèse de Mollien, on y apposa les scellés comme l’indique le procès-verbal également conservé : « Aux deux heures de relevée, Nous, juge susdit, assisté du même Pacorin, nous nous sommes transportés en vertu du renvoi du matin de ce jour en la demeure de la demoiselle de Moëlien pour apposer les scellés sur la porte des appartements de ladite de Moëlien, et être aux fins d’ordre du citoyen Clinchamp, administrateur du département, du 25 de ce mois. Et icelle, demoiselle Moëlien sortie, les portes fermées, nous y avons apposé notre cachet de cire verte aux deux extrémités, après nous être saisi des clefs, ayant remis au citoyen Le Breton les clefs, qui sont celles de la cave, du portail d’entrée, être suivant la recommandation nous en faite par ladite de Moëlien dont et du tout ce que dessus nous avons arrêté le présent sous notre seing et celui de notre adjoint. Signé Le Bouc, Pacorin. – Pour copie conforme au procès-verbal déposé au secrétariat du District de Fougères – signé Baron ».


Thérèse de Moëlien, dès la perquisition terminée, aurait pu essayer de s’enfuir. Elle n’était pas présente lors de l’apposition des scellés. Chercha-t-elle à le faire ? Nous n’en savons précisément rien. Par ailleurs, le procès-verbal de son arrestation ne nous est pas parvenu. Mais si l’on croit une lettre de Sicard, l’espion envoyé pour infiltrer la Conjuration, on peut supposer qu’elle n’en fit rien : « Parti pour Fougères ou les environs, écrit-il, le but que je me proposais était l’arrestation d’un des agents femelles de la Conjuration Bretonne, la demoiselle Thérèse Moëlien Trojoli. Mon but est rempli, je l’ai remise hier, entre cinq et six heures du matin, dans les prisons de Rennes. Le citoyen Lalligand-Morillon, malgré sa grande activité, n’avait sans doute encore pu la découvrir ; la prise, selon lui, était cependant importante dans tous les genres, puisqu’il avait assuré qu’outre les renseignements qu’elle pourrait donner, il savait qu’elle avait un dépôt de 1.000 louis en or. Il avait peut-être des motifs pour le dire ; je pourrai communiquer mes idées à ce sujet à mon retour à Paris, mais un fait très certain, c’est que les perquisitions les plus exactes ont été faites par mon ordre et sous mes yeux ; et moi aussi j’ai fait sonder les caves, mais je n’ai rien trouvé. Elle avait été prévenue qu’elle ferait sagement de s’éloigner, mais ne se croyant pas coupable, elle n’a pas voulu s’éloigner. J’ai été obligé de communiquer ma mission au citoyen Sevestre, député ; je lui ai demandé un réquisitoire pour les administrateurs de Fougères, qui leur enjoignait de s’entendre avec moi pour l’arrestation de la Nymphe.

« Morillon est de retour à Rennes, il a appris le fait. Il a été surpris, inquiet ; il est allé voir la belle prisonnière et l’a beaucoup questionnée pour savoir qui l’avait arrêtée ; il lui a reproché de n’avoir pas suivi le conseil qu’il lui avait fait parvenir depuis quelques jours. J’insiste donc pour qu’on soit très réservé avec Lalligand-Morillon, qu’on ignore surtout ou qu’on feigne d’ignorer, même au Comité, l’arrestation de Thérèse Moëlien, et surtout ne lui remettez pas un sol jusqu’à mon arrivée à Paris… ». 

A la lecture de cette lettre, on s’aperçoit que l’envoyé de la Convention, Sicard, se méfiait de Lalligand, le soupçonnant même de collusion. Quel conseil avait-il donné à Thérèse pour ensuite lui reprocher ne pas l’avoir suivi après qu’il eût découvert son arrestation et son emprisonnement ? Etait-ce la couverture de sa fuite moyennant quelques louis d’or, sans doute convoités ? Tout le monde savait que Lalligand s’y entendait pour se procurer de l’argent et que son honnêteté n’était pas sans reproche. Mais Thérèse qui était d’une autre trempe, avait sans doute refusé cet arrangement d’où la crainte de Lalligand d’être compromis. Elle le laisse quelque peu entendre dans la lettre écrite à Louis de La Haye Saint-Hilaire que l’on trouvera ci-dessous. 

Thérèse de Moëlien fut écrouée le 26 mars 1793 à la prison de la Tour le Bât à Rennes, elle y retrouva ses amis arrêtés à la Guyomarais et à la Fosse-Hingant. Tous les prisonniers furent bientôt transférés à la prison de l’Abbaye à Paris. Quelques jours avant son transfert à Paris, Thérèse adressa à son ami Louis de La Haye Saint-Hilaire cette très belle et émouvante lettre :





 Louis de La Haye-Saint-Hilaire


« Je ne puis quitter ce pays, Monsieur et véritablement cher ami, sans vous témoigner ma sensible reconnaissance sur les marques réitérées des sentiments délicats qui vous attachent à moi depuis une époque très reculée. Croyez que je les ai su apprécier, et que mon cœur, susceptible d’amitié seulement de pouvoir les partager, a goûté un véritable plaisir à les retrouver. Mais combien ne suis-je pas alarmée des vives inquiétudes auxquelles cette amitié doit vous exposer ! Je veux vous rappeler ici, Monsieur, notre dernière entrevue ; elle a dû vous convaincre que ma détermination à m’exposer à toute la vicissitude des événements qui semblaient fermenter ne pouvaient provenir que d’une indifférence parfaite sur tout ce qui ne pouvait que m’être personnel. Ne craignant point la mort ou presque la désirant, qu’avais-je à craindre ? Aussi n’ai-je pas daigné bouger pour assurer ma liberté et ma sûreté personnelles.

« Qu’on est heureux, Monsieur, dans la situation orageuse où je me trouve, d’envisager d’un œil stoïque tous les événements de la vie ! Ils ne me coûteront ni soupirs ni larmes ; la force de mon mépris pour quelques individus ne me portera pas même au sentiment pénible de la haine. Je plains les hommes d’être nés aussi méchants, leur enfer est dans leur cœur ; comment peuvent-ils s’y replier sans souffrir toutes les douleurs du remords ! L’honnête homme peut-il envier leur prospérité ? Elle n’est qu’apparente ; il n’est point de bonheur réel pour celui qui est mécontent de lui, comme il n’est point de peine insurmontable pour l’âme courageuse dont le cœur est sans remords et sans reproches. Il peut avoir des regrets, mais il est sans tourments ; c’est le partage des méchants.

« Je ne crains qu’une chose, c’est de connaître la sensibilité de mes amis ; mais je me flatte que la raison la modèrera ; je veux la fortifier. Pourquoi me regretteraient-ils outre mesure puisque je regrette si peu ? Mon ami, qu’ai-je à perdre ? Un reste de jours malheureux que rien ne saurait rendre au bonheur. Depuis le 15 octobre 87, il ne m’a plus été possible de goûter de vraie jouissance ; en 88, j’ai acquis une liberté plénière, ce que j’avais le plus désiré au monde après la conservation de…( ?) n’est plus. Je n’ai joui de rien, vous le savez, depuis tout ce qui m’est arrivé, et si j’ai lieu de regretter la vie, serait-ce donc une décrépitude prochaine car ma santé est très affaiblie. Pourrai-je former le désir de nouveaux liens ? Je n’ai trouvé dans les seules jouissances vives dont mon âme était susceptible que la source des peines les plus amères. Non, je ne veux plus rien aimer très fortement, et cesser d’aimer pour une âme sensible c’est végéter.

« Plaignez mes destinées, âme généreuse, mais ne regrettez pas ma fin ; je cesse d’être pour ce monde, et c’est peu de chose. Ne vous affligez donc pas quel que soit mon sort, car cela m’affligerait encore, et je ne veux conserver qu’un souvenir doux de vous, de votre amitié. Adieu ! regrettez-moi un peu, mais pas trop.

« Je pars après-demain, le Tribunal nous attend, je ne le crains pas ».

Signé : Th


Puis elle ajoute encore : « N’allez pas croire, mon ami, à la mélancolie de mes réflexions que mon âme soit abattue et triste ; non ; depuis que je suis en prison je ne souffre pas la moitié autant, et presque plus pour moi, aussi ai-je repris une partie de ma gaîté naturelle et je crois qu’elle me surviendra jusqu’au dernier moment. J’ai infiniment à me louer de mon étoile dans mon infortune apparente ; j’ai eu le bonheur de me trouver entre les mains d’un homme honnête, délicat et sensible dont j’ai à me louer sur tous les points, aussi suis-je au mieux. Soyez donc sans inquiétudes ; il n’y a à craindre que la fermentation de Paris ».

Dans le haut de la lettre, Thérèse ajouta : « Je pars vendredi pour Paris ». Soit le 19 avril 1793.Cette lettre est conservée à La Haye dans un portefeuille blanc sur lequel a été fixé un papier portant ces lignes :

« Ce portefeuille, fait d’un des gants de Thérèse-Joséphine de Moëlien, renferme :

« Une lettre qu’elle m’écrivit quand elle fut arrêtée ;

« Ses cheveux dans un ruban ; elle les coupa lorsqu’elle fut condamnée ;

« Des épaulettes qu’elle portait sur un habit d’amazone.

« Que ceux entre les mains desquels pourraient tomber ces restes sacrés respectent les dépouilles de la vertu et du courage ; qu’ils les remettent à mes neveux.

« Louis de La Haye Saint-Hilaire ».



 Archives  de LA HAYE-SAINT-HILAIRE.
Les cheveux châtains assez foncés qui forment une grosse boucle, furent coupés à la Conciergerie ; Thérèse les remit à un inconnu qui les achemina jusqu’à son destinataire. Les épaulettes, très petites, sont en drap bleu de roi, la patte de forme triangulaire, est bordée d’un galon d’or d’environ un centimètre ; la frange est d’or à petit grain ; la longueur de la patte est de six centimètres ; celle de la frange un peu moindre.

 Thérèse et ses compagnons d’infortune purent entrer en rapport avec un prêtre réfractaire, enfermé lui aussi dans un cachot de la tour. Une religieuse leur apporta, cachées dans la bavette de son tablier et enveloppées dans un corporal, cinq hosties consacrées qu’ils se partagèrent pour se communier eux-mêmes.

 Le 22 avril 1793, Thérèse de Moëlien quittait sa prison de Rennes avec une vingtaine de détenus. Une longue route attendait le convoi composé d’hommes et de femmes entassés dans des voitures et des chariots, sur de la paille. Seuls les hommes avaient été enchaînés. L’escorte se composait d’une centaine de gendarmes et de gardes nationaux conduits par Sicard et Lalligand. On passa la première nuit à Vitré où il y eut quelques incidents, puis le convoi passa à Laval, Mayenne, Alençon, puis Dreux où il y eut quelques tumultes. A Versailles, une foule d’hommes et de femmes déguenillés et ivres huèrent les Bretons, criant « A bas les têtes ! ». Afin d’éviter le pire, le convoi fut mis à l’abri dans la cour de la mairie. La municipalité procéda à des interrogatoires et décida de promener les prisonniers dans les rues de Versailles pour satisfaire la foule. 

On procéda donc à une parade ignoble, obligeant les femmes à prendre le bras d’un officier municipal et les hommes à se faire accompagner d’un gardien. On promena ainsi le cortège sous un déluge de menaces et d’injures obscènes. A la tombée de la nuit, tous les prisonniers furent entassés dans le même cachot. Epuisés de fatigue et de frayeur, ils ne purent se reposer un seul instant tant, à l’extérieur, la foule hurlait. Lorsque, enfin, au milieu de la nuit, le calme fut revenu, le convoi repartit vers Paris où il arriva le 22 mai, soit un mois jour pour jour après le départ de Rennes ! 

 A la prison de l’Abbaye, on logea les cinq femmes dans la même cellule « où deux personnes n’auraient pu vivre à l’aise ». Les hommes, quant à eux, retrouvèrent nombre des détenus qui attendaient leur jugement. Ils furent bientôt rejoints par Georges de Fontevieux et Louis du Pontavice, membres de l’Association Bretonne qui, cachés à Paris, ont été cueillis sur  indications du traître Chèvetel.


Le 31 mai, un arrêté transférait les Bretons à la Conciergerie. Le 4 juin, leur procès commençait. Une foule compacte de curieux remplit le prétoire et le tumulte grandit lorsque parurent les 27 accusés[27], suivis de quelques défenseurs, des témoins cités, de douze jurés[et des magistrats : le président Jacques Montané, quatre juges,l’accusateur public, Fouquier-Tinville et le greffier qui se fait appeler Fabricius.

 Lors de son interrogatoire, Thérèse fait courageusement face au président et s’étonne que son cousin qui, dit-on, préparait tant de crimes ait pu avoir autant d’amis et de partisans. Elle se défend énergiquement. Alors que le président Montané lui rappelle que Bougeard, le valet de chambre de La Rouërie avait affirmé que son maître avait l’intention de détruire Antrain et Pontorson après en avoir passé tous les habitants au fil de l’épée, ce qui était absurde évidemment, Thérèse lui répondit : « Bougeard est un ivrogne. D’ailleurs, citoyen, si mon cousin avait été l’homme que vous dites, croyez-vous qu’il aurait compté de si nombreux partisans ? ». Montané n’insista pas. Il parle alors de la liste des affiliés à la Conjuration et des 1000 louis d’or qu'elle a fait disparaître, citant sur cette affaire, Billaud-Varenne comme témoin. Celui-ci s’en tire par une pirouette en citant Lalligand (le grand absent du procès) et son collègue Bazire qui refuse de répondre lorsque Fouquier-Tinville le cite à la barre. Les avocats des prévenus eurent beau demander les comparutions de Lalligand et de Chèvetel, principaux acteurs de l’affaire, ils ne furent pas écoutés. On craignait trop leur témoignage, l’affaire était jugée d’avance.


Quant à Monsieur de la Guyomarais accusé d’avoir reçu chez lui le marquis de la Rouërie, il reconnut volontiers le fait mais précisa qu’il était le seul, dans sa famille, à être en relation avec lui. Il espérait ainsi sauver sa femme et ses enfants également inculpés, ce qui ne fut malheureusement pas le cas.    


 Château de  La Guyomarais, Saint-Denoual (22) où La Rouërie avait trouvé refuge.


près les interrogatoires au cours desquels certains accusés firent preuve d’une grande abnégation en refusant de dénoncer d’autres personnes, l’accusateur public fit ses réquisitions contre chacun des prévenus. Contre Thérèse de Moëlien, il déclara « qu’elle était une des agentes de l’association contre-révolutionnaire et particulièrement de La Rouërie ; qu’elle était occupée à faire des distributions d’argent et d’assignats, pour séduire les citoyens et les entraîner dans le parti de l’association ; qu’elle recevait à cet effet de Desilles, père, des sommes d’argent, ainsi qu’il résulte des notes de paiements faits, trouvées lors de la perquisition faite dans la maison dudit Desilles, sur l’une desquelles on lit : à Mlle de Moëlien 400 livres, et sur une autre on lit : à Mlle de Moëlien 138 livres ; que lors de la perquisition faite chez elle, il y a été trouvé quatre épaulettes de capitaine, dont deux en or et deux en argent, une médaille de l’Ordre de Cincinnatus et un coupon de ruban servant à la décoration dudit ordre » 

Le 18 juin 1793 au matin, le Tribunal révolutionnaire rendit son verdict : douze des prévenus étaient condamnés à mort : M. et Mme de La Guyomarais, Thébault de La Chauvinais, Picot de Limoëlan, Morin de Launay, Locquet de Grandville, Groult de La Motte, Jean Vincent, Louis du Pontavice, Georges de Fontevieux, Thérèse de Moëlien et Angélique de La Fonchais, tous accusés d’être complices de la conspiration. Leurs biens devaient être saisis au profit de la Nation. François Perrin, le jardinier de la Guyomarais et Joseph Le Masson, chirurgien, furent condamnés à la déportation en Guyane. Les autres furent acquittés.

 UNE FIN STOÏQUE
  
 

Pour les condamnés à mort, le jugement stipule qu’ils seront exécutés le jour même sur la place de la Révolution ; ils ne rentrèrent pas à la Conciergerie mais furent dirigés vers douze prêtres assermentés qui, dans une salle, les attendaient pour leur offrir la dernière consolation de l’Eglise. Les Bretons refusèrent leur ministère. En attendant leur exécution, on leur permet de se faire leurs adieux et d’écrire une lettre qui ne parviendra jamais à leurs destinataires; elles  seront retrouvées un siècle et demi plus tard dans les cartons du pourvoyeur de la guillotine, Fouquier-Tinville, conservées mais oubliées aux Archives Nationales.


Enfin le bourreau et ses aides arrivèrent pour faire la « toilette » des condamnés. Les chevelures tombèrent – ce fut en ce moment que Thérèse parvint à soustraire une mèche de ses cheveux – ils lièrent les mains de leurs victimes. Ces préparatifs terminés, ils montèrent tous dans les charrettes qui devaient les conduire au lieu d’exécution. Fouquier-Tinville avait cru prudent de réquisitionner une force armée importante. Craignait-il  quelque agitation en faveur des Bretons car des bruits couraient au sujet des condamnés. Mais les voilà… elles arrivent ces charrettes escortées de gendarmes dans lesquelles cahotent les condamnés, debout, pressés les uns contre les autres, parlant paisiblement entre eux, quelques-uns des hommes souriant.


La foule est ébahie, les curieux échangent leurs impressions, le silence se fait, pas de haine, pas de poings levés comme on avait pris l’habitude de le voir en ces sinistres circonstances. Les condamnés sont calmes et résignés, ils font preuve d’un sang-froid qui étonne. La jeunesse des femmes saisit les cœurs. Descendus des charrettes, voilà qu’ils s’embrassent, ce qui émeut la foule. Bien que les mains soient liées, les lèvres tremblantes s’effleurent et bredouillent « adieu ! », « courage ! » tandis que des larmes silencieuses coulent sur les joues. Il est trois heures de l’après-midi.


Dans la foule, un témoin de premier ordre, est là. C’est Louis de La Haye Saint-Hilaire qui, sous un déguisement, est venu assister à l’exécution de ses amis. Dominant son chagrin, resté silencieux pendant le temps de l’exécution, il quittera discrètement la place au moment où l’on emporte les corps.


Le bourreau a pris sa place, ses aides s’affairent, un des condamnés monte les marches de l’échafaud, se retourne pour saluer, rapidement il est entouré, garrotté, basculé, le couteau tombe, puis c’est un autre et encore un autre, en douze minutes le travail est terminé.


Plus tard des témoins de la scène ont rapporté : « Tous s’embrassèrent au pied de l’échafaud, tous périrent avec une dignité pleine de courage et en criant Vive le Roi ! Mais, au milieu de ces infortunés, morts, aux dires des journaux républicains, « avec la gaîté de fanatiques qui se croient des martyrs », le peuple admira cette belle Thérèse de Moëlien qui n’avait pour ses juges qu’un sourire de mépris… »

On lit encore : « Tandis que les charrettes prenaient le chemin du cimetière de la Madeleine, la foule se dispersait… Les gens du peuple et surtout les femmes disaient de la grande demoiselle – Thérèse de Moëlien - : « Ah ! comme elle avait une belle peau ! Comme elle avait les cuisses blanches ! » parce que son jupon s’était accroché lorsqu’on l’avait jetée sur le monceau ensanglanté » et « Thérèse de Moëlien De fougères ! montra beaucoup de fermeté en allant au supplice, et au pied de l’échafaud, elle embrassa le jeune Pontavice qui périt avec elle ».

Le procès-verbal de l’exécution de Thérèse est ainsi conçu :


« Procès-verbal d’exécution à mort. Moëlien Defougères.

« L’an mil sept cent quatre vingt-treize, deuxième de la République Française, le 18 juin après midy, à la requête du citoyen accusateur public près le Tribunal Criminel extraordinaire et révolutionnaire établi à Paris par la loi du 10 mars 1793, sans aucun recours au Tribunal de Cassation, nous, huissiers soussignés, nous sommes transportés en la maison de justice dudit Tribunal pour l’exécution du jugement rendu ce jourd’huy duement en forme contre Thérèse Moëlien Defougères qui la condamne à la peine de mort pour les causes énoncées audit jugement, et de suite l’avons remise à l’exécuteur des jugements criminels et à la gendarmerie qui l’a conduite sur la place de la Révolution cy-devant Louis XV, où sur un échafaud dressé sur ladite place, ladite Moëlien Defougères a, en notre présence, subi la peine de mort, et le tout ce que dessus avons fait et rédigé le procès-verbal pour servir et valoir ce que de raison, dont acte ».

signé : « Boucher, Tavernier, Enregistré gratis à Paris le 20 juin 1793 ».


Le 11 décembre 1794, à Fougères, on vendait le mobilier de Thérèse au profit de la Nation. Le propriétaire, Roch Lebreton[28], n’avait pas touché de loyer depuis l’arrestation de sa locataire. Les scellés ayant été apposés, la location avait été gelée. Il réclama donc le paiement du loyer…. à la Nation. Le document a été conservé, il est ainsi conçu : « Pierre Lebreton, procurateur de Roch Lebreton son frère, demande paiement de 180 livres pour deux années de jouissance du loyer de la maison occupée par Thérèse de Moëlien, confisquée par la Nation. Bail du 7 octobre 1790 – elle devait les réparations locatives ». Nous ne savons s’il obtint satisfaction.

 Avant son exécution, Thérèse de Moëlien écrivit une lettre à sa tante, Pauline de La Bélinaye : 

« A la citoyenne Vendel à la maison de la Trinité à Fougères,

« Ce 18 juin,

« Je serai près de l’Eternel, mon amie, lorsque vous recevrez cette lettre, j’espère que le pardon de mes ennemis m’y obtiendra celui de mes fautes, de mes crimes envers lui, car l’oubli fréquent de ses bienfaits en est un sans doute qui ne pouvait être trop racheté et le sacrifice de quelques années ce n’est pas grand chose pour qui sait apprécier la vie à sa juste valeur ; l’arrêt de ma mort ne m’a rien fait éprouver, toutes les tribulations que j’ai essuyées depuis mon arrestation m’ont suffisamment dégoûtée de la vie, et le spectacle continuel des malheureux est bien propre à cet effet.

« Adieu ma pauvre amie, ne me regrettez point, je meurs avec confiance et presque avec joie. A quel beau banquet je serai ce soir, mon amie, je vous y attendrai ; vos vertus vous y appellent, je n’avais rien à me reprocher envers les hommes, je n’ai jamais eu que des sentiments d’humanité, je souhaite sincèrement le bonheur de ceux qui me conduisent au tombeau ; mais envers Dieu, mon amie, je n’étais pas aussi innocente ; je l’aimais mais le servais mal, j’espère qu’il me le pardonnera ; que mes amis ne pleurent donc pas mon bonheur, nous nous y réunirons tous, soyez l’interprète de tous mes sentiments pour eux.

« Adieu, ma malheureuse amie, j’ai pris toutes les précautions dont il m’a été possible pour vous faire passer le reste des assignats que vous m’aviez prêtés ».


D’autres lettres des condamnés exécutés ce 18 juin 1793 sont transcrites par Olivier Blanc dans son ouvrage[29]. On y trouve notamment les lettres écrites par Nicolas-Bernard Groult de La Motte, Jean-Baptiste-Georges de Fontevieux, Guillaume Morin de Launay, Georges Vincent, Marie-Jeanne La Motte de la Guyomarais, Louis-Anne du Pontavice, Félix Locquet de Granvillen, Angélique de La Fonchais et Michel-Alain Picot de Limoëlan.


Ce fut ainsi que s’acheva dans le sang l’Association Bretonne, la Conjuration du marquis de La Rouërie qui, s’il n’était mort prématurément, aurait pu réussir, ce qui aurait changé le cours de l’Histoire de France.


 Le marquis de La Rouërie
Quant à Chèvetel, le médecin de Bazouges en qui le marquis avait fait aveuglément confiance, il se garda bien de revenir en Bretagne après l’exécution des amis de La Rouërie. Il veut jouir de la fortune qu’il a amassée et cherche à se faire oublier. Comme il craint les représailles des parents ou des amis de ses victimes, il se retire à Orly, au Sud de Paris, petite localité où il trouve le calme qu’il recherche. Il se marie avec son ancienne maîtresse, Mademoiselle Fleury, une artiste de théâtre qui appartient à la Comédie Française. A Orly, les époux Chèvetel font figure de braves bourgeois et deviennent, tour à tour, d’honnêtes républicains, de dévoués impérialistes ou de fidèles royalistes. En 1811, Chèvetel devient maire d’Orly, fonction qu’il exerce avec autorité, obséquieux lorsqu’il s’adresse à des gens bien placés, il devient dur avec ses administrés, allant jusqu’à jeter en prison les maris gênants. Faisant siens tous les changements de régime de l’époque, d’une basse servilité et d’une hypocrisie sans borne, il conserve son poste jusqu’en 1830. Veuf en 1818, il meurt à Orly le 15 février 1834. Il est devenu un vieillard presque misérable qui, après avoir mené une vie assez large, a gaspillé la plus grande partie de sa fortune.


Quant au fidèle major George Schaffner qui avait suivi en France son ami Armand de La Rouërie et qui montrait, nous l’avons vu, de l’intérêt à Thérèse de Moëlien, après s’être réfugié quelque temps à l’étranger, il revint en France pour rejoindre l’Armée vendéenne où il combattit vaillamment. Fait prisonnier, il mourut victime des noyades de Carrier à Nantes.


                                                                Marcel Hodebert






[23] Chèvetel qui se disait ami de La Rouërie et de la Conjuration révéla toute l’affaire à Danton qui, dès septembre 1792, chargea le Conseil exécutif d’organiser l’infiltration et le démantèlement de l’Association Bretonne. Pour ne pas éveiller les soupçons, on désigna Lalligand-Morillon pour jouer le rôle d’intermédiaire entre Chèvetel et le Comité de Sûreté générale et on lui confia un rôle de police important qui comprenait notamment celui d’arrêter les suspects. Après son « œuvre » achevée en Bretagne, il retourna à Digoin, en Saône-et-Loire, son pays d’origine où il continua son métier de dénonciateur, y trouvant l’occasion de se faire remettre de grosses sommes d’argent. Il fut dénoncé par des républicains indignés, arrêté et accusé de prévarication. Il fut condamné à mort et exécuté.

[24] Archives Nationales : W 274 (15).

[25] Il s’agit de Le Nicolais de Clainchamps, ardent révolutionnaire, qui avait fait construire un bel hôtel particulier que l’on voit encore au Pont-Dom-Guérin, près de la chapelle Saint-Clair, en La Bazouge-du-Désert.

[26] Le greffier Pacorin semble ignorer complètement l’Ordre de Cincinnatus et il n’avait jamais dû relever ce saint sur un calendrier.

[27] Joseph de La Motte La Guyomarais (50 ans), ; Marie Jeanne Micault, sa femme (50 ans) ; Amaury, leur fils (20 ans) ; Casimir, frère du précédent (15 ans ½ ); François Perrin, leur jardinier (43 ans) ; Elie de La Chauvenais, demeurant à la Guyomarais (22 ans) ; Julien David, domestique des de La Guyomarais (22 ans) ; Charles Taburel, médecin (48 ans) ; Jean-Baptiste Morel, médecin (40 ans) ; Joseph Le Masson, chirurgien (64 ans) – les trois sont venus au chevet de La Rouërie - ; Michel Picot de Limoëlan (59 ans) ; Angélique Desilles épouse de Jean de la Fauchais (22 ans) ; Jeanne Desilles veuve de Henri Dufresne-Virel (27 ans) ; Marie-Thérèse Desilles épouse de Louis Fournier D’Alleyrac (25 ans) ; Guillaume Delaunay (57 ans) ; Félix  Locquet de Gandville (34 ans) ; Nicolas Groult de La Motte (50 ans) ; Louis Thomazeau (53 ans) ; Thérèse de Moëlien (30 ans) ; Jean-Baptiste-Georges de Fontevieux (34 ans) ; Louis Anne du Pontavice (36 ans) ; Georges Vincent (48 ans) ; Mathurin Micault de Mainville (42 ans) ; Frédéric de La Vigne Dampierre (35 ans) ; Pierre Le Petit (29 ans) ; Toussaint Briot (63 ans) et Jean-Guillaume Briot (29 ans).

[28] Roch Lebreton devint député de Fougères à la Convention. Il ne vota pas la mort de Louis XVI mais la réclusion à perpétuité.

[29] « La dernière lettre – Prisons et condamnés de la Révolution », par Oliver Blanc, chez Robert Laffont 1984, pages 119 et suivantes.