Marie-Anne de CHATEAUBRIAND
(1760-1860)
« La troisième
année de mon séjour à Dol fut marquée par le mariage de mes deux sœurs
aînées : Marianne épousa le comte de Marigny, et Bénigne le comte de
Québriac. Elles suivirent leur mari à Fougères : signal de la dispersion
d’une famille dont les membres devaient bientôt se séparer. Mes sœurs reçurent
la bénédiction nuptiale à Combourg le même jour, à la même heure, au même
autel, dans la chapelle du château. Elles pleuraient, ma mère pleurait ;
je fus étonné de cette douleur : je la comprends aujourd’hui. Je n’assiste
pas à un baptême ou à un mariage sans sourire amèrement ou sans éprouver un
serrement de cœur. Après le malheur de naître, je n’en connais pas de plus
grand que celui de donner le jour à un homme ». Telle est résumée dans les
« Mémoires d’Outre-Tombe », la venue des sœurs de Chateaubriand à
Fougères.
Née à Saint-Malo en 1760,
Marie-Anne de Chateaubriand déçut beaucoup son père en arrivant au monde ;
celui-ci écrivit : « Ce n’est qu’une fille » Elle épousa
donc François Geffelot de Marigny le 11 janvier 1780 à Combourg. Le comte de Marigny, « capitaine à la
suite des dragons », avait alors 25 ans, il descendait d’une famille
enrichie dans le commerce des cierges. Ils vécurent en leur château de Marigny
à Saint-Germain-en-Coglès et à Fougères dans leur hôtel particulier, rue
Derrière (rue Chateaubriand actuelle, siège de la CFDT) dont Chateaubriand
évoque les bals et les dîners qui l’ennuyaient prodigieusement. François de
Marigny mourut non pas en 1787, comme l’affirma à plusieurs reprises son épouse
sur la fin de sa vie, mais en son hôtel à Fougères le 16 mars 1793, à l’âge de
38 ans.
Madame de Marigny était
lettrée, sa conversation était charmante et son esprit distingué. Des jeunes
poètes lui dédiaient des vers. Cependant on lui reprochait d’être un peu
mordante et « de décocher le trait avec autant de précision que
d’à-propos ». Elle eut une vie agitée et souvent douloureuse. En 1793,
les temps troublés de la chouannerie commençaient. Trois jours plus tard éclata
la « Révolte de la Saint-Joseph » premier acte d’une guerre
civile dans laquelle Mme de Marigny prit énergiquement parti ;
ce qui lui vaudra, de la part de Loysel, le commissaire du district de
Fougères, la qualification de « la plus puante aristocrate que je
connaisse » bien qu’il reconnaisse aussi « qu’elle sauva la
vie à six cents hommes de l’armée républicaine lors de la Guerre de Vendée ».
En 1796, elle n’hésita pas à
mettre son château de Marigny à disposition pour permettre une rencontre
secrète entre Puisaye, général en chef de l’armée catholique et royale de
Bretagne et plusieurs chefs chouans dont Aimé du Bois-Guy, Pontbriand et
Boishamon. L’année précédente, en juin 1795, elle rassembla dans la chapelle du
château, 69 enfants des paroisses de Saint-Germain et du Châtellier pour une
retraite de communion prêchée par un prêtre réfractaire, l’abbé Joseph Sorette qui devait être tué par les Bleus en 1799.
Chapelle du château de Marigny, St-Germain-en-Coglès.
Dans la préface d’Atala, Chateaubriand mentionne le courage de sa sœur, Mme de Marigny qui, au moment de l’occupation de Fougères par les Vendéens, obtint de La Rochejaquelein la grâce de nombreux prisonniers républicains.Il oublie de dire que Marie-Anne sut se ménager des sympathies dans les deux camps. Bien qu’elle ne connût pas, comme ses sœurs, l’horreur des prisons révolutionnaires, elle réclama en vain leur libération.
Dans la préface d’Atala, Chateaubriand mentionne le courage de sa sœur, Mme de Marigny qui, au moment de l’occupation de Fougères par les Vendéens, obtint de La Rochejaquelein la grâce de nombreux prisonniers républicains.Il oublie de dire que Marie-Anne sut se ménager des sympathies dans les deux camps. Bien qu’elle ne connût pas, comme ses sœurs, l’horreur des prisons révolutionnaires, elle réclama en vain leur libération.
Fidèle à ses sentiments
royalistes, elle n’en négligea pas pour autant son influence auprès des
patriotes modérés. Au début de l’Empire, en 1800, elle alla habiter à Paris,
après le mariage de sa fille, Elisabeh-Cécile, avec Joseph Louis Gouyquet de
Bienassis et le décès de son fils Edouard, né à Fougères en 1784.
Dans son ouvrage, M. Bernard
Heudré dit que « pendant les événements de 1814 qui amenèrent la chute
de Napoléon et le rétablissement de Louis XVIII, elle tint un journal où elle
exprime sa joie toute royaliste de voir le retour des Bourbons auxquels elle
n’avait jamais cessé d’être fidèle. Elle garda toute sa vie des relations
confiantes avec son frère, ainsi qu’en témoigne une correspondance suivie. Dans
l’une de ses lettres, datée de 1842, elle rappela qu’au seuil du salon du
château, il y avait une espèce de mansarde où François-René allait écrire et
rêver, et dans laquelle, Lucile avait dressé un petit autel de l’amitié ».
Plus âgée que son frère de
huit ans, elle lui survécut. Elle s’était retirée chez les Sœurs de la Sagesse
à Dinan ; c’est là qu’elle mourut, le 17 juillet 1860, âgée de cent ans et
treize jours, ayant pris froid à la fenêtre où elle était apparue pour
remercier la musique du Petit séminaire venue lui donner une aubade le 4
juillet alors qu’on célébrait son centenaire. Elle chanta même un couplet de la
célèbre romance : « Combien j’ai douce souvenance, du joli lieu de
ma naissance… »
« Le mois de
juillet, avait-elle dit une quinzaine de jours avant son décès, semble
fatal à ma famille : deux Chateaubriand on été guillotinés le 6 juillet
1794, mon frère est mort le 4 juillet 1848, mon tour va bientôt venir ».
Sa tombe était préparée depuis douze ans dans le cimetière de Dinan et elle
avait recommandé qu’on déposât sur son cercueil « une touffe de fleurs
de lis coupées dans le jardin du couvent ». Ce qui fut fait.
Elle s’était toujours
montrée généreuse envers les pauvres et avait enrichi l’église Saint-Malo à
Dinan de plusieurs dons, notamment d’un ostensoir et d’une statue de la Vierge.
Hôtel de Marigny, XVIIIè ,Archives de Fougères. |
-§-§-
Bénigne de CHATEAUBRIAND
(1761-1848)
.Deuxième sœur de
Chateaubriand, née en 1761, Bénigne avait épousé, le 11 janvier 1780 le même
jour que sa sœur Marie-Anne, le comte Jean-François de Québriac, seigneur de
Blossac, d’Halouse, de Patrion et autres lieux, né en 1742, donc plus âgé que
sa femme de 20 ans. Comme son beau-frère Marigny, il était entré dans la
carrière militaire pour devenir capitaine des dragons de la Reine.
Bénigne, Mme de la Celle Châteaubourg . Collection privée. |
« Chez mes sœurs,
écrit Chateaubriand, la province se retrouvait au milieu des champs :on
allait dansant de voisins en voisins, jouant la comédie, dont j’étais
quelquefois un mauvais acteur. L’hiver, il fallait subir à Fougères, la société
d’une petite ville, les bals, les assemblées, les dîners, et je ne pouvais pas,
comme à Paris, être oublié.
A l’époque, l’hôtel de
Québriac, situé rue Lesueur à Fougères était une petite maison composée au
rez-de-chaussée de trois pièces et d’un grand vestibule à porte cochère ;
trois autres pièces qui s’ouvraient sur la rue par des fenêtres à balcon en fer
forgé d’époque Louis XV, occupaient l’étage surmonté de greniers. La façade a
subi des modifications à différentes époques et elle en conserve encore les
traces. Une écurie située à l’arrière occupait la cour qui précédait d’étroits
jardins. Cet hôtel particulier n’avait rien de comparable avec l’hôtel de
Marigny ou l’hôtel de Farcy. Plus tard, après son second mariage, on verra
Bénigne préférer la campagne à la ville et s’installer le plus souvent à la
Sécardais ou au Plessis-Pilet.
La Sécardais, Mézières-sur-Couesnon |
Le comte de Québriac mourut brutalement à Combourg
le 8 août 1783. Quelques jours plus tard, son fils, César-Auguste, à peine âgé
de trois ans, suivait son père dans la tombe. Bénigne, à qui il restait un fils
qui allait devenir maire de Fougères au début de la Restauration, se remaria à
Fougères, le 24 avril 1786, avec le vicomte Paul-Marie de La Celle de
Châteaubourg, âgé de 34 ans, lieutenant en premier au Régiment de
Condé-Infanterie où il obtint le grade de capitaine en 1788. A la mort de son
neveu, quelques années plus tard, il devint le comte de Châteaubourg, chef de
nom et d’armes.
Bénigne fut la seule des
sœurs de Chateaubriand à ne pas avoir été tentée par la littérature.
Réaliste comme son père, elle semble avoir géré au plus près ses intérêts
financiers. La correspondance de son frère laisse parfois poindre un certain
agacement devant les exigences de sa sœur. Lorsqu’il fallut régler la
succession paternelle, Bénigne et Marie-Anne contestèrent la Coutume de
Bretagne qui voulait que les deux-tiers des biens d’un gentilhomme devaient
revenir à l’aîné. Les deux sœurs firent opposition en déclarant que la fortune
de leur père avait été acquise par le commerce, ce qui, à leurs yeux, ramenait
l’héritage au niveau roturier et impliquait l’égalité des parts. Mme
de Chateaubriand fut à jamais blessée par l’attitude de ses filles car des
ordonnances royales datant de Louis XIV et Louis XV stipulaient que le commerce
sur une grande échelle, spécialement dans la marine marchande –ce qui était le
cas pour les Chateaubriand – ne faisait pas déroger les gentilshommes. Le frère
aîné, Jean-Baptiste, accepta pourtant de verser 25.000 livres sur le champ, à
partager entre ses cinq cadets.
Bénigne mettait à profit ses
ressources pour tenir son rang dans la société fougeraise et dans la noblesse
rurale de Bretagne, partageant son temps entre son hôtel de Québriac qu’elle
garda après la mort de son premier mari et ses châteaux du Plessis-Pilet à
Dourdain et surtout de la Sécardais à Mézières sur-Couesnon.
Le château du Plessis-Pilet, à Dourdain, propriété des comtes de Châteaubourg,au début du XXè ( Coll .M. Hodebert) |
Après la tourmente révolutionnaire,
Chateaubriand revint à la Sécardais, au printemps 1806, accompagné de sa femme,
juste avant son départ pour la Terre Sainte. Céleste écrit dans son cahier
rouge : « Au mois de mai 1806, le voyage de Jérusalem fut
décidé ; nous allâmes faire nos adieux à nos parents de Bretagne dans un
vieux château appartenant à une des sœurs de mon mari, la comtesse de
Châteaubourg ».
Paul de La Celle de
Châteaubourg et Bénigne de Chateaubriand eurent quatre enfants, tous nés à
Fougères. Les rapports entre Bénigne
et son frère furent complexes. L’agacement du frère transpire dans ses lettres.
Lorsque Lucile mourut, il écrit à Mme de Marigny : « il
serait juste que Mme de Châteaubourg qui va jouir d’un bien si
facilement acquis contribuât à honorer la mémoire de notre chère Lucile ».
Déjà en 1803, au moment où l’écrivain distribua quelques exemplaires de luxe du
Génie du Christianisme, illustrés de neuf gravures, Céleste, sa femme,
Lucile et Marie-Anne, ses sœurs en reçurent un exemplaire comme cadeau, Bénigne
n’en reçut pas.
Femme de tête, toute donnée
à sa tâche de mère de famille, nullement tentée par la poésie et l’écriture
comme les autres membres de la famille, Bénigne n’hésita pas pour autant, en
1794, à adresser elle-même une pétition au Comité Révolutionnaire de Fougères,
pour obtenir la libération de ses sœurs et belle-sœur qui avaient été arrêtées
et enfermées à Rennes à la prison du Bon Pasteur.Quelques semaines avant son
frère, Bénigne mourut à Rennes le 16 mai 1848.
Marcel Hodebert
Sources:
Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, Tome I, La Pléiade, p.135 sq.
Bernard Heudré ,Chateaubriand, Terres et demeures d'Outre-Temps, éditions J.P. Bihr
, 1998.p105 sq.
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