lundi 21 octobre 2013

RESISTANTS ET MILICE à SAINT-AUBIN-DU-CORMIER


 

 

               SAINT-AUBIN-DU-CORMIER 1943-1944

             arrestations de résistants   par la Milice

 

 

    Les Allemands surveillent Saint-Aubin-du-Cormier. Le département d’Ille-et-Vilaine vit dans la hantise  des exactions de l’occupant. La résistance s’organise dans le pays, d’une manière structurée.

 

      Les Veillard à la ferme de Tournebride

 

    La ferme de Tournebride est exploitée par Alexandre Veillard. Pierre Morel et Jean Thomas prennent contact avec la famille Veillard afin de stocker des armes à la ferme. C’est une forme de résistance qui se pratique beaucoup en Bretagne. Les parents Veillard acceptent de stocker des armes parachutées en août 1943. La parachutage a lieu, vers minuit, à Saint-Mauron, situé à Saint-Aubin et les armes enfouies la nuit même, hélas sans protection, car on remarquera quelques mois plus tard qu’elles baignaient dans l’eau.

   Le 29 novembre 1943, les Allemands font irruption dans la ferme. Le père, puis la mère sont battus à tour de rôle, avec le nerf de bœuf afin d’arracher des renseignements. Sans résultat, car les Veillard sont muets comme une tombe. Les Allemands menacent de les fusiller et ont fait venir Fred T. membre du réseau Oscar Buckmaster, prisonnier à la prison Jacques Cartier de Rennes. Ainsi le lieu de la cache est dévoilé et les armes ont été chargées dans le camion des Allemands par les occupants de la ferme. La maison est fouillée et tout le linge des armoires est raflé. Tout le monde est embarqué dans le camion ; les parents Veillard, les deux fils, Alexandre et Roger, le facteur Masson de passage, les ouvriers qui effectuaient des travaux de maçonnerie et de couverture. Dénonciation du dépôt a été faite par Fred T., alors étudiant à Rennes et témoin du parachutage qui n’a pas su ou pas pu se taire.



 Jean Thomas père, second à partir de la droite.



 
 

     Les Blanchet à la ferme de la Reudais

 

           Après l’arrestation de Tournebride, dans la même journée, va se reproduire le même scénario. A Saint-Jean-sur-Couesnon, proche d’environ 10 kms, la ferme de la Reudais, occupée par la famille Blanchet, abrite également un dépôt d’armes. Les otages de la ferme de Tournebride sont dirigés à la ferme et enfermés dans la maison. La famille Blanchet subit les mêmes coups que les Veillard. De plus, les Allemands ont festoyé avec les morceaux de viande, de charcuterie, étant donné que les Blanchet venaient de tuer le cochon. Selon le témoignage de Roger Veillard , enregistré il y a trois décennies, les Allemands étaient ivres et l’un des camions était allé au fossé lors du départ. Blanchet, père et fils, prénommés Louis, ainsi qu’un cousin, Pierre Blanchet,sont embarqués à leur tour.






  

    Un milicien partout présent

 

    Toutes les  arrestations sont attribuées à un milicien de sinistre mémoire, Joseph Ruyet, originaire du Morbihan. Il  se signale par ses infiltrations dans les maquis. Il se déguise souvent en résistant et relève les noms qu’il soumet à la police allemande. Il opère, juste avant le pays de Saint-Aubin, à Saint-Brieuc-des-Ifs, dans la ferme des Nobilet, grands résistants qui abritaient alors des armes  et un officier  anglais, détenteur d’un poste radio émetteur. Il fait arrêter toute la famille.  Toutes ces actions sont opérées sous le contrôle du SD de Rennes commandé par le colonel SS Hartmut Pulmer, ancien chef de la Gestapo  de Ciecjanow (Pologne). Après la guerre, Le Ruyet sera fusillé le 5 novembre 1946.

    Ces arrestations se concluent par la déportation des Veillard, père et fils, le 29 juin 1944, au camp de Neuengamme. Roger et le facteur échappèrent à la prison de Rennes, point de passage obligé avant les camps. Ils moururent de faim et de mauvais traitements, le père le 7 avril 1945 à Hambourg et le fils en février 1945 à Watenstedt. Ils reçurent la Légion d’honneur à titre posthume … en septembre 1954, soit 9 ans après leur mort.
 



 

 


   Le café près de l’église à Saint-Aubin

 

     Les exactions de la Milice se poursuivent en 1944, dans le bourg même de Saint Aubin. Nous disposons d’un témoin privilégié avec Monique, alors âgée de 15-16 ans au moment de l’arrestation de résistants bien connus dans le pays, pratiquement de la première heure, tant l’occupation allemande était honnie. La famille Thomas, tel est le nom, tient un café tout près de l’église de Saint -Aubin et le père Jean  a son propre atelier, aidé de son fils portant le même prénom. Jean Thomas (père) réunit au café des anciens combattants de la guerre 14-18. Il appartient aussi au réseau Buckmaster (anglais) à partir de 1943 et héberge des gars de Martigné-Ferchaud dans des fermes. C’est dire son engagement dans la Résistance. Monique elle-même écoute à la radio les messages codés, selon le tour de garde. Le premier, « La nuit les chats sont gris », le second qu’elle se souvient avoir parfaitement entendu et transmis « A la  mémoire de Johny, ami Souci (ou Suzy) ».

    Le dimanche 30 juillet 1944, Jean Thomas-père-se trouve à la messe, il est prévenu par le prêtre que la milice est là. Il  doit gagner la sacristie,  fuir à travers champs, et se camoufler. Il se rend dans une ferme, il couche sur la paille. Le lendemain, il téléphone à Martigné-Ferchaud où on lui donne à manger. Il ne reviendra à Saint-Aubin que le 15 août.





 Jean Thomas fils, né le 4 juillet 1920.

 
   Le fils se fait arrêter par la milice, le matin même du 30 juillet. Monique se rappelle la présence d’au moins cinq miliciens, le camion des Allemands et l’occupation de l’école. Les enfants étaient instruits à domicile. Jean suit le mouvement du père. Avec Robert Pupetto, corse d’origine (membre du réseau Buckmaster) et Jean Masson (de la même appartenance), il est transféré à Rennes, rue de l’Echange. Là, Pupetto est littéralement massacré, flanqué  par terre avec une plaque. Jean Thomas clame que son père ne voulait pas le voir avec lui. Il n’empêche qu’ils se trouvent embarqués dans le train qui part de Rennes début août. Ils réussissent à sauter du train, tous les trois, sur un passage à niveau, dans la nuit du 3 au 4 août 1944, à Saint-Mars-du-Désert, près de Nantes. L’évasion était risquée, quatre détenus sont tués à Saint Mars. Les auteurs de l’arrestation de 1944 sont des miliciens, leur identité n’est pas sûrement attestée, bien qu’on parle encore de la main toujours cruelle de Joseph Le Ruyet.

   Monique se souvient qu’un milicien a vidé l’armoire et s’est emparé de la vaisselle et du linge. Seul un tiroir n’a pas été ouvert ; par chance, car il contenait des brassards avec les lettres FFI piquées sur une bande de velours, afin d’accueillir les libérateurs- le Débarquement a eu lieu le 6 juin 1944 sur les côtes normandes. Monique risquait gros si la cache avait été découverte.

 

   François Vallée et Pierre Morel

 


    L’enchaînement des évènements dans le pays de Saint-Aubin-du-Cormier est très logique sur ces deux années 1943-1944. La dénonciation opère comme à Saint-Marc-sur-Couesnon où sont tués des maquisards (maquis de l’Everre). Le démantèlement des groupes de résistants s’accompagne de tortures, de vols et de comportements grossiers. Le réseau Buckmaster en Ille-et-Vilaine était la cible principale de la Gestapo. François Vallée, parachuté en France le 17 juin 1943, prend contact avec des membres du réseau parmi lesquels joue un rôle actif, Pierre Morel, né le 13 avril 1923, à Saint-Aubin-du-Cormier.  François Vallée, dit Oscar, coordonne la résistance en Bretagne et commande les activités du groupe  d’Ille-et-Vilaine.





 François Vallée, officier français.


 

     Les activités s’organisent autour de la recherche de renseignements, de l’instruction de groupes paramilitaires et de la préparation des parachutages. Huit sont programmés dans le département. Le premier eut lieu à Martigné-Ferchaud qui permit d’accueillir un officier radio britannique George, détenteur d’un poste émetteur. Ainsi des contacts étroits sont passés entre Martigné et Saint-Aubin. Les dépôts d’armes ou de matériel radio constituent un arsenal destiné à équiper les résistants et à pratiquer des opérations de sabotage.  Pierre Morel est traqué par la Gestapo. Le cousin de Monique Thomas, Paul Gommeriel et Pierre Morel traversent les Pyrénées, en mars 1944. Arrêtés comme Anglais, Ils  finissent  par être incarcérés dans des prisons, puis dans le camp de concentration de Miranda. Selon le témoin, Morel a été tabassé. Ils y restent  trois mois et sont  libérés. A partir du passage d’Andorre, Pierre Morel est ramené sur le dos de Paul Gommeriel.




 George Clément, officier britannique.

 

    Monique rappelle qu’à Tarbes, son cousin avait les pieds gelés et qu’il reçut les soins d’un médecin. Les deux compagnons rejoindront l’Angleterre, après toutes ces inquiétudes.   François Vallée adopta deux codes, celui d’Oscar pour son propre nom et celui de Parson celui du réseau, d’où le nom du réseau Oscar Parson (Buckmaster). Pierre Morel en fut le liquidateur en 1948. François Vallée, « George », de son nom Clément, Pierre Morel avaient des relais et des membres très actifs parmi les Veillard, les Blanchet et Jean Thomas. La milice cherchait à démanteler le réseau par des arrestations successives.

 

     La place des miliciens dans notre mémoire
 

               Que dire des miliciens et notamment du sinistre Joseph Le Ruyet ? C’étaient des cyniques, des collaborateurs qui haïssaient la société où ils n’avaient pu jouer de rôle. C’étaient des types perdus, pour eux-mêmes et pour leur propre pays. Des désespérés en somme engagés dans une démarche quasi suicidaire.

 Ces ombres très noires de Vichy ne peuvent être chassées  que par la lucidité.

 
 
                                                                           Daniel Heudré

 

Sources :
               Témoignage de Monique Beaujouan (née Thomas) de Saint-Aubin-du-Cormier.

                Témoignage de Michèle Delatouche, voisine de la famille Blanchet.
 
                Recherches de Daniel Jolys sur le réseau de résistance S.O.E Oscar  Buckmaster. 

               
               Philippe Aziz, Histoire secrète de la Gestapo en Bretagne, 2 tomes, Editions Famiot,   Genève 1975.
 

 
 

 

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