Les
seigneurs de Fougères (2e partie) :
Main
II de Fougères
Main II reste le premier membre du lignage à porter le nom de « Fougères » dans des actes contemporains.
Ceci indique que le site était devenu le lieu de résidence de la famille. Avec
lui, la documentation est plus importante, on parvient à le cerner, lui, sa
famille et sa politique.
« Main de Fougères »
Main II apparaît au cours des années 1020-1030, les difficultés à dater
les actes avec plus de rigueur empêchent d’être plus précis. Le document le
plus ancien le concernant remonte aux années 1008-1030, il doit avoir succédé à
son père depuis peu de temps puisqu’il apparaît au sein de la liste de témoins
comme étant le « fils d’Alfred ». Comme
son père, Main figure en bonne place dans les actes ducaux.
Entre 1015 et 1022, il apparaît dans un acte du duc breton, Alain III, avec
la dénomination suivante : « Main de
Fougères », mais cet acte est un faux rédigé ultérieurement. Il faut
attendre les années 1040-1047 pour avoir la certitude que Fougères est bien
occupée par ce lignage.
Ainsi, au cours de cette décennie, Main II, qui prit le nom « de Fougères », confirma le don de
son grand-père à Marmoutier de l’église de Louvigné-du-Désert ainsi que de divers
biens et revenus (bourg, cimetière, droits...). Il ne se contenta pas de
confirmer les dons, mais il les augmenta. Main II réactiva le lien avec
l’abbaye et fit en sorte que la localité ne périclite pas alors que Fougères se
développait. Un second texte des années 1040-1047 évoque Fougères. Main II donna
à Marmoutier l’église de Saint-Sauveur-des-Landes, il permit aux moines
d’établir un prieuré et leur offrit trois maisons, une située en
Louvigné-du-Désert, une autre en Bazouges-la-Pérouse et la dernière localisée «
dans le castrum de Fougères », qui ne
correspond pas au château, sens premier de castrum,
mais à l’agglomération se développant alors à l’ombre du site fortifié. Cet
acte fixe aussi les limites de la seigneurie fougeraise. Main II eut un rapport
particulier avec le prieuré de Saint-Sauveur puisqu’il y fut inhumé.
Un seigneur entre Bretagne et
Normandie
Si d’aucuns ont vu en Main un seigneur breton, que l’on orthographiait
bien souvent Méen, les actes conservés nous montrent une autre politique de la
part du seigneur fougerais.
On le voit surtout actif dans la région de Saint-Sauveur-des-Landes où
l’abbaye de Marmoutier peine à s’installer rencontrant l’hostilité de l’élite
locale au cours des années 1040. L’église était divisée en parts, comme cela
était fréquent, quatre en l’occurrence. Il s’agit de droits tenus en fief reçus
par les pères de quatre hommes. Ils devaient les avoir reçus de Main II, ou de
son père, en échange de la protection de ce dernier. Ils s’estimaient ainsi
dépouillés d’une partie de leurs revenus, mais aussi éloignés du sacré,
rappelons que l’église venait d’être cédée aux moines de Marmoutier, or les
religieux priaient pour les vivants et les morts, leur assurant ainsi leur
salut. Revendiquer une partie de l’église pouvait revenir à briguer une partie
des prières. Ainsi, le lignage Pinel posa plusieurs problèmes, non seulement à
propos de Saint-Sauveur-des-Landes, mais aussi de Romagné. Le seigneur de
Fougères dut donner de fortes sommes d’argent, des chevaux, un équipement de
chevalier... La famille Pinel n’hésita pas à entrer en conflit avec le seigneur
de Fougères, mais aussi le duc de Bretagne et l’abbaye de Marmoutier,
probablement la plus prestigieuse de l’Ouest. Parmi les membres du lignage,
l’un des plus importants, Kinouuaret, était vicarius,
c’est-à-dire représentant local de l’autorité publique, du moins était-ce son
titre, les réalités de la fonction devaient être différentes. Il avait dû
capter une partie des prérogatives publiques à son profit et celle de son lignage.
Sa famille était donc solidement implantée localement et l’installation de
moines et donc d’une seigneurie monastique éveilla sa méfiance.
Quand on observe les actes dans lesquels Main apparaît, on perçoit
l’étendue de la seigneurie de Fougères, même s’il est impossible d’en dresser
une carte avec des limites précises. On note que son pouvoir rayonnait à partir
de centres (Louvigné-du-Désert, Bazouges-la-Pérouse, Saint-Sauveur-des-Landes
et surtout le château de Fougères) et que son autorité s’étendait jusqu’à
Vieux-Vy, Chauvigné et Sougéal. La mention de cette dernière localité permet
d’aborder une évolution dans la politique de notre seigneur.
En effet, loin d’être un rempart breton comme les princes voisins, Main
II a joué sa propre partition. C’est très certainement avec lui que le lignage
de Fougères connut le début d’une autonomie relative importante, pas une
indépendance. Ainsi passé le milieu du XIe siècle, Main fréquenta la
cour du duc de Normandie, Guillaume. À deux reprises, il y figure comme témoin
d’actes et dans un troisième texte, il confia l’église de Savigny-le-Vieux à
Marmoutier. Or, il est bien noté dans ce document que Savigny relevait des terres
contrôlées par le duc de Normandie. Il y a donc eu un rapprochement entre les
deux hommes. Les actes ne sont pas assez explicites sur les motivations et il
peut y avoir plusieurs hypothèses. Guillaume de Normandie a-t-il restitué des
biens anciens qui appartenaient à la famille de Fougères avant sa prise de
contrôle du Cotentin afin de se concilier un vassal ? Main n’aurait-il pas
anticipé la menace normande car en ce milieu de XIe siècle,
Guillaume se montre expansionniste et a des visées sur le nord-est du
Rennais ? Habilement, les deux hommes auraient trouvé un terrain d’entente
satisfaisant les deux parties. Main augmentait ses possessions foncières et
seigneuriales et Guillaume s’assurait la fidélité d’un homme dont le lignage
contrôlait un accès de la Bretagne. L’histoire des XIIe-XIIIe
siècles, bien avant celle du XVe siècle, allait montrer que la
situation frontalière de Fougères était stratégique pour les Bretons, mais tout
autant pour les ducs normands devenus rois d’Angleterre.
Car par la suite, on ignore la politique suivie par Main II. Lors de la
célèbre expédition de Guillaume en 1064 dans le nord de la Bretagne, brodée sur
la Tapisserie de Bayeux, le seigneur
fougerais et sa place forte sont absents. A-t-il participé à la conquête de
l’Angleterre et au combat d’Hastings en 1066 ? Toute une tradition le
prétend, mais sans certitude car la documentation est très lacunaire pour cette
période (années 1060) au cours de laquelle Main II mourut.
Un lignage solidement implanté
Avec Main II le lignage de Fougères est solidement installé dans le
nord-est du Rennais, à Fougères. La reconstitution de sa famille l’illustre.
Main a épousé Adélaïde dont l’origine a longtemps posé problème. Elle fut
parfois présentée comme la fille d’un seigneur normande, Giffard de Bolbec de
Longueville ou Girois, seigneur du pays d’Ouche, parfois comme la fille d’un
seigneur du Châtellier. Cette dernière hypothèse est la moins probable, Main
II, personnage important, devait épouser une femme d’un niveau si ce n’est
également au sien, sinon supérieur. Or, les récentes recherches de Florian
Mazel permettent d’envisager une autre hypothèse à partir notamment des
prénoms. Le choix d’un prénom n’était pas neutre au Moyen Âge, même durant ce
XIe siècle qui prolonge en la matière certaines coutumes héritées du
haut Moyen Âge. Un prénom définit la place d’un individu dans la famille mais
plus encore dans la société. Dès lors, en observant les noms des personnes, on
peut retrouver certains liens tus par les sources écrites car évidents pour les
contemporains. Ainsi, Adélaïde portait un prénom en usage dans la famille
comtale bretonne, deux des enfants du couple, Eudes et Juhel, portaient des
prénoms comtaux. Dès lors, Adélaïde serait une fille du comte Eudes ; par
son mariage, Main s’est hissé dans l’aristocratie régionale.
Main II eut au moins quatre enfants, donnée importante pour la
perpétuation du lignage mais aussi ses alliances politiques, par le biais du
mariage des filles. Eudes était l’aîné de la fratrie, cité plusieurs fois au
cours de la décennie 1040, il mourut jeune, probablement avant 1047. Juhel, le
cadet, devint donc l’héritier, on le voit poser son seing sur un document
normand ; ce fut effectivement lui qui succéda à Main II. Ce dernier eut
un troisième fils, Raoul, qui devint lui aussi seigneur. Le couple n’aurait eu
qu’une fille, mais sur ce point, il convient d’être prudent, les sources les
évoquent peu, d’autant plus qu’en se mariant elles quittent tôt la maisonnée.
Godehilde, semble-t-il la seule fille, fut mariée à Jean Ier de Dol,
membre d’un lignage très important en Bretagne qui a donné naissance aux
seigneuries de Combourg et Dinan et contrôlait le siège (archi-)épiscopal de
Dol.
Avec Main II on devine ce que pouvait être une famille de l’aristocratie
moyenne dans l’Ouest de la France. Les relations tissées par le lignage
s’étendent aux régions voisines, particulièrement la Normandie, mais aussi les
Pays de la Loire, par le biais de l’abbaye de Marmoutier. Le mariage apparaît
comme un moyen de nouer de relations avec des familles d’un rang supérieur,
signe d’une ascension. L’espoir du lignage repose aussi et peut-être même
surtout sur l’épouse qui doit mettre au monde un garçon, voire plusieurs. Eudes
disparaît tôt ; Juhel et Raoul furent les garanties de la survie de la
Maison de Fougères. Main II fut donc le premier seigneur à porter le titre de
« seigneur de Fougères »,
il est parvenu à enraciner sa famille à partir du château.
Julien Bachelier
Bibliographie
Christian Le Bouteiller, Notes sur l’histoire de la ville et du pays
de Fougères, Bruxelles, éd. Cultures et civilisations, 1912-1914 (rééd.
1976), 4 vol., ici t. 2.
Florian Mazel,
« Seigneurs, moines et chanoines : pouvoir local et enjeux ecclésiaux
à Fougères à l’époque grégorienne », Annales
de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 2006, t. 113-3, p. 105-135.
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