vendredi 26 avril 2019

RESISTANTS FOUGERAIS : GASTON MENTEC

      Gaston Mentec, de la prison de Fougères
                au camp de Mauthausen


 
 De gauche à droite: Félix Bodenan et Gaston Mentec

 

        Homme de l’ombre, Gaston Mentec est arrêté avec Félix Bodenan dans la nuit du 31 mars au 1er avril 1942, boulevard Edmond Roussin, à Fougères. Ils militent au parti communiste, depuis leur adhésion en janvier 1939. Le parti est dissous et interdit par le gouvernement français en septembre. Aussi les militants vivent-ils dans la clandestinité.

      Cette nuit fatale,  ils distribuent des tracts communistes et sont arrêtés par des agents de police français. Gaston Mentec a déjà fait l’objet d’un rapport du commissaire de police pour distribution de tracts dans la nuit du 6 au 7 juillet 1941, puis dans celle du 11 au 12 juillet. Le quartier concerné est celui de Bonabry, précisément le quartier du « Tonkin » (périmètre de la rue des Feuteries et de la rue Kléber) où vivent la plupart des suspects d’activités militantes.

      Le réseau « Front National » auquel ils appartiennent, est l’objet d’une surveillance étroite, dans l’attente de le décapiter, mais les réseaux de résistance s’organisent de plus en plus, surtout dans le courant de l’année 1943.

             Homme de l’ombre, Gaston Mentec est quelqu’un de très discret. Il s’étonnera qu’on puisse écrire ses mémoires, à l’issue de la guerre. Lui préférera rencontrer les jeunes des écoles pour donner son témoignage.

 

      Une enfance dans le quartier de Bonabry




Gaston Mentec à l'âge de 18 ans.
 
 
     Gaston  Mentec est né  à Fougères le 28 janvier 1921. Le quartier de Bonabry est rempli d’usines et la population est ouvrière. Sa famille est marquée par la grève de la chaussure de 1932, puis par la victoire du Front populaire de 1936. Lui-même travaille à l’usine Houdusse-Herbel. Le parti communiste représente pour sa famille un espoir de lendemains meilleurs et  une occasion de militer. Janvier 1939, lui-même adhère au parti communiste, ainsi que Félix Bodenan. L’armistice de 1940 est, pour lui, un refus de l’occupation allemande et un chemin vers la Résistance. L’arrestation signifie, pour Gaston Mentec, le début d’un calvaire qui le conduira de prison en prison, après l’interrogatoire toute la nuit par la police.


 

      Dans les prisons françaises

 

      D’abord, une détention de 11 jours à la prison Saint- Roch de Fougères, rue de Vitré ; puis à la prison Saint- Hélier de Rennes où il est condamné par une cour spéciale à huit ans de travaux forcés ; à celle de Laval avec les condamnés de droit commun ;  à celle du Mans pour une nuit et celle de Caen où 1/3 des condamnés furent fusillés (33 sur 93 détenus politiques).

      Ensuite Gaston Mentec est dirigé sur la centrale de Fontevrault, le 14 juillet 1942. A l’intérieur de la prison, vexations, brimades mais aussi actes de résistance sont le quotidien d’une longue détention de 14 mois. Septembre 1943, Gaston Mentec est conduit à la prison de Blois comme un forçat : les détenus sont enchainés deux par deux aux mains et aux pieds.

    Il est toujours soumis aux ordres des Français. Le 18 février 1944, les choses basculent. Bruits de bottes, ordres hurlés et une grande silhouette à chapeau noir qui ordonne  « Pas un mot, pas un geste. A partir de maintenant, vous êtes sous l’autorité des Allemands ». La Gestapo et les Allemands prennent le relais d’une prise en charge musclée. Le visage bestial des nazis va se découvrir dans toute sa terreur. Les détenus sont embarqués dans des wagons à bestiaux, à la prison de Blois et dirigés au camp de Royal-Beaulieu, près de Compiègne.

 

    22 mars 1944 : Gaston Mentec découvre  le train de la mort

 

     Direction : le camp de Mauthausen (en Autriche). Les détenus se retrouvent à 120  par wagon. Le déplacement dure 3 jours et 3 nuits, sans eau. Le train s’arrêta avant Metz. L’ordre est donné à tous  de sortir et de se mettre nus ; les vêtements sont  récupérés et entassés dans un  wagon. Les détenus sont obligés de déménager et de rejoindre un wagon déjà complet. Ainsi 240 hommes nus se trouvent confinés dans un wagon conçus pour 40. Gaston Mentec livre un témoignage que sa famille a conservé : « J’y étais, un homme avait gardé sa chemise. Le garde allemand a tiré à bout portant. L’homme qui suivait a voulu lui porter secours. Il a été abattu. Je suivais juste derrière. Il a fallu prendre les deux corps avec nous ». « Dans le wagon, nous étions mains en l’air, debout, car il n’y avait pas de place pour les coudes. Je me suis trouvé au bout du wagon contre la paroi. Je me suis laissé tomber à genoux en face d’une fente dans le bois pour uriner. On était obligé de lécher les parois pour boire la buée. Pour les besoins naturels, c’était comme on pouvait ».






 Une des entrées du camp de Manthausen

  

L’escalier de Mauthausen

 
     L’arrivée au camp s’effectue dans la nuit, accompagnée de coups de crosse et de gourdin, sous la menace des chiens des SS. Un autre monde, cauchemardesque se déploie :entassement dans les blocs « en sardines », tête d’un détenu  contre les pieds de l’autre, à 500 par baraque ; présence d’un four crématoire, en activité jour et nuit. Gaston Mentec est affecté à la carrière aux 186 marches du camp qu’il faut monter chaque jour avec de grosses pierres.

Aucune faiblesse n’est tolérée, un détenu est précipité d’en haut à la moindre occasion. Son cadavre doit être rapporté au camp, pour l’appel. A la carrière, ceux qui flanchent sont tout de suite abattus. Gaston Mentec doit y rester du 22 mars au 5 mai 1944, malgré sa jambe raide suite à une coxalgie.



 L'escalier du camp de Manthausen qui conduisait à la carrière. Un des déportés
 pouvait être précipité par les SS du haut de la carrière.



Le kommando de Gusen

 
   A cette date de mai 1944, il est alors envoyé au Kommando de Gusen, une annexe de Mauthausen, où on dénombrera plus de 30000 morts.

   Il est  embauché comme cordonnier, les Allemands ayant compris qu’il  avait des talents de chaussonnier. Il répare les sabots des autres détenus, son activité de jeunesse à Fougères lui étant bien utile. C’est à ce moment que les deux amis, Félix Bodenan et Gaston Mentec sont séparés. Bodenan est dirigé sur le camp de Loibl-Pass, à la frontière de l’Autriche et la Yougoslavie, pour y creuser un tunnel.


  

La libération du camp

 

    Gaston Mentec est libéré le 5 mai 1945, par les Américains. Il est dirigé sur Linz afin de pouvoir être rapatrié par avion. Le 19 mai, il monte à bord d’un bombardier à destination de Bruyères-sur-Oise (département du Val-d’Oise). Il séjourne ensuite à l’hôtel Lutetia, à Paris. Il parvient, malade, à Fougères, le 21 mai 1945. Il ne pèse que 35 kilos.

 
Ses deux filles, Marie-Pierre et Marie-Claude, gardent un grand respect affectueux pour  leur père. Jamais il n’a aimé les honneurs. Il reçoit pourtant la Légion d’honneur de la part de Félix Bodenan, son camarade d’infortune. Après une vie professionnelle aux Contributions Indirectes, il rencontre les élèves des classes du pays de Fougères afin de témoigner de l’horreur des camps.




  

    Gaston Mentec est décédé le 16 décembre 1992. Une rue de Fougères porte désormais son nom. Sa famille a été très éprouvée, qu’il suffise d’évoquer les noms de Pierre Lemarié, père et fils. Pierre Lemarié, carrier, a été déporté à Buchenwald ; Pierre  Lemarié fils, le frère de Madame Mentec, est mort en déportation à Dachau. Par ailleurs, Marcel L’Armor, le mari de la sœur de Gaston Mentec, a été fusillé pendant la guerre. Ces hommes ont payé très cher le refus de la barbarie nazie  et la parole de Gaston Mentec dans les écoles suscitait un grand respect face à de tels engagements.


                                                                         Daniel Heudré 

 
       Sources :

 
*Témoignages de Madame Lainé (née Marie-Pierre Mentec) et de Madame Legros (née Marie-Claude Mentec)

 *Archives municipales de Fougères.