samedi 23 novembre 2013

LES SEIGNEURS DE FOUGERES


LES SEIGNEURS DE FOUGERES  (1re partie) :

 


Les ancêtres fondateurs (fin Xe – début XIe siècle)

 

 

 

Villavran (Louvigné-du-Désert): installée sur un  vaste promontoire probablement occupé durant le haut Moyen Age,
une motte domine le paysage. Ce tertre artificiel  daterait du Moyen Age central (XIe-XIIe siècle) et aurait plus à voir avec une famille de vassaux qu'avec le lignage de Fougères. (cl. J P G)

 

 

 

 

 

 

 

Motte de  Villavran.

 

 

 

 

 

Si la naissance de la ville est intimement liée à la construction d’un château au début du XIe siècle, il convient de ne pas oublier une composante majeure : la famille de Fougères. Celle-ci va conserver la seigneurie de Fougères pendant près de 250 ans. Mais qui sont les fondateurs de ce lignage ?

 
I. Dans les brumes de l’Histoire...
 
 

Comme toutes les anciennes familles de l’aristocratie, celle de Fougères voit ses débuts obscurcis par le manque de sources et par des légendes. La Chronique de Saint-Brieuc, rédigée à la toute fin du XIVe siècle, mentionne « Gurbudicus, seigneur de Fougères  » qui aurait vécu en 689. On notera cette allusion pour mémoire, elle ne s’appuie sur rien de sérieux,  d’ailleurs personne ne l’a reprise.

Ailleurs, on peut lire que la lignée serait issue d’un Martin, comte de Rennes, qui n’a jamais existé. Pour d’autres, l’ancêtre fondateur pourrait être un Alain, fils d’un comte de Rennes inconnu, et neveu de l’archevêque de Dol, Junguénée. D’autres pensent que Juhel Bérenger, comte de Rennes, aurait eu trois fils, parmi eux Main qui aurait reçu le Fougerais. Jean-Baptiste Ogée estimait que la maison de Fougères serait « une branche cadette de la maison de Bretagne. » On le voit la situation est pour le moins confuse, d’autant plus que ces différentes hypothèses s’appuient sur des documents qui n’ont parfois pas existé ou qui ont été rédigé tardivement ; sans compter que certains auteurs ont proposé des pistes en fonction de leur coloration politique et régionaliste (ce qui explique la graphie Méen au lieu de Main). En fait, ce n’est qu’à partir du début du XIe siècle que l’on peut trouver des documents, renvoyant par là même notre Gurbudicus aux oubliettes.

 

II. Main Ier : le seigneur oublié ?

 

Le 28 juillet 990 est cité dans un don fait à l’abbaye du Mont Saint-Michel un dénommé Main. La donation concernait la région de Villamée et Parigné, dès lors on a estimé qu’il s’agissait du fondateur du lignage.Malheureusement, ce texte n’est connu que par des copies tardives, remontant au mieux au XVIIe siècle. Hubert Guillotel a montré qu’il s’agissait d’un faux. Mais comme presque tous les faux médiévaux, il comporte une part de vérité. En effet, au cours de la décennie 1040, Main II de Fougères fit allusion à son grand-père dénommé Main, qui avait fait des dons à l’abbaye de Marmoutier en Louvigné-du-Désert, centre du haut Moyen Âge. Dès lors, on peut raisonnablement admettre que le Main cité à la fin du Xe siècle corresponde à l’ancêtre de Main II et donc au lignage de Fougères .



La présence de Main 1er en Haute- Bretagne, d'après les sources écrites. 




 

Pourtant à aucun moment Main Ier n’est associé à la ville ou au château. Au contraire, on peut davantage le rattacher à Louvigné, où les traces d’occupation anciennes sont nombreuses : voie romaine, nécropole romaine et du haut Moyen Âge, fortification de Villavran... Vers l’an mil, Main Ier y apparaît avec des droits judiciaires et économiques, il contrôle notamment la foire. Il souhaitait faire de Louvigné un centre, il appela la prestigieuse abbaye tourangelle de Marmoutier et lui donna l’église. Autour, la population fut regroupée au sein d’un cimetière habité et d’un bourg, dont on trouve les traces sur le cadastre napoléonien (figure 2). Toutefois, des fouilles archéologiques au château de Fougères ont mis au jour un denier des environs de l’an mil, fragile indice permettant de supposer que Main Ier s’y soit installé...

 
Analyse morphologique du bourg de Louvigné-du-Désert.

 

III. Alfred,chevalier du comté de Rennes et

            fondateur de Fougères ?

 

On ignore quand Main Ier disparaît, Alfred, son fils, lui succéda. Ce dernier est cité dans une dizaine d’actes médiévaux (figure 3). Il vécut dans le premier tiers du XIe siècle. Il est parfois qualifié de miles que l’on peut traduire par « chevalier », mais dans un sens aristocratique, noble, d’ailleurs Main II  qualifia son père d’ « homme noble ». Il fréquentait la cour et séjournait à Rennes. On peine à établir un lien avec une localité particulière, on devine seulement son intervention dans le Coglais et à Chauvigné où son fils bâtard Alvered paraît possessionné.





 La présence d'Alfred en Haute-Bretagne, d'après les sources écrites




 

Aucun texte contemporain n’établit de lien avec Fougères. Pourtant, il existe une tradition voulant qu’il ait fondé, en 1024, la chapelle castrale Notre-Dame. L’exactitude de la date pose problème pour cette époque, néanmoins, on ne peut rejeter cette tradition. Il existe en effet deux documents établissant un lien entre Alfred et la chapelle. Vers 1150-1157, Raoul II dressa une longue charte de confirmation en faveur de Saint-Pierre de Rillé, or les chanoines desservant la nouvelle abbaye venaient de la chapelle castrale. Raoul rappela toutes les aumônes faites par ses ancêtres : « Alfred de Fougères, Main, son bisaïeul, Adélaïde, son épouse, et Raoul, son grand-père ». Remonter si haut dans le temps ne s’explique que par la présence de documents écrits, la mémoire orale allant rarement au-delà de deux ou trois générations. Ainsi, Alfred aurait fait des dons à Notre-Dame, malheureusement il ne nous en reste aucune trace.

Les textes permettent de mieux connaître le lignage. Alfred avait un fils bâtard. Comme c’était la coutume au sein de l’élite post-carolingienne, il avait une concubine légale, on parle parfois de mariage more danico, « union à la danoise » car on a longtemps estimé que cette pratique ne pouvait être que d’origine païenne. Toutefois, il existait aussi des « épouses de jeunesse » dans le monde franc. De cette relation, il eut Alvered. Ce dernier fut marié et établit un lignage dont on perd la trace, mais l’on retrouve parmi les noms de ses fils, la tradition fougeraise avec les prénoms : Alveus et Juhel .
Généalogie des  ancêtres du lignage de Fougères.

Toutefois, ce fut avec une seconde épouse qu’il eut Main II, premier seigneur qualifié « de Fougères », ancrant ainsi le lignage.



 
                                                                                Julien Bachelier

 

Sources et bibliographie :

Bachelier Julien, Villes et villages de Haute-Bretagne. Les réseaux de peuplement (XIe- XIIIe siècles), thèse de doctorat, Université Rennes 2, 2013, p. 758.

Guillotel Hubert, Les actes des ducs de Bretagne (944-1148), thèse de doctorat, Université Paris 2, 1973.

Le Bouteiller Christian, Notes sur l’histoire de la ville et du pays de Fougères, Bruxelles, éd. Cultures et civilisations, 1912-1914 (rééd. 1976), 4 volumes, t. 1 et 2.
 
      BRAND'HONNEUR Michel, Manoirs et châteaux dans le comté de Bretagne. Habitat à motte et société chevaleresque (XIe- XIIe siècles ) rennes, PUR,2001,p.84-85.

 GUIGON Philippe, Les fortifications du haut Moyen Age en Bretagne, ICB,1997,p.43-43.