samedi 30 mai 2015

Le site d'ORANGE à VIEUX-VY-sur-Couesnon I : camp romain, château...


             ORANGE





Orange tient une place particulière dans l’histoire de Vieux-Vy-sur-Couesnon. Ce fut d’abord un site antique occupé par les Romains, puis le siège de la principale seigneurie de la paroisse près de laquelle s’inscrit aussi l’histoire bretonne notamment au moment de la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier.


C’est un lieu fort pittoresque qu’a joliment décrit M. Paul Dorange dans son manuscrit sur Vieux-Vy[1] : « Descendant la route qui traverse le bourg de Vieux-Vy-sur-Couesnon et se dirige vers Saint-Hilaire-des-Landes, le promeneur trouve sur sa droite une sorte de chemin creux raviné et rocheux dont l’entrée bordée de hautes rampes broussailleuses, de vieux arbres noués et tordus qui l’assombrissent, paraît peu engageante. Pourtant, s’il a la curiosité de s’y aventurer, une agréable surprise l’attend. Dès le premier détour, il voit le chemin s’éclairer, l’horizon s’élargir et il s’arrête devant la beauté du paysage. Le chemin dévale en pente raide vers la vallée du Couesnon, puis remonte vers un plateau dont les bords escarpés sont revêtus de bois, de landes et de rochers. Ce plateau domine la vallée du Couesnon et celle de l’Aleron qui l’encerclent de trois côtés et confondent leurs eaux à ses pieds. Deux hautes collines, la Lande Pavée et la Lande de Tanut[2], lui font face à l’Est et au Midi, étendant jusqu’aux rives du Couesnon leurs tapis d’ajoncs et de bruyères. Au Nord, de l’autre côté de l’Aleron, la tour carrée de l’antique église de Vieux-Vy, perdue dans les arbres, laisse apercevoir son toit arrondi que domine le coq gaulois et là-bas, tout à l’horizon, sur le ciel irradié par le soleil couchant, se détachent le soir les clochers de Sens-de-Bretagne, de Saint-Rémy-du-Plain et de Bazouges-la-Pérouse. La douce lumière du ciel breton éclaire ce paysage de rêve dont rien ne peut rendre l’intense poésie ».



                                       Vieux-Vy vu d'Orange, mars 2015



Quant à l’abbé Vigoland,historien de Vieux-Vy, il décrit le site d’Orange avec enthousiasme : « Là-haut vers le sud-est, c’est Orange, perché comme un nid d’aigle, au-dessus de la rivière, dans une situation admirable… A cet endroit, le coup d’œil est féérique. En face, on aperçoit le vaste coteau de Pavée, puis les splendides rochers du Roi qui dressent au-dessus du Couesnon leurs têtes gigantesques, et les falaises à pic qui surplombent tout ce côté de la rivière jusqu’à l’entrée du bourg. A droite, voici l’immense amphithéâtre de Tanut, couvert de sapins et de hêtres, et, là-bas, la longue vallée du Couesnon qui se prolonge vers le Moulin aux moines dans le plus merveilleux décor que l’imagination puisse rêver. Et tout ce paysage est entrecoupé de bois, de prairies, de vallons, de collines dont les teintes variées et les fines découpures sont un perpétuel ravissement. A gauche, le Couesnon s’encaisse profondément, passe au-dessus du bourg et de nouveau la vallée s’élargit, avec ses vastes prairies au milieu desquelles se déroule le ruban argenté de la rivière…. Il est difficile de trouver un coin de terre plus ravissant, une campagne plus pittoresque. Quand on l’admire, surtout un soir d’été, au moment où les dernières lueurs du soleil achèvent de mourir, on reste volontiers, dans une douce rêverie, en écoutant le tic-tac des moulins échelonnés sur la rive ou le bruit monotone du Couesnon qui écume. Il en est de ce paysage comme de la mer, il semble toujours nouveau et on ne s’en lasse jamais... ».






   Le camp romain




  Sans aller plus avant dans la description pittoresque et enchanteresse du site, Orange à une très longue histoire et le passage des hommes en ce lieu y a laissé des traces. L’antiquité du lieu se retrouve dans son propre nom ; Orange est l’un des rares noms d’origine celtique en Haute-Bretagne : Araurio qui veut dire « terrain en pente vers l’eau », nom qui s’applique parfaitement à sa situation. Le Couesnon qui serpente à ses pieds tire lui aussi son nom des trois mots celtes Gouës-en-ou qui signifie « ruisseau de l’eau, cours de l’eau ».


Naturellement défendu par la nature, le lieu attira tout aussi naturellement les hommes à s’y établir. Attirés par ce site, de nombreux archéologues y ont trouvé les traces de leurs retranchements et de leurs fortifications au temps des Gaulois, à l’époque romaine, au Moyen Âge, les historiens s’y sont intéressés également.

  Dans ses Commentaires, Jules César nous apprend que lorsqu’il envahit la Gaule il se heurta à la résistance des tribus gauloises retranchées en des lieux fortifiés qu’il appelle « oppidum ». Ces fortifications profitaient généralement de défenses naturelles formées de sommets abrupts entourés de vallées profondes et marécageuses, au milieu des bois. La partie accessible était renforcée par des retranchements de terre et des palissades. Ces camps voyaient arriver population et troupeaux à la moindre alerte. L’oppidum d’Orange répond à toutes ces caractéristiques et notre imagination peut vagabonder à souhait pour tenter de se figurer ce que pouvait être le site avant l’époque gallo-romaine.


  Avec l’invasion romaine, ces camps furent réutilisés et réaménagés par les nouveaux conquérants. Ce fut le cas à Orange où un véritable camp romain fut établi. Plusieurs historiens se sont penchés sur ce camp, comme de La Borderie, l’abbé Brune, Marteville et d’autres encore. Mais celui qui a étudié le site avec le plus d’intérêt, est , sans nul doute, l’abbé Millon qui fit part de ses travaux à la Société Archéologique d’Ille et Vilaine le 10 janvier 1899. Il en fait la description suivante[3] :

« Le camp romain d’Orange, dans la commune de Vieux-Vy-sur-Couesnon, a la forme d’un vaste rectangle. Il s’élève à une hauteur de 60 mètres environ au-dessus de deux rivières qui le bordent : l’une, l’Aleron, au Nord ; l’autre, le Couesnon, à l’Est et au Sud ». Après l’avoir minutieusement mesuré, l’abbé Millon contredit Marteville[4] et affirme que « le camp mesure 500 mètres dans sa plus grande longueur et 300 dans sa plus grande largeur ». A son avis, le camp « était situé à proximité et peut-être au bord même de la voie romaine du Mans à Corseul qui passait à la Lande-Pavée et franchissait le Couesnon à gué et se dirigeait vers « Fanum Martis » en touchant au camp d’Orange ».

   Après s’être extasié sur le site (la promenade est charmante quand on la fait comme moi à l’automne et l’on ne peut se lasser d’admirer ces hautes collines qui se dressent sur les deux rives du Couesnon, des splendides rochers… j’ai subi profondément le charme de cette ravissante contrée…), l’abbé Millon décrit ce qu’il a vu :


Mur d'Orange, voir site Topic-Topos. 





« Au Nord, c’est-à-dire par le côté qui regarde le bourg de Vieux-Vy, le camp s’élève, presque en ligne droite, à environ 60 mètres au-dessus du ruisseau de l’Aleron. Et si cette situation ne le défendait pas assez par elle-même, on a dressé un retranchement sur le bord, comme partout ailleurs du reste, retranchement formé de pierres si bien agrégées avec de la terre, qu’on peut se demander si ce n’est pas une muraille dégarnie de ses pierres de parement. Au Nord-Est, l’Aleron, en s’écartant ne pouvait plus servir de défense, on a élevé une fortification de quatre à cinq mètres de hauteur qui se dresse maintenant comme un immense tumulus au milieu d’un camp labouré. La face de l’Est domine la vallée du Couesnon. Là, le camp est absolument à pic ; d’immenses blocs de rochers dressent leurs têtes sur ses flancs abrupts et tout ce côté, comme celui du Nord, est terminé par le retranchement qui en couronne le faîte ».






  Puis continuant sa visite, l’abbé Millon poursuit : « Au Sud, nous sommes encore en face du Couesnon. En suivant toujours le retranchement nous arrivons à une vaste butte de 10 mètres de hauteur environ, entourée d’un fossé ». Et l’historien de s’interroger : « Quelle est l’origine de cette butte ? ». Il constate qu’elle est construite de la même manière que le retranchement, ce qui l’incite à penser que la butte peut être attribuée à l’époque romaine, sans pour autant le convaincre totalement. En effet, il constate aussi qu’au pied de cette butte, à flanc de coteau, se trouvent trois murs superposés, construits à la chaux qui n’ont absolument rien de romain , pas plus qu’un pilastre couronné d’une frise en granit sculpté, ancien montant de porte sans doute, retrouvé en cet endroit.


L’abbé Millon reconnaît volontiers qu’il serait plus sage d’attribuer ces murs au Moyen Âge. Peut-être sommes-nous tout simplement en présence d’une antique motte féodale puisqu’en ce lieu s’élevait autrefois un château – l’ancien château d’Orange – siège de la seigneurie du même nom dont un ancien aveu de 1499  précise qu’elle était composée aussi d’une chapelle, d’écuries, de cours, de courtils, vergers et jardins. Pour autant, l’abbé Millon pense que la butte est bien antérieure, ce que semble confirmer Paul Dorange qui, avec ses frères, entreprit des fouilles au sommet de la fameuse butte. Il rapporte : « En enlevant, sur une longueur de quelques mètres, à l’Est et au Nord de la butte, la terre végétale qui la recouvre, nous avons découvert que l’ossature de cette butte est faite de pierres sèches recouverte d’une épaisse couche de mortier ayant par endroit plus d’un mètre d’épaisseur et tellement dure qu’elle résiste aux plus vigoureux coups de pioche. Nous nous trouverions donc, suivant l’opinion de certains archéologues, en présence d’un gall-gall, sépulture d’un chef armoricain ». A l’époque, un radiesthésiste éminent, prétendit même que ce gall-gall contenait un squelette près duquel se trouvaient une lance et une petite quantité d’or et qu’un autre squelette se trouvait également au pied de la butte.


Poursuivant leurs fouilles, les frères Dorange trouvèrent aussi un escalier de pierre, d’une douzaine de marches, enfoui dans le sol et une sorte de couloir entre deux murs aboutissant au pied de la butte. Mélangés aux décombres, ils retrouvèrent des fragments de poterie, de vitrail et divers petits objets. Quelques années plus tard, pendant leurs vacances, entre 1899 et 1906, les frères Dorange fouillèrent les fondements de l’ancienne chapelle d’Orange récemment retrouvés : « Sur le dallage composé de petites tuiles carrées qui était assez bien conservé, nous avons trouvé un certain nombre de pièces de monnaie aux effigies les plus diverses, notamment celles de Henri IV, Louis XIII, Louis XIV, Frédéric II prince d’Orange et un très ancien jeton de Philippe le Bel. Poursuivant nos recherches, nous sommes tombés, à l’extérieur du mur Ouest de la chapelle sur un lieu de sépulture gaulois. Il s’y trouvait des squelettes encore entiers. L’un des crânes mis à jour avait ceci de particulier que la place des narines était bouchée avec de la cire rouge. Ce qui permet de fixer avec certitude l’époque de ces sépultures, des pièces de monnaie étaient éparses au milieu des ossements, dont plusieurs en argent, grossièrement découpées et frappées, pièces de monnaie des Curiosolites ou des Rhedones, représentant d’un côté un profil humain et de l’autre un cheval fantastique sautant par-dessus une roue dentée ».


La présence de monnaie gauloise à Orange est une preuve supplémentaire de l’occupation du site dès cette époque. Mais revenons au camp romain et à l’étude de l’abbé Millon qui poursuit sa visite :


« Au Sud-Ouest, après un chemin moderne créé pour l’exploitation, la vallée se comble, le camp n’est plus à pic, le Couesnon est parti vers le Sud. Moins défendu par la nature, l’enceinte romaine devait l’être doublement par l’art. Au lieu d’un retranchement, il y en a deux séparés par un fossé. Le retranchement extérieur peut avoir 4 mètres de hauteur. Après l’avoir longé sur une cinquantaine de mètres, il s’écarte brusquement et se dirige en ligne droite vers l’Ouest. A 200 mètres environ, il fait un angle droit et augmente ses proportions, ayant non plus 4 mètres mais 5 ou 6 de haut, bordé d’un fossé profond, il barre tout l’Ouest, seule partie accessible et abordable du camp…Au retranchement intérieur nous retrouvons exactement le même système de défense… cette seconde barrière a des proportions qu’il est rare de trouver dans les ouvrages de ce genre. Figurez-vous un retranchement de 150 mètres de longueur, sur 10 de hauteur, sur 20 de largeur, bordé par un fossé de 3 ou 4 mètres de profondeur. C’est une véritable muraille ; imposante et formidable, elle domine non seulement le camp tout entier, mais encore tout le pays ; on la voit de partout et porte encore de nos jours le nom significatif de « fort des Romains ».


« Au pied de ce retranchement, nous avons trouvé une prodigieuse quantité de pierres, morceaux de granit qui ont été soumis à un feu si intense[5] que le quartz, en fondant, a agglutiné et emprisonné d’autres pierres plus petites…. Au moins aurons-nous la certitude que le camp de Vieux-Vy a été détruit par le feu lors des invasions saxonnes du Vème siècle ».


« Par un hasard heureux, poursuit-il, nous avons trouvé le conduit qui amenait l’eau dans le camp. Ce conduit était fait de tuyaux emboîtés et cimentés l’un dans l’autre. Cette conduite d’eau partait vraisemblablement d’une source abondante qui se trouve sur les flancs de la Lande d’Ouée, colline qui est juste en face de celle d’Orange. Elle descendait dans la vallée, passait au-dessous ou au milieu du Couesnon et entrait dans le camp par la pointe Sud-Est ». Et l’abbé Millon de conclure : « A chaque pas, on rencontre des briques à rebord, et des briques courbes, des morceaux de poterie commune, des meules de granit, etc. Le camp romain d’Orange est un des mieux conservés qui soient en Ille-et-Vilaine. Il était aussi un des plus importants et un des mieux protégés. Nous le savions déjà mais nous aurons eu une fois de plus en l’étudiant la preuve que les Romains étaient des maîtres dans l’art stratégique. Leurs stations ou leurs camps étaient merveilleusement défendus ; l’emplacement en était choisi à dessein et leurs enceintes, tant par leur position naturelle que par les retranchements qui les entouraient, étaient presque inabordables et imprenables ».


Quant à l’abbé Vigoland, il constate que « les Bretons achevèrent l’œuvre des Romains et qu’on ne peut guère douter aujourd’hui de l’existence d’une station romaine à Vieux-Vy. Le camp de Bourgueil et surtout le camp d’Orange rappellent l’établissement des Romains dans le pays, comme la Lande-Pavée rappelle le passage de leurs troupes victorieuses[6] ».


La seigneurie d’Orange





Orange, dès le Moyen Âge, est le siège d’une importante seigneurie constituée vraisemblablement au cours du XIème siècle et relevant de la baronnie de Fougères. Le domaine proche était constitué de la maison seigneuriale avec ses dépendances, ses landes, bois, étangs, moulins et pêcheries… et les mouvances étaient constituées par des terres afféagées sur lesquelles le seigneur exerçait ses droits de seigneurie : justice, droits féodaux,  cueillette des redevances à lui dues…


Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la seigneurie d’Orange n’était pas très importante à Vieux-Vy même mais elle possédait un certain nombre de fiefs dans les paroisses de Saint-Marc-le-Blanc, Saint-Hilaire-des-Landes, Baillé, Le Tiercent, Sens-de-Bretagne, Saint-Ouen-des-Alleux, Coglès, Saint-Brice-en-Coglès, Saint-Germain-en-Coglès, La Selle-en-Coglès, Saint-Etienne-en-Coglès, Tremblay, La Fontenelle, Le Chatellier, le Ferré, Montours et Parigné. Avec Vieux-Vy, la seigneurie d’Orange étendait ses mouvances sur 18 paroisses.


A Vieux-Vy, elle comprenait les environs du manoir, le moulin à blé d’Orange et celui, à drap, de Béliart, quelques autres moulins à drap sur le Couesnon, la métairie du Mézet, les bois de Vieux-Vy, de Cherbonnière et de Roche-Chaude, les étangs du Vasset, de Charbonnière et d’Orange. S’y ajoutaient plusieurs bailliages dont les anciens aveux de la seigneurie décrivent les redevances et les singularités, tels le bailliage aux avoines qui rapportait 40 mines de cette céréale ou encore le bailliage des oies qui annuellement fournissait 48 oies à la seigneurie d’Orange.


Si le domaine n’était pas considérable, il en était tout autrement de la juridiction seigneuriale d’Orange qui possédait un droit de basse et de moyenne justice dans toute l’étendue de la seigneurie et un droit de haute justice dans le bourg de Vieux-Vy qui finit d’ailleurs par s’étendre sur l’ensemble de la seigneurie. Ces juridictions s’exerçaient au bourg de Vieux-Vy. Les aveux rendus en 1401 et 1599 précisent que la justice d’Orange s’exerçait sur « la presque universalité des paroissiens, en proche et en arrière-fief[7] ».  En sa qualité de haut justicier, le seigneur d’Orange exerçait seul la police sur sa juridiction de Vieux-Vy, police qui s’exerçait dans le bourg, dans le cimetière, sur les places, les rues et les chemins. Il n’y avait guère que la Sénéchaussière qui échappait à la juridiction d’Orange car elle dépendait de la baronnie du Tiercent.


Un aveu de 1676 précise : «  Les fiefs, juridiction et seigneurie d’Orange avec droits de haute, basse et moyenne justice, droits de prééminences appartenant à haut justicier, ensemble droit et devoir de quintaine sur les nouveaux mariés couchant la première nuit de leurs noces en ladite paroisse de Vieuvy ; à cause desquelles terres et seigneurie d’Orange est dû par chacun an de rente, savoir : au terme d’août cent sols et au terme de Pâques 40 sols payables au sergent féodé de la Cour de Fougères pour les payer à la recette dudit Fougères ».


Les fourches patibulaires de la seigneurie, « levées à quatre potz », c’est-à-dire composées de quatre piliers supportant une traverse sur laquelle on suspendait les condamnés  à mort (par pendaison) se situaient sur le chemin du Pas-Gérouard et du Mézet. On dit qu’à Vieux-Vy[8] ces fourches patibulaires « ne furent jamais, en réalité, qu’un signe de la juridiction et de la puissance seigneuriales ». La haute justice conférait au seigneur le droit de « connaître de toutes les causes civiles et criminelles » commises sur l’étendue de sa seigneurie. Pour autant, le seigneur d’Orange ne rendait pas lui-même la justice. Il avait institué un tribunal que l’on appelait alors « auditoire », présidé par un sénéchal assisté d’un procureur, de plusieurs notaires et d’un sergent chargé de la police, devant lesquels devaient comparaître tous les justiciables. Le tribunal, nous l’avons dit, siégeait au bourg de Vieux-Vy et c’est au bourg également que se tenaient les « audiences et plaids généraux » de la seigneurie d’Orange.


M. Paul Dorange, dans son manuscrit sur Orange, dit avoir connu dans sa jeunesse l’ancienne maison de justice d’Orange au bourg de Vieux-Vy : « L’auditoire était situé dans une maison à laquelle on accédait par un escalier extérieur et que j’aie vue dans mon enfance. Elle a été remplacée par une assez grande bâtisse moderne à l’entrée d’un chemin étroit conduisant à un lieu nommé poétiquement La Bergerette où mes parents remisaient une de leurs voitures. Dans mon enfance, cette maison était habitée par un vieux prêtre nonagénaire vers 1888, l’abbé Piette. A son décès, on emporta de sa maison des tombereaux remplis de vieux papiers qui furent jetés je ne sais où. C’était, à n’en pas douter, les minutes des sentences rendues par les sénéchaux d’Orange. Un nombre infime de ceux-ci a été préservé. Ils portent en intitulé : « Châtellenie d’Orange » - « Extrait des Requêtes du Greffe de la juridiction et chastellenie d’Orange » - « Audiences tenues au bourg es paroisse de Vieux-Vy devant Monsieur le Sénéchal ordinaire ».

Ainsi disparut une vraie mine d’or pour les historiens qui auraient pu puiser dans ces innombrables documents des sources et des éléments bien utiles pour écrire l’histoire de la seigneurie d’Orange et de son fonctionnement.


Le seigneur d’Orange possédait une juridiction permanente dans l’église paroissiale de sorte que tous les actes et les comptes des trésoriers devaient être soumis au contrôle du procureur de la seigneurie, ce qui est confirmé par les registres du général de la paroisse. Bien entendu, toutes les prééminences d’église lui revenaient, comme l’indique Jean d’Orange en 1461 dans l’aveu qu’il fit de sa terre au duc d’Alençon, alors baron de Fougères : « Le seigneur a toute supériorité en l’église parrochiale de ladite parouaysse, tant de seinture[9] que dedans et dehors, armoyés de ses armes et escussons ès vitres et auxtres endroits de la dicte église e pareils amoyries de ses armes ès bancs accoudays[10] et pierres tombales au chanceau de ladicte église du costé de l’évangile et tous auxtres enfeus et droits de noblesse ». Ce qui lui donnait la supériorité sur tous les paroissiens, même sur les seigneurs de la Sénéchaussière qui devaient s’y soumettre.


Exerçant sa juridiction sur l’universalité des paroissiens de Vieux-Vy, il pouvait les contraindre et au besoin les condamner en la personne des « trésoriers et fabriqueurs » à pourvoir les enfants abandonnés dans la paroisse.


Quant aux droits féodaux exercés par le seigneur d’Orange, ils étaient nombreux. Les aveux conservés mentionnent des droits de « levage » sur toutes les marchandises et denrées vendues dans la seigneurie, un droit de « néage » fixé à 10 deniers par ménage, des droits exclusifs de pêche, de colombier, d’épave et de chasse[11] pour lesquels les seigneurs d’Orange semblent se montrer intraitables. S’ajoutaient encore des droits sur les successions des bâtards et « autres illégitimes », les corvées dues par « ses hommes et subjets ». A la corvée seigneuriale, souvent exercée au moment des récoltes, s’ajoutait la corvée royale destinée à l’entretien et à la réparation des chemins. A Vieux-Vy, en1738, la corvée se fit sur la route de Rennes à Fougères, dans la lande de la Quête, sur une longueur de 651 toises. Elle employa 217 hommes et 4 harnois[12].


S’exerçait également un « droit de coutume » sur toutes les marchandises qui transitaient par Vieux-Vy. Le prélèvement de cet impôt se faisait au bourg de Vieux-Vy ou aux villages de Sautoger, du Val et du Pas-Gérouard. Le droit de quintaine[13] « sur les nouveaux mariés qui couchent dans la paroisse la première nuit de leurs nopces », déjà cité plus haut, était appliqué avec rigueur et le greffier d’Orange appelait les nouveaux mariés de l’année suivant une liste préparée par le recteur, ceux qui manquaient à l’appel devaient payer une amende.



Enfin, pour compléter encore les redevances dues au seigneur d’Orange par les meuniers, souvent payables, nous l’avons vu, en rames de papier, la déclaration de 1676 précise que pour ce qui concerne le moulin appelé « Les Grands Moulins à papier », le seigneur d’Orange y possède « quatre piles à drapeaux et une pile à affiner », ainsi que divers outils utilisés par le meunier comme des roues, des maillets, etc. Dans les dépendances du moulin, il exerce aussi quelques droits, notamment celui de pêche.





Ancien moulin d'Orange, aujourd'hui en ruines, Archives de Fougères.

Sur le territoire de la seigneurie d’Orange fut édifiée une maladrerie ou léproserie près de laquelle il fut aussi construit une chapelle mise sous la protection de sainte Madeleine. La maladrerie se situait au carrefour qui porte encore le nom de « carrefour de la Madeleine », au croisement des routes Rennes-Antrain et Sens-Vieux-Vy. Il ne reste rien de la chapelle qui était déjà en ruines en 1713.


Quant à l’antique château d’Orange, bâti sur les bords du Couesnon et de l’Aleron au sommet de rochers à pic, il n’en reste rien et il a été, depuis bien longtemps, remplacé par une habitation moderne. Les aveux ne nous en donnent pas de description, de sorte que nous ignorons tout de ce château. Comme Orange est parfois qualifié de « châtellenie » dans les actes anciens, on peut en déduire que son importance pouvait justifier de l’existence d’un château fortifié si l’on veut s’en tenir à la définition faite par le jurisconsulte d’Argentré[15] qui écrit : « La châtellenie se composait d’un château ou d’une maison revêtue de tours et de fossés. Les châtellenies seigneuriales relevaient d’une baronnie ou d’une seigneurie titrée », ce qui est le cas d’Orange. Mais plus tard, notamment à partir du XVIIème siècle, ce titre fut parfois octroyé à des terres à titre honorifique tout comme ceux de vicomté, comté ou marquisat qui se multiplièrent alors. C’est peut-être là la raison pour laquelle Guillotin de Corson dit que le titre de châtellenie attribué à la seigneurie d’Orange avait été usurpé.



Nous pouvons cependant penser que le château d’Orange fut démantelé ou du moins abandonné après la Bataille de Saint-Aubin-du-Cormier et la réunion de la Bretagne à la France, car à la fin du XVème siècle, les aveux des seigneurs d’Orange déclarent que « l’ancien logis seigneurial » était dans un état complet de délabrement. Un autre propriétaire, le sire de Laubrière, dit que le manoir n’était plus « qu’une vieille masure » n’ayant plus que la lugubre beauté des ruines. Les seigneurs d’Orange avaient depuis longtemps déserté le lieu et le principal corps de logis du château encore debout devint la demeure du métayer. Et pour preuve, s’il en était besoin, on vit, au XVIIIème siècle, le seigneur de La Bélinaye, propriétaire d’Orange, faire construite une maison de campagne près de l’ancien château abandonné...


Lorsque vint la Révolution, Orange qui appartenait à Charles de La Bélinaye, fut vendu comme bien national. Le domaine fut vendu à Jacques Louis, de Gahard, qui, plus tard, devint maire de Vieux-Vy[16]. Il déclara sous l’Empire, qu’il voulait mettre en valeur sa propriété. Préférant de beaux champs à de vieilles ruines, il fit disparaître les décombres de la chapelle avec les derniers restes du château dont les fondations sont restées enfouies sous terre. Les anciens fossés de l’enceinte furent aussi comblés à ce moment-là.Après Jacques Louis, Orange entra, en partie, en la possession de la famille Beaulieu avant de devenir la propriété de M. Magloire Dorange, avocat à la Cour d’Appel de Rennes, également propriétaire du château de la Bélinaye à Saint-Christophe-de-Valains. Magloire Dorange avait ainsi réuni les deux anciennes possessions de Charles de La Bélinaye.


C’est grâce aux fils Dorange dont nous avons déjà parlé et aux fouilles qu’ils réalisèrent sur leur propriété d’Orange que nous avons aujourd’hui une meilleure connaissance des lieux. Comme nous l’avons vu précédemment, ils fouillèrent les abords de l’ancienne chapelle seigneuriale dont ils retrouvèrent les fondations et y découvrirent des monnaies gauloises.

                                                          Marcel Hodebert


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Bibliographie et sources :


  •  Monographie de la paroisse de Vieux-Vy-sur-Couesnon », par M.F. Vigoland in les Annales de la Société Historique et Archéologique de l’Arrondissement de Saint-Malo (Année 1909),
  • « Orange en Vieux-Vy-sur-Couesnon », par Paul Dorange (manuscrit),
  • « Le Département d’Ille et Vilaine » - Vieux-Vy-sur-Couesnon – de Paul Banéat (p. 312 et suiv.)
  • « Le camp romain d’Orange »,  Mémoire présenté par l’abbé A. Millon à la Société Archéologique d’Ille et Vilaine le 10 janvier 1899,
  • « Vieux-Vy-sur-Couesnon, d’hier à aujourd’hui » - par l’Association socio-culturelle de Vieux-Vy-sur-Couesnon – 1990,
  • « Notions d’Histoire et d’Archéologie pour la Région de Fougères » - Vieux-Vy-sur-Couesnon, par Emile Pautrel, (page 660 et suiv.),
  • « Notices Historiques et Archéologiques sur les paroisses du pays de Fougères », par Léon Maupillé,
  • « Pouillé Historique de Rennes », par le Chanoine Guillotin de Corson Tome VI, page 460 et suiv.),
  • Archives municipales de Fougères – Terrier de la baronnie de Fougères – Registre des déclaration des seigneuries – CC 1.





[1] Paul Dorange : « Orange en Vieux-Vy-sur-Couesnon » - Manuscrit 1952/1953 –chapitre 1er.
[2] Selon M. Dorange, Tanut qui se nommait autrefois Tanut-Caille, est le nom d’un chevalier qui fut fait prisonnier par Henri II d’Angleterre en 1166 dans la tour de Dol, en même temps que Raoul de Fougères, Guillaume d’Orange et plusieurs autres appartenant aux plus antiques familles de Bretagne, tels les de Vitré, de Saint-Brice, de Tinténiac…
[3] « Le camp romain d’Orange en Vieux-Vy-sur-Couesnon », par l’abbé A. Millon – Mémoire lu à la Société Archéologique d’Ille et Vilaine le 10 janvier 1899, page 4 et suivantes.
[4] Cet historien qui avoue avoir effectué une « très courte visite sur le site » lui attribuait 250 m de long sur 100 m de large.
[5] Les frères Dorange ont retrouvé des fragments de bois brûlé au cours de leurs fouilles. (manuscrit de Paul Dorange).
[6] « Monographie de la paroisse de Vieux-Vy-sur-Couesnon », par l’abbé M.F. Vigoland in les Annales de la Société Historique et Archéologique de l’Arrondissement de Saint-Malo (Année 1909), p.13.
[7] Aveu rendu en 1599 par le sire de Châteaubriant, seigneur d’Orange (Archives départementales du Maine-et-Loire – F 1940).
[8] « Monographie de la paroisse de Vieux-Vy-sur-Couesnon », par l’abbé M.F. Vigoland in les Annales de la Société Historique et Archéologique de l’Arrondissement de Saint-Malo (Année 1909), p.41.
[9] Il s’agit de la litre seigneuriale.
[10] Il s’agit de bancs avec accoudoirs.
[11] Les aveux parlent de « droit de chasse tant à bestes fauves, rouges, noires qu’à plumes, prohibitif à tous aultres sans la permission du seigneur ». A cet égard, le sieur de Porcon « doit chacun an, à chaque jour et feste de Noël, un gant et deux sonnettes, le tout pour servir autour et tiercelet et à porter en ladite maison d’Orange, payables aux mains du seigneur dudit lieu… » - Il semble donc que l’on chassait à l’aide de faucons.
[12] Archives départementales d’Ille-et-Vilaine – C 2355.
[13] La quintaine était une sorte de jeu d’adresse qui consistait à frapper avec une gaule un mannequin  ou un triangle pivotant et tournant sur un poteau enfoncé en terre à hauteur de cheval. Il convenait d’engager la gaule dans la fente située au milieu du triangle pour arrêter la quintaine A l’origine, c’était un exercice militaire qui se faisait à cheval.
[14] Archives municipales de Fougères – CC 1.
[15] D’Argentré – « Questions sur les fiefs » - Question XIII.


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