ORANGE
Orange tient une
place particulière dans l’histoire de Vieux-Vy-sur-Couesnon. Ce fut d’abord un
site antique occupé par les Romains, puis le siège de la principale seigneurie
de la paroisse près de laquelle s’inscrit aussi l’histoire bretonne notamment
au moment de la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier.
C’est un lieu
fort pittoresque qu’a joliment décrit M. Paul Dorange dans son manuscrit sur
Vieux-Vy[1] :
« Descendant la route qui traverse le bourg de Vieux-Vy-sur-Couesnon et
se dirige vers Saint-Hilaire-des-Landes, le promeneur trouve sur sa droite une
sorte de chemin creux raviné et rocheux dont l’entrée bordée de hautes rampes
broussailleuses, de vieux arbres noués et tordus qui l’assombrissent, paraît
peu engageante. Pourtant, s’il a la curiosité de s’y aventurer, une agréable
surprise l’attend. Dès le premier détour, il voit le chemin s’éclairer,
l’horizon s’élargir et il s’arrête devant la beauté du paysage. Le chemin
dévale en pente raide vers la vallée du Couesnon, puis remonte vers un plateau
dont les bords escarpés sont revêtus de bois, de landes et de rochers. Ce
plateau domine la vallée du Couesnon et celle de l’Aleron qui l’encerclent de
trois côtés et confondent leurs eaux à ses pieds. Deux hautes collines, la
Lande Pavée et la Lande de Tanut[2], lui font face à l’Est
et au Midi, étendant jusqu’aux rives du Couesnon leurs tapis d’ajoncs et de
bruyères. Au Nord, de l’autre côté de l’Aleron, la tour carrée de l’antique
église de Vieux-Vy, perdue dans les arbres, laisse apercevoir son toit arrondi
que domine le coq gaulois et là-bas, tout à l’horizon, sur le ciel irradié par
le soleil couchant, se détachent le soir les clochers de Sens-de-Bretagne, de
Saint-Rémy-du-Plain et de Bazouges-la-Pérouse. La douce lumière du ciel breton
éclaire ce paysage de rêve dont rien ne peut rendre l’intense poésie ».
Vieux-Vy vu d'Orange, mars 2015
Vieux-Vy vu d'Orange, mars 2015
Quant à
l’abbé Vigoland,historien de Vieux-Vy, il décrit le site d’Orange avec
enthousiasme : « Là-haut vers le sud-est, c’est Orange, perché
comme un nid d’aigle, au-dessus de la rivière, dans une situation admirable… A
cet endroit, le coup d’œil est féérique. En face, on aperçoit le vaste coteau
de Pavée, puis les splendides rochers du Roi qui dressent au-dessus du Couesnon
leurs têtes gigantesques, et les falaises à pic qui surplombent tout ce côté de
la rivière jusqu’à l’entrée du bourg. A droite, voici l’immense amphithéâtre de
Tanut, couvert de sapins et de hêtres, et, là-bas, la longue vallée du Couesnon
qui se prolonge vers le Moulin aux moines dans le plus merveilleux décor que
l’imagination puisse rêver. Et tout ce paysage est entrecoupé de bois, de
prairies, de vallons, de collines dont les teintes variées et les fines
découpures sont un perpétuel ravissement. A gauche, le Couesnon s’encaisse
profondément, passe au-dessus du bourg et de nouveau la vallée s’élargit, avec
ses vastes prairies au milieu desquelles se déroule le ruban argenté de la
rivière…. Il est difficile de trouver un coin de terre plus ravissant, une
campagne plus pittoresque. Quand on l’admire, surtout un soir d’été, au moment
où les dernières lueurs du soleil achèvent de mourir, on reste volontiers, dans
une douce rêverie, en écoutant le tic-tac des moulins échelonnés sur la rive ou
le bruit monotone du Couesnon qui écume. Il en est de ce paysage comme de la
mer, il semble toujours nouveau et on ne s’en lasse jamais... ».
Le camp romain
Sans aller plus avant dans la description
pittoresque et enchanteresse du site, Orange à une très longue histoire et le
passage des hommes en ce lieu y a laissé des traces. L’antiquité du lieu se
retrouve dans son propre nom ; Orange est l’un des rares noms d’origine
celtique en Haute-Bretagne : Araurio qui veut dire « terrain
en pente vers l’eau », nom qui s’applique parfaitement à sa situation.
Le Couesnon qui serpente à ses pieds tire lui aussi son nom des trois mots
celtes Gouës-en-ou qui signifie « ruisseau de l’eau, cours de
l’eau ».
Naturellement défendu par la nature, le lieu attira
tout aussi naturellement les hommes à s’y établir. Attirés par ce site, de
nombreux archéologues y ont trouvé les traces de leurs retranchements et de
leurs fortifications au temps des Gaulois, à l’époque romaine, au Moyen Âge, les
historiens s’y sont intéressés également.
Dans ses Commentaires, Jules César nous
apprend que lorsqu’il envahit la Gaule il se heurta à la résistance des tribus
gauloises retranchées en des lieux fortifiés qu’il appelle « oppidum ».
Ces fortifications profitaient généralement de défenses naturelles formées de
sommets abrupts entourés de vallées profondes et marécageuses, au milieu des
bois. La partie accessible était renforcée par des retranchements de terre et
des palissades. Ces camps voyaient arriver population et troupeaux à la moindre
alerte. L’oppidum d’Orange répond à toutes ces caractéristiques et notre
imagination peut vagabonder à souhait pour tenter de se figurer ce que pouvait
être le site avant l’époque gallo-romaine.
Avec l’invasion romaine, ces camps furent réutilisés
et réaménagés par les nouveaux conquérants. Ce fut le cas à Orange où un
véritable camp romain fut établi. Plusieurs historiens se sont penchés sur ce
camp, comme de La Borderie, l’abbé Brune, Marteville et d’autres encore. Mais
celui qui a étudié le site avec le plus d’intérêt, est , sans nul doute, l’abbé
Millon qui fit part de ses travaux à la Société Archéologique d’Ille et Vilaine
le 10 janvier 1899. Il en fait la description suivante[3] :
« Le camp romain d’Orange, dans la commune
de Vieux-Vy-sur-Couesnon, a la forme d’un vaste rectangle. Il s’élève à une
hauteur de 60 mètres environ au-dessus de deux rivières qui le bordent :
l’une, l’Aleron, au Nord ; l’autre, le Couesnon, à l’Est et au Sud ».
Après l’avoir minutieusement mesuré, l’abbé Millon contredit Marteville[4] et
affirme que « le camp mesure 500 mètres dans sa plus grande longueur et
300 dans sa plus grande largeur ». A son avis, le camp « était
situé à proximité et peut-être au bord même de la voie romaine du Mans à Corseul
qui passait à la Lande-Pavée et franchissait le Couesnon à gué et se dirigeait
vers « Fanum Martis » en touchant au camp d’Orange ».
Après s’être extasié sur le site (la promenade
est charmante quand on la fait comme moi à l’automne et l’on ne peut se lasser
d’admirer ces hautes collines qui se dressent sur les deux rives du Couesnon,
des splendides rochers… j’ai subi profondément le charme de cette ravissante
contrée…), l’abbé Millon décrit ce qu’il a vu :
Mur d'Orange, voir site Topic-Topos. |
Puis continuant sa visite, l’abbé Millon
poursuit : « Au Sud, nous sommes encore en face du Couesnon. En
suivant toujours le retranchement nous arrivons à une vaste butte de 10 mètres
de hauteur environ, entourée d’un fossé ». Et l’historien de
s’interroger : « Quelle est l’origine de cette butte ? ».
Il constate qu’elle est construite de la même manière que le retranchement, ce
qui l’incite à penser que la butte peut être attribuée à l’époque romaine, sans
pour autant le convaincre totalement. En effet, il constate aussi qu’au pied de
cette butte, à flanc de coteau, se trouvent trois murs superposés, construits à
la chaux qui n’ont absolument rien de romain , pas plus qu’un pilastre couronné
d’une frise en granit sculpté, ancien montant de porte sans doute, retrouvé en
cet endroit.
L’abbé Millon reconnaît volontiers qu’il serait plus
sage d’attribuer ces murs au Moyen Âge. Peut-être sommes-nous tout simplement
en présence d’une antique motte féodale puisqu’en ce lieu s’élevait autrefois
un château – l’ancien château d’Orange – siège de la seigneurie du même nom
dont un ancien aveu de 1499 précise
qu’elle était composée aussi d’une chapelle, d’écuries, de cours, de courtils,
vergers et jardins. Pour autant, l’abbé Millon pense que la butte est bien
antérieure, ce que semble confirmer Paul Dorange qui, avec ses frères,
entreprit des fouilles au sommet de la fameuse butte. Il rapporte : « En
enlevant, sur une longueur de quelques mètres, à l’Est et au Nord de la butte,
la terre végétale qui la recouvre, nous avons découvert que l’ossature de cette
butte est faite de pierres sèches recouverte d’une épaisse couche de mortier
ayant par endroit plus d’un mètre d’épaisseur et tellement dure qu’elle résiste
aux plus vigoureux coups de pioche. Nous nous trouverions donc, suivant
l’opinion de certains archéologues, en présence d’un gall-gall, sépulture d’un
chef armoricain ». A l’époque, un radiesthésiste éminent, prétendit
même que ce gall-gall contenait un squelette près duquel se trouvaient une
lance et une petite quantité d’or et qu’un autre squelette se trouvait
également au pied de la butte.
Poursuivant leurs fouilles, les frères Dorange
trouvèrent aussi un escalier de pierre, d’une douzaine de marches, enfoui dans
le sol et une sorte de couloir entre deux murs aboutissant au pied de la butte.
Mélangés aux décombres, ils retrouvèrent des fragments de poterie, de vitrail
et divers petits objets. Quelques années plus tard, pendant leurs vacances,
entre 1899 et 1906, les frères Dorange fouillèrent les fondements de l’ancienne
chapelle d’Orange récemment retrouvés : « Sur le dallage composé
de petites tuiles carrées qui était assez bien conservé, nous avons trouvé un
certain nombre de pièces de monnaie aux effigies les plus diverses, notamment
celles de Henri IV, Louis XIII, Louis XIV, Frédéric II prince d’Orange et un
très ancien jeton de Philippe le Bel. Poursuivant nos recherches, nous sommes
tombés, à l’extérieur du mur Ouest de la chapelle sur un lieu de sépulture
gaulois. Il s’y trouvait des squelettes encore entiers. L’un des crânes mis à
jour avait ceci de particulier que la place des narines était bouchée avec de
la cire rouge. Ce qui permet de fixer avec certitude l’époque de ces
sépultures, des pièces de monnaie étaient éparses au milieu des ossements, dont
plusieurs en argent, grossièrement découpées et frappées, pièces de monnaie des
Curiosolites ou des Rhedones, représentant d’un côté un profil humain et de
l’autre un cheval fantastique sautant par-dessus une roue dentée ».
La présence de monnaie gauloise à Orange est une
preuve supplémentaire de l’occupation du site dès cette époque. Mais revenons
au camp romain et à l’étude de l’abbé Millon qui poursuit sa visite :
« Au Sud-Ouest, après un chemin moderne créé
pour l’exploitation, la vallée se comble, le camp n’est plus à pic, le Couesnon
est parti vers le Sud. Moins défendu par la nature, l’enceinte romaine devait
l’être doublement par l’art. Au lieu d’un retranchement, il y en a deux séparés
par un fossé. Le retranchement extérieur peut avoir 4 mètres de hauteur. Après
l’avoir longé sur une cinquantaine de mètres, il s’écarte brusquement et se
dirige en ligne droite vers l’Ouest. A 200 mètres environ, il fait un angle
droit et augmente ses proportions, ayant non plus 4 mètres mais 5 ou 6 de haut,
bordé d’un fossé profond, il barre tout l’Ouest, seule partie accessible et
abordable du camp…Au retranchement intérieur nous retrouvons exactement le même
système de défense… cette seconde barrière a des proportions qu’il est rare de
trouver dans les ouvrages de ce genre. Figurez-vous un retranchement de 150
mètres de longueur, sur 10 de hauteur, sur 20 de largeur, bordé par un fossé de
3 ou 4 mètres de profondeur. C’est une véritable muraille ; imposante et
formidable, elle domine non seulement le camp tout entier, mais encore tout le
pays ; on la voit de partout et porte encore de nos jours le nom
significatif de « fort des Romains ».
« Au pied de ce retranchement, nous avons
trouvé une prodigieuse quantité de pierres, morceaux de granit qui ont été
soumis à un feu si intense[5] que le quartz, en
fondant, a agglutiné et emprisonné d’autres pierres plus petites…. Au moins
aurons-nous la certitude que le camp de Vieux-Vy a été détruit par le feu lors
des invasions saxonnes du Vème siècle ».
« Par un hasard heureux, poursuit-il,
nous avons trouvé le conduit qui amenait l’eau dans le camp. Ce conduit était
fait de tuyaux emboîtés et cimentés l’un dans l’autre. Cette conduite d’eau
partait vraisemblablement d’une source abondante qui se trouve sur les flancs
de la Lande d’Ouée, colline qui est juste en face de celle d’Orange. Elle
descendait dans la vallée, passait au-dessous ou au milieu du Couesnon et entrait
dans le camp par la pointe Sud-Est ». Et l’abbé Millon de
conclure : « A chaque pas, on rencontre des briques à rebord, et
des briques courbes, des morceaux de poterie commune, des meules de granit,
etc. Le camp romain d’Orange est un des mieux conservés qui soient en
Ille-et-Vilaine. Il était aussi un des plus importants et un des mieux
protégés. Nous le savions déjà mais nous aurons eu une fois de plus en
l’étudiant la preuve que les Romains étaient des maîtres dans l’art
stratégique. Leurs stations ou leurs camps étaient merveilleusement
défendus ; l’emplacement en était choisi à dessein et leurs enceintes,
tant par leur position naturelle que par les retranchements qui les
entouraient, étaient presque inabordables et imprenables ».
Quant à l’abbé Vigoland, il constate que « les
Bretons achevèrent l’œuvre des Romains et qu’on ne peut guère douter
aujourd’hui de l’existence d’une station romaine à Vieux-Vy. Le camp de
Bourgueil et surtout le camp d’Orange rappellent l’établissement des Romains
dans le pays, comme la Lande-Pavée rappelle le passage de leurs troupes
victorieuses[6] ».
La seigneurie d’Orange
Orange, dès le
Moyen Âge, est le siège d’une importante seigneurie constituée
vraisemblablement au cours du XIème siècle et relevant de la
baronnie de Fougères. Le domaine proche était constitué de la maison
seigneuriale avec ses dépendances, ses landes, bois, étangs, moulins et
pêcheries… et les mouvances étaient constituées par des terres afféagées sur
lesquelles le seigneur exerçait ses droits de seigneurie : justice, droits
féodaux, cueillette des redevances à lui
dues…
Contrairement
à ce qu’on pourrait penser, la seigneurie d’Orange n’était pas très importante
à Vieux-Vy même mais elle possédait un certain nombre de fiefs dans les
paroisses de Saint-Marc-le-Blanc, Saint-Hilaire-des-Landes, Baillé, Le
Tiercent, Sens-de-Bretagne, Saint-Ouen-des-Alleux, Coglès,
Saint-Brice-en-Coglès, Saint-Germain-en-Coglès, La Selle-en-Coglès,
Saint-Etienne-en-Coglès, Tremblay, La Fontenelle, Le Chatellier, le Ferré,
Montours et Parigné. Avec Vieux-Vy, la seigneurie d’Orange étendait ses
mouvances sur 18 paroisses.
A Vieux-Vy,
elle comprenait les environs du manoir, le moulin à blé d’Orange et celui, à
drap, de Béliart, quelques autres moulins à drap sur le Couesnon, la métairie
du Mézet, les bois de Vieux-Vy, de Cherbonnière et de Roche-Chaude, les étangs
du Vasset, de Charbonnière et d’Orange. S’y ajoutaient plusieurs bailliages
dont les anciens aveux de la seigneurie décrivent les redevances et les
singularités, tels le bailliage aux avoines qui rapportait 40 mines de cette
céréale ou encore le bailliage des oies qui annuellement fournissait 48 oies à
la seigneurie d’Orange.
Si le domaine
n’était pas considérable, il en était tout autrement de la juridiction seigneuriale
d’Orange qui possédait un droit de basse et de moyenne justice dans toute
l’étendue de la seigneurie et un droit de haute justice dans le bourg de
Vieux-Vy qui finit d’ailleurs par s’étendre sur l’ensemble de la seigneurie.
Ces juridictions s’exerçaient au bourg de Vieux-Vy. Les aveux rendus en 1401 et
1599 précisent que la justice d’Orange s’exerçait sur « la presque
universalité des paroissiens, en proche et en arrière-fief[7] ». En sa qualité de haut justicier, le seigneur
d’Orange exerçait seul la police sur sa juridiction de Vieux-Vy, police qui
s’exerçait dans le bourg, dans le cimetière, sur les places, les rues et les
chemins. Il n’y avait guère que la Sénéchaussière qui échappait à la
juridiction d’Orange car elle dépendait de la baronnie du Tiercent.
Un aveu de
1676 précise : « Les fiefs, juridiction et seigneurie d’Orange
avec droits de haute, basse et moyenne justice, droits de prééminences
appartenant à haut justicier, ensemble droit et devoir de quintaine sur les
nouveaux mariés couchant la première nuit de leurs noces en ladite paroisse de
Vieuvy ; à cause desquelles terres et seigneurie d’Orange est dû par
chacun an de rente, savoir : au terme d’août cent sols et au terme de
Pâques 40 sols payables au sergent féodé de la Cour de Fougères pour les payer
à la recette dudit Fougères ».
Les fourches
patibulaires de la seigneurie, « levées à quatre potz »,
c’est-à-dire composées de quatre piliers supportant une traverse sur laquelle
on suspendait les condamnés à mort (par pendaison) se situaient sur le chemin du
Pas-Gérouard et du Mézet. On dit qu’à Vieux-Vy[8] ces
fourches patibulaires « ne furent jamais, en réalité, qu’un signe de la
juridiction et de la puissance seigneuriales ». La haute justice
conférait au seigneur le droit de « connaître de toutes les causes
civiles et criminelles » commises sur l’étendue de sa seigneurie. Pour
autant, le seigneur d’Orange ne rendait pas lui-même la justice. Il avait
institué un tribunal que l’on appelait alors « auditoire »,
présidé par un sénéchal assisté d’un procureur, de plusieurs notaires et d’un
sergent chargé de la police, devant lesquels devaient comparaître tous les
justiciables. Le tribunal, nous l’avons dit, siégeait au bourg de Vieux-Vy et
c’est au bourg également que se tenaient les « audiences et plaids
généraux » de la seigneurie d’Orange.
M. Paul
Dorange, dans son manuscrit sur Orange, dit avoir connu dans sa jeunesse
l’ancienne maison de justice d’Orange au bourg de Vieux-Vy : « L’auditoire
était situé dans une maison à laquelle on accédait par un escalier extérieur et
que j’aie vue dans mon enfance. Elle a été remplacée par une assez grande
bâtisse moderne à l’entrée d’un chemin étroit conduisant à un lieu nommé
poétiquement La Bergerette où mes parents remisaient une de leurs voitures. Dans
mon enfance, cette maison était habitée par un vieux prêtre nonagénaire vers
1888, l’abbé Piette. A son décès, on emporta de sa maison des tombereaux
remplis de vieux papiers qui furent jetés je ne sais où. C’était, à n’en pas
douter, les minutes des sentences rendues par les sénéchaux d’Orange. Un nombre
infime de ceux-ci a été préservé. Ils portent en intitulé :
« Châtellenie d’Orange » - « Extrait des Requêtes du Greffe de
la juridiction et chastellenie d’Orange » - « Audiences tenues au
bourg es paroisse de Vieux-Vy devant Monsieur le Sénéchal ordinaire ».
Ainsi
disparut une vraie mine d’or pour les historiens qui auraient pu puiser
dans ces innombrables documents des sources et des éléments bien utiles pour
écrire l’histoire de la seigneurie d’Orange et de son fonctionnement.
Le seigneur
d’Orange possédait une juridiction permanente dans l’église paroissiale de
sorte que tous les actes et les comptes des trésoriers devaient être soumis au
contrôle du procureur de la seigneurie, ce qui est confirmé par les registres
du général de la paroisse. Bien entendu, toutes les prééminences d’église lui
revenaient, comme l’indique Jean d’Orange en 1461 dans l’aveu qu’il fit de sa
terre au duc d’Alençon, alors baron de Fougères : « Le seigneur a
toute supériorité en l’église parrochiale de ladite parouaysse, tant de
seinture[9] que dedans et dehors,
armoyés de ses armes et escussons ès vitres et auxtres endroits de la dicte
église e pareils amoyries de ses armes ès bancs accoudays[10] et pierres tombales
au chanceau de ladicte église du costé de l’évangile et tous auxtres enfeus et
droits de noblesse ». Ce qui lui donnait la supériorité sur tous les
paroissiens, même sur les seigneurs de la Sénéchaussière qui devaient s’y
soumettre.
Exerçant sa
juridiction sur l’universalité des paroissiens de Vieux-Vy, il pouvait les
contraindre et au besoin les condamner en la personne des « trésoriers
et fabriqueurs » à pourvoir les enfants abandonnés dans la paroisse.
Quant aux
droits féodaux exercés par le seigneur d’Orange, ils étaient nombreux. Les
aveux conservés mentionnent des droits de « levage » sur
toutes les marchandises et denrées vendues dans la seigneurie, un droit de
« néage » fixé à 10 deniers par ménage, des droits exclusifs
de pêche, de colombier, d’épave et de chasse[11] pour
lesquels les seigneurs d’Orange semblent se montrer intraitables. S’ajoutaient
encore des droits sur les successions des bâtards et « autres
illégitimes », les corvées dues par « ses hommes et subjets ».
A la corvée seigneuriale, souvent exercée au moment des récoltes, s’ajoutait la
corvée royale destinée à l’entretien et à la réparation des chemins. A
Vieux-Vy, en1738, la corvée se fit sur la route de Rennes à Fougères, dans la
lande de la Quête, sur une longueur de 651 toises. Elle employa 217 hommes et 4
harnois[12].
S’exerçait
également un « droit de coutume » sur toutes les marchandises
qui transitaient par Vieux-Vy. Le prélèvement de cet impôt se faisait au bourg
de Vieux-Vy ou aux villages de Sautoger, du Val et du Pas-Gérouard. Le droit de
quintaine[13] « sur les
nouveaux mariés qui couchent dans la paroisse la première nuit de leurs nopces »,
déjà cité plus haut, était appliqué avec rigueur et le greffier d’Orange
appelait les nouveaux mariés de l’année suivant une liste préparée par le
recteur, ceux qui manquaient à l’appel devaient payer une amende.
Enfin, pour
compléter encore les redevances dues au seigneur d’Orange par les meuniers,
souvent payables, nous l’avons vu, en rames de papier, la déclaration de 1676
précise que pour ce qui concerne le moulin appelé « Les Grands Moulins
à papier », le seigneur d’Orange y possède « quatre piles à
drapeaux et une pile à affiner », ainsi que divers outils utilisés par
le meunier comme des roues, des maillets, etc. Dans les dépendances du moulin,
il exerce aussi quelques droits, notamment celui de pêche.
Ancien moulin d'Orange, aujourd'hui en ruines, Archives de Fougères. |
Sur le
territoire de la seigneurie d’Orange fut édifiée une maladrerie ou léproserie
près de laquelle il fut aussi construit une chapelle mise sous la protection de
sainte Madeleine. La maladrerie se situait au carrefour qui porte encore le nom
de « carrefour de la Madeleine », au croisement des routes
Rennes-Antrain et Sens-Vieux-Vy. Il ne reste rien de la chapelle qui était déjà
en ruines en 1713.
Quant à
l’antique château d’Orange, bâti sur les bords du Couesnon et de l’Aleron au
sommet de rochers à pic, il n’en reste rien et il a été, depuis bien longtemps,
remplacé par une habitation moderne. Les aveux ne nous en donnent pas de
description, de sorte que nous ignorons tout de ce château. Comme Orange est
parfois qualifié de « châtellenie » dans les actes anciens, on peut
en déduire que son importance pouvait justifier de l’existence d’un château
fortifié si l’on veut s’en tenir à la définition faite par le jurisconsulte
d’Argentré[15] qui écrit : « La
châtellenie se composait d’un château ou d’une maison revêtue de tours et de
fossés. Les châtellenies seigneuriales relevaient d’une baronnie ou d’une
seigneurie titrée », ce qui est le cas d’Orange. Mais plus tard,
notamment à partir du XVIIème siècle, ce titre fut parfois octroyé à
des terres à titre honorifique tout comme ceux de vicomté, comté ou marquisat
qui se multiplièrent alors. C’est peut-être là la raison pour laquelle
Guillotin de Corson dit que le titre de châtellenie attribué à la seigneurie
d’Orange avait été usurpé.
Nous pouvons
cependant penser que le château d’Orange fut démantelé ou du moins abandonné
après la Bataille de Saint-Aubin-du-Cormier et la réunion de la Bretagne à la
France, car à la fin du XVème siècle, les aveux des seigneurs
d’Orange déclarent que « l’ancien logis seigneurial » était
dans un état complet de délabrement. Un autre propriétaire, le sire de Laubrière,
dit que le manoir n’était plus « qu’une vieille masure »
n’ayant plus que la lugubre beauté des ruines. Les seigneurs d’Orange avaient
depuis longtemps déserté le lieu et le principal corps de logis du château
encore debout devint la demeure du métayer. Et pour preuve, s’il en était
besoin, on vit, au XVIIIème siècle, le seigneur de La Bélinaye,
propriétaire d’Orange, faire construite une maison de campagne près de l’ancien
château abandonné...
Lorsque vint
la Révolution, Orange qui appartenait à Charles de La Bélinaye, fut vendu comme
bien national. Le domaine fut vendu à Jacques Louis, de Gahard, qui, plus tard,
devint maire de Vieux-Vy[16]. Il
déclara sous l’Empire, qu’il voulait mettre en valeur sa propriété. Préférant
de beaux champs à de vieilles ruines, il fit disparaître les décombres de la
chapelle avec les derniers restes du château dont les fondations sont restées
enfouies sous terre. Les anciens fossés de l’enceinte furent aussi comblés à ce
moment-là.Après Jacques
Louis, Orange entra, en partie, en la possession de la famille Beaulieu avant
de devenir la propriété de M. Magloire Dorange, avocat à la Cour d’Appel de
Rennes, également propriétaire du château de la Bélinaye à
Saint-Christophe-de-Valains. Magloire Dorange avait ainsi réuni les deux
anciennes possessions de Charles de La Bélinaye.
C’est grâce
aux fils Dorange dont nous avons déjà parlé et aux fouilles qu’ils réalisèrent
sur leur propriété d’Orange que nous avons aujourd’hui une meilleure
connaissance des lieux. Comme nous l’avons vu précédemment, ils fouillèrent les
abords de l’ancienne chapelle seigneuriale dont ils retrouvèrent les fondations
et y découvrirent des monnaies gauloises.
Marcel Hodebert
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Marcel Hodebert
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Bibliographie et sources :
- Monographie de la paroisse de Vieux-Vy-sur-Couesnon », par M.F. Vigoland in les Annales de la Société Historique et Archéologique de l’Arrondissement de Saint-Malo (Année 1909),
- « Orange en Vieux-Vy-sur-Couesnon », par Paul Dorange (manuscrit),
- « Le Département d’Ille et Vilaine » - Vieux-Vy-sur-Couesnon – de Paul Banéat (p. 312 et suiv.)
- « Le camp romain d’Orange », Mémoire présenté par l’abbé A. Millon à la Société Archéologique d’Ille et Vilaine le 10 janvier 1899,
- « Vieux-Vy-sur-Couesnon, d’hier à aujourd’hui » - par l’Association socio-culturelle de Vieux-Vy-sur-Couesnon – 1990,
- « Notions d’Histoire et d’Archéologie pour la Région de Fougères » - Vieux-Vy-sur-Couesnon, par Emile Pautrel, (page 660 et suiv.),
- « Notices Historiques et Archéologiques sur les paroisses du pays de Fougères », par Léon Maupillé,
- « Pouillé Historique de Rennes », par le Chanoine Guillotin de Corson Tome VI, page 460 et suiv.),
- Archives municipales de Fougères – Terrier de la baronnie de Fougères – Registre des déclaration des seigneuries – CC 1.
[1] Paul Dorange :
« Orange en Vieux-Vy-sur-Couesnon » - Manuscrit 1952/1953
–chapitre 1er.
[2] Selon
M. Dorange, Tanut qui se nommait autrefois Tanut-Caille, est le nom d’un
chevalier qui fut fait prisonnier par Henri II d’Angleterre en 1166 dans la
tour de Dol, en même temps que Raoul de Fougères, Guillaume d’Orange et
plusieurs autres appartenant aux plus antiques familles de Bretagne, tels les
de Vitré, de Saint-Brice, de Tinténiac…
[3]
« Le camp romain d’Orange en Vieux-Vy-sur-Couesnon », par
l’abbé A. Millon – Mémoire lu à la Société Archéologique d’Ille et Vilaine le
10 janvier 1899, page 4 et suivantes.
[4] Cet
historien qui avoue avoir effectué une « très courte visite sur le site »
lui attribuait 250 m de long sur 100 m de large.
[5] Les
frères Dorange ont retrouvé des fragments de bois brûlé au cours de leurs
fouilles. (manuscrit de Paul Dorange).
[6]
« Monographie de la paroisse de Vieux-Vy-sur-Couesnon », par
l’abbé M.F. Vigoland in les Annales de la Société Historique et Archéologique
de l’Arrondissement de Saint-Malo (Année 1909), p.13.
[7] Aveu
rendu en 1599 par le sire de Châteaubriant, seigneur d’Orange (Archives
départementales du Maine-et-Loire – F 1940).
[8] « Monographie de
la paroisse de Vieux-Vy-sur-Couesnon », par l’abbé M.F. Vigoland in
les Annales de la Société Historique et Archéologique de l’Arrondissement de
Saint-Malo (Année 1909), p.41.
[9] Il s’agit de la litre
seigneuriale.
[10] Il s’agit de bancs avec
accoudoirs.
[11] Les
aveux parlent de « droit de chasse tant à bestes fauves, rouges, noires
qu’à plumes, prohibitif à tous aultres sans la permission du seigneur ».
A cet égard, le sieur de Porcon « doit chacun an, à chaque jour et
feste de Noël, un gant et deux sonnettes, le tout pour servir autour et
tiercelet et à porter en ladite maison d’Orange, payables aux mains du
seigneur dudit lieu… » - Il semble donc que l’on chassait à l’aide de
faucons.
[12] Archives départementales
d’Ille-et-Vilaine – C 2355.
[13] La
quintaine était une sorte de jeu d’adresse qui consistait à frapper avec une
gaule un mannequin ou un triangle
pivotant et tournant sur un poteau enfoncé en terre à hauteur de cheval. Il
convenait d’engager la gaule dans la fente située au milieu du triangle pour
arrêter la quintaine A l’origine, c’était un exercice militaire qui se faisait
à cheval.
[14] Archives municipales de
Fougères – CC 1.
[15] D’Argentré – « Questions
sur les fiefs » - Question XIII.