lundi 25 août 2014

THERESE DE MOELIEN,II : l'arrestation et l'exécution



 L'ARRESTATION ET L'EXECUTION  de THERESE DE MOELIEN



   Le 9 mars 1793, la municipalité fougeraise lui refuse un certificat de résidence au motif que « la citoyenne Moëlien qui a été 15 jours absente sur quatre mois : temps suffisant pour émigrer sur le territoire anglais ». Le 25 mars suivant, le policier Lalligand[23] et l’espion Sicard qui savaient que Thèrèse de Moëlien détenait un reliquat des fonds de la Conjuration – il était estimé à mille louis d’or – obtiennent sans difficulté un réquisitoire de la municipalité pour procéder à une réquisition à son domicile. 
Ce document est conservé aux Archives Nationales dans un dossier-manuscrit comportant quatre gros volumes sur la Conspiration de La Rouërie[24]. Il est intéressant de rapporter ici le procès-verbal de cette perquisition. On s’aperçoit que Thérèse avait pris toutes ses précautions pour n’impliquer personne et que finalement, le policier fit chou blanc :

« L’an 1793, 2ème de la République Française, le vingt-cinq mars, aux 10 h. du matin, Nous, Jean-François-Pierre Le Bouc, juge de paix et officier de police de la ville de Fougères, ayant avec Nous pour adjoint Jean-Baptiste-René Pacorin, greffier de paix de la 2ème section, vu l’indisposition de notre greffier ordinaire, rapportons que sur la réquisition à nous faite par le citoyen Le Nicolais[25], Commissaire du département, de nous transporter chez la demoiselle de Moëlien aux fins d’ordres donnés par les Députés Commissaires de la Convention Nationale pour faire visite et perquisition de tous les objets qui pourront se trouver suspects dans ses appartements et meubles. En conséquence, nous nous y sommes transportés et parlant à Thérèse de Moëlen nous lui avons annoncé l’objet de notre commission en lui communiquant les pouvoirs susdits ; elle a déclaré ne s’opposer à ladite visite, et nous a aussitôt remis les clefs d’un secrétaire étant dans son appartement situé sur le jardin et à l’Orient. Ouverture faite dudit secrétaire, nous y avons remarqué quelques papiers dont nous avons fait l’examen et dont nous n’avons pas cru devoir nous emparer, ne consistant que dans des lettres indifférents, titres de propriétés, livres, papier blanc et autres effets que nous avons remis dans ledit secrétaire, dans l’ordre que nous les avons trouvés, l’avons fermé de ses clefs. Ouverture faite d’une commode ou chiffonnier, nous n’y avons trouvé que des effets à l’usage de ladite de Moëlien. Entrés dans la bibliothèque ou cabinet de toilette, nous n’y avons trouvé que des livres et une toilette dans un corridor où nous avons fait l’ouverture d’une armoire qui ne contient que des robes à l’usage de la même, linge de table et autre. N’ayant d’autres appartements à vérifier, nous avons demandé à voir la cave ; l’ayant examinée exactement, nous n’avons trouvé rien de suspect. Après quoi, ayant fait ouvrir une autre armoire, nous n’y avons trouvé que des livres, quatre épaulettes dont deux en or et deux en argent, une croix de l’Ordre de St Cinnatus (sic)[26] avec un coupon de ruban bleu, bordure blanche, destiné à la décoration de la croix. Nous nous sommes saisis de ces derniers objets pour remettre à l’Administration du District. Dans la cuisine, nous n’avons rien trouvé de fermé qu’une malle contenant des effets appartenant à Nanon, sa femme de chambre qu’elle a dit être partie dans l’espoir de se marier à Vannes, son pays.


Demandé : Depuis quand elle était partie et si elle n’avait rien emporté avec elle ?


Répond : Partie d’hier et n’avait emporté que des choses indispensables à son usage.


Demandé : Lui avons demandé qu’elle devait avoir son adresse pour lui faire passer ses effets.


Répond : Qu’elle devait l’envoyer à une de ses amies à Rennes dont elle ne se rappelle pas le nom, que du reste elle lui avait promis de lui écrire à son sujet.





Dont de tout ce que nous, juge susdit avons, en présence de C. de la Touche, procureur sindic du District de Fougères, rapporté le présent procès-verbal pour être déposé au District et servir ce que de raison et avons envoyé l’apposition des scellés à mettre sur les effets et les portes des appartements.


Signé : Thérèse de Moëlien, de la Touche, procureur sindic, le Bouc, Pacorin ».



   Bien que ne trouvant rien de compromettant dans l’appartement de Thérèse de Mollien, on y apposa les scellés comme l’indique le procès-verbal également conservé : « Aux deux heures de relevée, Nous, juge susdit, assisté du même Pacorin, nous nous sommes transportés en vertu du renvoi du matin de ce jour en la demeure de la demoiselle de Moëlien pour apposer les scellés sur la porte des appartements de ladite de Moëlien, et être aux fins d’ordre du citoyen Clinchamp, administrateur du département, du 25 de ce mois. Et icelle, demoiselle Moëlien sortie, les portes fermées, nous y avons apposé notre cachet de cire verte aux deux extrémités, après nous être saisi des clefs, ayant remis au citoyen Le Breton les clefs, qui sont celles de la cave, du portail d’entrée, être suivant la recommandation nous en faite par ladite de Moëlien dont et du tout ce que dessus nous avons arrêté le présent sous notre seing et celui de notre adjoint. Signé Le Bouc, Pacorin. – Pour copie conforme au procès-verbal déposé au secrétariat du District de Fougères – signé Baron ».


Thérèse de Moëlien, dès la perquisition terminée, aurait pu essayer de s’enfuir. Elle n’était pas présente lors de l’apposition des scellés. Chercha-t-elle à le faire ? Nous n’en savons précisément rien. Par ailleurs, le procès-verbal de son arrestation ne nous est pas parvenu. Mais si l’on croit une lettre de Sicard, l’espion envoyé pour infiltrer la Conjuration, on peut supposer qu’elle n’en fit rien : « Parti pour Fougères ou les environs, écrit-il, le but que je me proposais était l’arrestation d’un des agents femelles de la Conjuration Bretonne, la demoiselle Thérèse Moëlien Trojoli. Mon but est rempli, je l’ai remise hier, entre cinq et six heures du matin, dans les prisons de Rennes. Le citoyen Lalligand-Morillon, malgré sa grande activité, n’avait sans doute encore pu la découvrir ; la prise, selon lui, était cependant importante dans tous les genres, puisqu’il avait assuré qu’outre les renseignements qu’elle pourrait donner, il savait qu’elle avait un dépôt de 1.000 louis en or. Il avait peut-être des motifs pour le dire ; je pourrai communiquer mes idées à ce sujet à mon retour à Paris, mais un fait très certain, c’est que les perquisitions les plus exactes ont été faites par mon ordre et sous mes yeux ; et moi aussi j’ai fait sonder les caves, mais je n’ai rien trouvé. Elle avait été prévenue qu’elle ferait sagement de s’éloigner, mais ne se croyant pas coupable, elle n’a pas voulu s’éloigner. J’ai été obligé de communiquer ma mission au citoyen Sevestre, député ; je lui ai demandé un réquisitoire pour les administrateurs de Fougères, qui leur enjoignait de s’entendre avec moi pour l’arrestation de la Nymphe.

« Morillon est de retour à Rennes, il a appris le fait. Il a été surpris, inquiet ; il est allé voir la belle prisonnière et l’a beaucoup questionnée pour savoir qui l’avait arrêtée ; il lui a reproché de n’avoir pas suivi le conseil qu’il lui avait fait parvenir depuis quelques jours. J’insiste donc pour qu’on soit très réservé avec Lalligand-Morillon, qu’on ignore surtout ou qu’on feigne d’ignorer, même au Comité, l’arrestation de Thérèse Moëlien, et surtout ne lui remettez pas un sol jusqu’à mon arrivée à Paris… ». 

A la lecture de cette lettre, on s’aperçoit que l’envoyé de la Convention, Sicard, se méfiait de Lalligand, le soupçonnant même de collusion. Quel conseil avait-il donné à Thérèse pour ensuite lui reprocher ne pas l’avoir suivi après qu’il eût découvert son arrestation et son emprisonnement ? Etait-ce la couverture de sa fuite moyennant quelques louis d’or, sans doute convoités ? Tout le monde savait que Lalligand s’y entendait pour se procurer de l’argent et que son honnêteté n’était pas sans reproche. Mais Thérèse qui était d’une autre trempe, avait sans doute refusé cet arrangement d’où la crainte de Lalligand d’être compromis. Elle le laisse quelque peu entendre dans la lettre écrite à Louis de La Haye Saint-Hilaire que l’on trouvera ci-dessous. 

Thérèse de Moëlien fut écrouée le 26 mars 1793 à la prison de la Tour le Bât à Rennes, elle y retrouva ses amis arrêtés à la Guyomarais et à la Fosse-Hingant. Tous les prisonniers furent bientôt transférés à la prison de l’Abbaye à Paris. Quelques jours avant son transfert à Paris, Thérèse adressa à son ami Louis de La Haye Saint-Hilaire cette très belle et émouvante lettre :





 Louis de La Haye-Saint-Hilaire


« Je ne puis quitter ce pays, Monsieur et véritablement cher ami, sans vous témoigner ma sensible reconnaissance sur les marques réitérées des sentiments délicats qui vous attachent à moi depuis une époque très reculée. Croyez que je les ai su apprécier, et que mon cœur, susceptible d’amitié seulement de pouvoir les partager, a goûté un véritable plaisir à les retrouver. Mais combien ne suis-je pas alarmée des vives inquiétudes auxquelles cette amitié doit vous exposer ! Je veux vous rappeler ici, Monsieur, notre dernière entrevue ; elle a dû vous convaincre que ma détermination à m’exposer à toute la vicissitude des événements qui semblaient fermenter ne pouvaient provenir que d’une indifférence parfaite sur tout ce qui ne pouvait que m’être personnel. Ne craignant point la mort ou presque la désirant, qu’avais-je à craindre ? Aussi n’ai-je pas daigné bouger pour assurer ma liberté et ma sûreté personnelles.

« Qu’on est heureux, Monsieur, dans la situation orageuse où je me trouve, d’envisager d’un œil stoïque tous les événements de la vie ! Ils ne me coûteront ni soupirs ni larmes ; la force de mon mépris pour quelques individus ne me portera pas même au sentiment pénible de la haine. Je plains les hommes d’être nés aussi méchants, leur enfer est dans leur cœur ; comment peuvent-ils s’y replier sans souffrir toutes les douleurs du remords ! L’honnête homme peut-il envier leur prospérité ? Elle n’est qu’apparente ; il n’est point de bonheur réel pour celui qui est mécontent de lui, comme il n’est point de peine insurmontable pour l’âme courageuse dont le cœur est sans remords et sans reproches. Il peut avoir des regrets, mais il est sans tourments ; c’est le partage des méchants.

« Je ne crains qu’une chose, c’est de connaître la sensibilité de mes amis ; mais je me flatte que la raison la modèrera ; je veux la fortifier. Pourquoi me regretteraient-ils outre mesure puisque je regrette si peu ? Mon ami, qu’ai-je à perdre ? Un reste de jours malheureux que rien ne saurait rendre au bonheur. Depuis le 15 octobre 87, il ne m’a plus été possible de goûter de vraie jouissance ; en 88, j’ai acquis une liberté plénière, ce que j’avais le plus désiré au monde après la conservation de…( ?) n’est plus. Je n’ai joui de rien, vous le savez, depuis tout ce qui m’est arrivé, et si j’ai lieu de regretter la vie, serait-ce donc une décrépitude prochaine car ma santé est très affaiblie. Pourrai-je former le désir de nouveaux liens ? Je n’ai trouvé dans les seules jouissances vives dont mon âme était susceptible que la source des peines les plus amères. Non, je ne veux plus rien aimer très fortement, et cesser d’aimer pour une âme sensible c’est végéter.

« Plaignez mes destinées, âme généreuse, mais ne regrettez pas ma fin ; je cesse d’être pour ce monde, et c’est peu de chose. Ne vous affligez donc pas quel que soit mon sort, car cela m’affligerait encore, et je ne veux conserver qu’un souvenir doux de vous, de votre amitié. Adieu ! regrettez-moi un peu, mais pas trop.

« Je pars après-demain, le Tribunal nous attend, je ne le crains pas ».

Signé : Th


Puis elle ajoute encore : « N’allez pas croire, mon ami, à la mélancolie de mes réflexions que mon âme soit abattue et triste ; non ; depuis que je suis en prison je ne souffre pas la moitié autant, et presque plus pour moi, aussi ai-je repris une partie de ma gaîté naturelle et je crois qu’elle me surviendra jusqu’au dernier moment. J’ai infiniment à me louer de mon étoile dans mon infortune apparente ; j’ai eu le bonheur de me trouver entre les mains d’un homme honnête, délicat et sensible dont j’ai à me louer sur tous les points, aussi suis-je au mieux. Soyez donc sans inquiétudes ; il n’y a à craindre que la fermentation de Paris ».

Dans le haut de la lettre, Thérèse ajouta : « Je pars vendredi pour Paris ». Soit le 19 avril 1793.Cette lettre est conservée à La Haye dans un portefeuille blanc sur lequel a été fixé un papier portant ces lignes :

« Ce portefeuille, fait d’un des gants de Thérèse-Joséphine de Moëlien, renferme :

« Une lettre qu’elle m’écrivit quand elle fut arrêtée ;

« Ses cheveux dans un ruban ; elle les coupa lorsqu’elle fut condamnée ;

« Des épaulettes qu’elle portait sur un habit d’amazone.

« Que ceux entre les mains desquels pourraient tomber ces restes sacrés respectent les dépouilles de la vertu et du courage ; qu’ils les remettent à mes neveux.

« Louis de La Haye Saint-Hilaire ».



 Archives  de LA HAYE-SAINT-HILAIRE.
Les cheveux châtains assez foncés qui forment une grosse boucle, furent coupés à la Conciergerie ; Thérèse les remit à un inconnu qui les achemina jusqu’à son destinataire. Les épaulettes, très petites, sont en drap bleu de roi, la patte de forme triangulaire, est bordée d’un galon d’or d’environ un centimètre ; la frange est d’or à petit grain ; la longueur de la patte est de six centimètres ; celle de la frange un peu moindre.

 Thérèse et ses compagnons d’infortune purent entrer en rapport avec un prêtre réfractaire, enfermé lui aussi dans un cachot de la tour. Une religieuse leur apporta, cachées dans la bavette de son tablier et enveloppées dans un corporal, cinq hosties consacrées qu’ils se partagèrent pour se communier eux-mêmes.

 Le 22 avril 1793, Thérèse de Moëlien quittait sa prison de Rennes avec une vingtaine de détenus. Une longue route attendait le convoi composé d’hommes et de femmes entassés dans des voitures et des chariots, sur de la paille. Seuls les hommes avaient été enchaînés. L’escorte se composait d’une centaine de gendarmes et de gardes nationaux conduits par Sicard et Lalligand. On passa la première nuit à Vitré où il y eut quelques incidents, puis le convoi passa à Laval, Mayenne, Alençon, puis Dreux où il y eut quelques tumultes. A Versailles, une foule d’hommes et de femmes déguenillés et ivres huèrent les Bretons, criant « A bas les têtes ! ». Afin d’éviter le pire, le convoi fut mis à l’abri dans la cour de la mairie. La municipalité procéda à des interrogatoires et décida de promener les prisonniers dans les rues de Versailles pour satisfaire la foule. 

On procéda donc à une parade ignoble, obligeant les femmes à prendre le bras d’un officier municipal et les hommes à se faire accompagner d’un gardien. On promena ainsi le cortège sous un déluge de menaces et d’injures obscènes. A la tombée de la nuit, tous les prisonniers furent entassés dans le même cachot. Epuisés de fatigue et de frayeur, ils ne purent se reposer un seul instant tant, à l’extérieur, la foule hurlait. Lorsque, enfin, au milieu de la nuit, le calme fut revenu, le convoi repartit vers Paris où il arriva le 22 mai, soit un mois jour pour jour après le départ de Rennes ! 

 A la prison de l’Abbaye, on logea les cinq femmes dans la même cellule « où deux personnes n’auraient pu vivre à l’aise ». Les hommes, quant à eux, retrouvèrent nombre des détenus qui attendaient leur jugement. Ils furent bientôt rejoints par Georges de Fontevieux et Louis du Pontavice, membres de l’Association Bretonne qui, cachés à Paris, ont été cueillis sur  indications du traître Chèvetel.


Le 31 mai, un arrêté transférait les Bretons à la Conciergerie. Le 4 juin, leur procès commençait. Une foule compacte de curieux remplit le prétoire et le tumulte grandit lorsque parurent les 27 accusés[27], suivis de quelques défenseurs, des témoins cités, de douze jurés[et des magistrats : le président Jacques Montané, quatre juges,l’accusateur public, Fouquier-Tinville et le greffier qui se fait appeler Fabricius.

 Lors de son interrogatoire, Thérèse fait courageusement face au président et s’étonne que son cousin qui, dit-on, préparait tant de crimes ait pu avoir autant d’amis et de partisans. Elle se défend énergiquement. Alors que le président Montané lui rappelle que Bougeard, le valet de chambre de La Rouërie avait affirmé que son maître avait l’intention de détruire Antrain et Pontorson après en avoir passé tous les habitants au fil de l’épée, ce qui était absurde évidemment, Thérèse lui répondit : « Bougeard est un ivrogne. D’ailleurs, citoyen, si mon cousin avait été l’homme que vous dites, croyez-vous qu’il aurait compté de si nombreux partisans ? ». Montané n’insista pas. Il parle alors de la liste des affiliés à la Conjuration et des 1000 louis d’or qu'elle a fait disparaître, citant sur cette affaire, Billaud-Varenne comme témoin. Celui-ci s’en tire par une pirouette en citant Lalligand (le grand absent du procès) et son collègue Bazire qui refuse de répondre lorsque Fouquier-Tinville le cite à la barre. Les avocats des prévenus eurent beau demander les comparutions de Lalligand et de Chèvetel, principaux acteurs de l’affaire, ils ne furent pas écoutés. On craignait trop leur témoignage, l’affaire était jugée d’avance.


Quant à Monsieur de la Guyomarais accusé d’avoir reçu chez lui le marquis de la Rouërie, il reconnut volontiers le fait mais précisa qu’il était le seul, dans sa famille, à être en relation avec lui. Il espérait ainsi sauver sa femme et ses enfants également inculpés, ce qui ne fut malheureusement pas le cas.    


 Château de  La Guyomarais, Saint-Denoual (22) où La Rouërie avait trouvé refuge.


près les interrogatoires au cours desquels certains accusés firent preuve d’une grande abnégation en refusant de dénoncer d’autres personnes, l’accusateur public fit ses réquisitions contre chacun des prévenus. Contre Thérèse de Moëlien, il déclara « qu’elle était une des agentes de l’association contre-révolutionnaire et particulièrement de La Rouërie ; qu’elle était occupée à faire des distributions d’argent et d’assignats, pour séduire les citoyens et les entraîner dans le parti de l’association ; qu’elle recevait à cet effet de Desilles, père, des sommes d’argent, ainsi qu’il résulte des notes de paiements faits, trouvées lors de la perquisition faite dans la maison dudit Desilles, sur l’une desquelles on lit : à Mlle de Moëlien 400 livres, et sur une autre on lit : à Mlle de Moëlien 138 livres ; que lors de la perquisition faite chez elle, il y a été trouvé quatre épaulettes de capitaine, dont deux en or et deux en argent, une médaille de l’Ordre de Cincinnatus et un coupon de ruban servant à la décoration dudit ordre » 

Le 18 juin 1793 au matin, le Tribunal révolutionnaire rendit son verdict : douze des prévenus étaient condamnés à mort : M. et Mme de La Guyomarais, Thébault de La Chauvinais, Picot de Limoëlan, Morin de Launay, Locquet de Grandville, Groult de La Motte, Jean Vincent, Louis du Pontavice, Georges de Fontevieux, Thérèse de Moëlien et Angélique de La Fonchais, tous accusés d’être complices de la conspiration. Leurs biens devaient être saisis au profit de la Nation. François Perrin, le jardinier de la Guyomarais et Joseph Le Masson, chirurgien, furent condamnés à la déportation en Guyane. Les autres furent acquittés.

 UNE FIN STOÏQUE
  
 

Pour les condamnés à mort, le jugement stipule qu’ils seront exécutés le jour même sur la place de la Révolution ; ils ne rentrèrent pas à la Conciergerie mais furent dirigés vers douze prêtres assermentés qui, dans une salle, les attendaient pour leur offrir la dernière consolation de l’Eglise. Les Bretons refusèrent leur ministère. En attendant leur exécution, on leur permet de se faire leurs adieux et d’écrire une lettre qui ne parviendra jamais à leurs destinataires; elles  seront retrouvées un siècle et demi plus tard dans les cartons du pourvoyeur de la guillotine, Fouquier-Tinville, conservées mais oubliées aux Archives Nationales.


Enfin le bourreau et ses aides arrivèrent pour faire la « toilette » des condamnés. Les chevelures tombèrent – ce fut en ce moment que Thérèse parvint à soustraire une mèche de ses cheveux – ils lièrent les mains de leurs victimes. Ces préparatifs terminés, ils montèrent tous dans les charrettes qui devaient les conduire au lieu d’exécution. Fouquier-Tinville avait cru prudent de réquisitionner une force armée importante. Craignait-il  quelque agitation en faveur des Bretons car des bruits couraient au sujet des condamnés. Mais les voilà… elles arrivent ces charrettes escortées de gendarmes dans lesquelles cahotent les condamnés, debout, pressés les uns contre les autres, parlant paisiblement entre eux, quelques-uns des hommes souriant.


La foule est ébahie, les curieux échangent leurs impressions, le silence se fait, pas de haine, pas de poings levés comme on avait pris l’habitude de le voir en ces sinistres circonstances. Les condamnés sont calmes et résignés, ils font preuve d’un sang-froid qui étonne. La jeunesse des femmes saisit les cœurs. Descendus des charrettes, voilà qu’ils s’embrassent, ce qui émeut la foule. Bien que les mains soient liées, les lèvres tremblantes s’effleurent et bredouillent « adieu ! », « courage ! » tandis que des larmes silencieuses coulent sur les joues. Il est trois heures de l’après-midi.


Dans la foule, un témoin de premier ordre, est là. C’est Louis de La Haye Saint-Hilaire qui, sous un déguisement, est venu assister à l’exécution de ses amis. Dominant son chagrin, resté silencieux pendant le temps de l’exécution, il quittera discrètement la place au moment où l’on emporte les corps.


Le bourreau a pris sa place, ses aides s’affairent, un des condamnés monte les marches de l’échafaud, se retourne pour saluer, rapidement il est entouré, garrotté, basculé, le couteau tombe, puis c’est un autre et encore un autre, en douze minutes le travail est terminé.


Plus tard des témoins de la scène ont rapporté : « Tous s’embrassèrent au pied de l’échafaud, tous périrent avec une dignité pleine de courage et en criant Vive le Roi ! Mais, au milieu de ces infortunés, morts, aux dires des journaux républicains, « avec la gaîté de fanatiques qui se croient des martyrs », le peuple admira cette belle Thérèse de Moëlien qui n’avait pour ses juges qu’un sourire de mépris… »

On lit encore : « Tandis que les charrettes prenaient le chemin du cimetière de la Madeleine, la foule se dispersait… Les gens du peuple et surtout les femmes disaient de la grande demoiselle – Thérèse de Moëlien - : « Ah ! comme elle avait une belle peau ! Comme elle avait les cuisses blanches ! » parce que son jupon s’était accroché lorsqu’on l’avait jetée sur le monceau ensanglanté » et « Thérèse de Moëlien De fougères ! montra beaucoup de fermeté en allant au supplice, et au pied de l’échafaud, elle embrassa le jeune Pontavice qui périt avec elle ».

Le procès-verbal de l’exécution de Thérèse est ainsi conçu :


« Procès-verbal d’exécution à mort. Moëlien Defougères.

« L’an mil sept cent quatre vingt-treize, deuxième de la République Française, le 18 juin après midy, à la requête du citoyen accusateur public près le Tribunal Criminel extraordinaire et révolutionnaire établi à Paris par la loi du 10 mars 1793, sans aucun recours au Tribunal de Cassation, nous, huissiers soussignés, nous sommes transportés en la maison de justice dudit Tribunal pour l’exécution du jugement rendu ce jourd’huy duement en forme contre Thérèse Moëlien Defougères qui la condamne à la peine de mort pour les causes énoncées audit jugement, et de suite l’avons remise à l’exécuteur des jugements criminels et à la gendarmerie qui l’a conduite sur la place de la Révolution cy-devant Louis XV, où sur un échafaud dressé sur ladite place, ladite Moëlien Defougères a, en notre présence, subi la peine de mort, et le tout ce que dessus avons fait et rédigé le procès-verbal pour servir et valoir ce que de raison, dont acte ».

signé : « Boucher, Tavernier, Enregistré gratis à Paris le 20 juin 1793 ».


Le 11 décembre 1794, à Fougères, on vendait le mobilier de Thérèse au profit de la Nation. Le propriétaire, Roch Lebreton[28], n’avait pas touché de loyer depuis l’arrestation de sa locataire. Les scellés ayant été apposés, la location avait été gelée. Il réclama donc le paiement du loyer…. à la Nation. Le document a été conservé, il est ainsi conçu : « Pierre Lebreton, procurateur de Roch Lebreton son frère, demande paiement de 180 livres pour deux années de jouissance du loyer de la maison occupée par Thérèse de Moëlien, confisquée par la Nation. Bail du 7 octobre 1790 – elle devait les réparations locatives ». Nous ne savons s’il obtint satisfaction.

 Avant son exécution, Thérèse de Moëlien écrivit une lettre à sa tante, Pauline de La Bélinaye : 

« A la citoyenne Vendel à la maison de la Trinité à Fougères,

« Ce 18 juin,

« Je serai près de l’Eternel, mon amie, lorsque vous recevrez cette lettre, j’espère que le pardon de mes ennemis m’y obtiendra celui de mes fautes, de mes crimes envers lui, car l’oubli fréquent de ses bienfaits en est un sans doute qui ne pouvait être trop racheté et le sacrifice de quelques années ce n’est pas grand chose pour qui sait apprécier la vie à sa juste valeur ; l’arrêt de ma mort ne m’a rien fait éprouver, toutes les tribulations que j’ai essuyées depuis mon arrestation m’ont suffisamment dégoûtée de la vie, et le spectacle continuel des malheureux est bien propre à cet effet.

« Adieu ma pauvre amie, ne me regrettez point, je meurs avec confiance et presque avec joie. A quel beau banquet je serai ce soir, mon amie, je vous y attendrai ; vos vertus vous y appellent, je n’avais rien à me reprocher envers les hommes, je n’ai jamais eu que des sentiments d’humanité, je souhaite sincèrement le bonheur de ceux qui me conduisent au tombeau ; mais envers Dieu, mon amie, je n’étais pas aussi innocente ; je l’aimais mais le servais mal, j’espère qu’il me le pardonnera ; que mes amis ne pleurent donc pas mon bonheur, nous nous y réunirons tous, soyez l’interprète de tous mes sentiments pour eux.

« Adieu, ma malheureuse amie, j’ai pris toutes les précautions dont il m’a été possible pour vous faire passer le reste des assignats que vous m’aviez prêtés ».


D’autres lettres des condamnés exécutés ce 18 juin 1793 sont transcrites par Olivier Blanc dans son ouvrage[29]. On y trouve notamment les lettres écrites par Nicolas-Bernard Groult de La Motte, Jean-Baptiste-Georges de Fontevieux, Guillaume Morin de Launay, Georges Vincent, Marie-Jeanne La Motte de la Guyomarais, Louis-Anne du Pontavice, Félix Locquet de Granvillen, Angélique de La Fonchais et Michel-Alain Picot de Limoëlan.


Ce fut ainsi que s’acheva dans le sang l’Association Bretonne, la Conjuration du marquis de La Rouërie qui, s’il n’était mort prématurément, aurait pu réussir, ce qui aurait changé le cours de l’Histoire de France.


 Le marquis de La Rouërie
Quant à Chèvetel, le médecin de Bazouges en qui le marquis avait fait aveuglément confiance, il se garda bien de revenir en Bretagne après l’exécution des amis de La Rouërie. Il veut jouir de la fortune qu’il a amassée et cherche à se faire oublier. Comme il craint les représailles des parents ou des amis de ses victimes, il se retire à Orly, au Sud de Paris, petite localité où il trouve le calme qu’il recherche. Il se marie avec son ancienne maîtresse, Mademoiselle Fleury, une artiste de théâtre qui appartient à la Comédie Française. A Orly, les époux Chèvetel font figure de braves bourgeois et deviennent, tour à tour, d’honnêtes républicains, de dévoués impérialistes ou de fidèles royalistes. En 1811, Chèvetel devient maire d’Orly, fonction qu’il exerce avec autorité, obséquieux lorsqu’il s’adresse à des gens bien placés, il devient dur avec ses administrés, allant jusqu’à jeter en prison les maris gênants. Faisant siens tous les changements de régime de l’époque, d’une basse servilité et d’une hypocrisie sans borne, il conserve son poste jusqu’en 1830. Veuf en 1818, il meurt à Orly le 15 février 1834. Il est devenu un vieillard presque misérable qui, après avoir mené une vie assez large, a gaspillé la plus grande partie de sa fortune.


Quant au fidèle major George Schaffner qui avait suivi en France son ami Armand de La Rouërie et qui montrait, nous l’avons vu, de l’intérêt à Thérèse de Moëlien, après s’être réfugié quelque temps à l’étranger, il revint en France pour rejoindre l’Armée vendéenne où il combattit vaillamment. Fait prisonnier, il mourut victime des noyades de Carrier à Nantes.


                                                                Marcel Hodebert






[23] Chèvetel qui se disait ami de La Rouërie et de la Conjuration révéla toute l’affaire à Danton qui, dès septembre 1792, chargea le Conseil exécutif d’organiser l’infiltration et le démantèlement de l’Association Bretonne. Pour ne pas éveiller les soupçons, on désigna Lalligand-Morillon pour jouer le rôle d’intermédiaire entre Chèvetel et le Comité de Sûreté générale et on lui confia un rôle de police important qui comprenait notamment celui d’arrêter les suspects. Après son « œuvre » achevée en Bretagne, il retourna à Digoin, en Saône-et-Loire, son pays d’origine où il continua son métier de dénonciateur, y trouvant l’occasion de se faire remettre de grosses sommes d’argent. Il fut dénoncé par des républicains indignés, arrêté et accusé de prévarication. Il fut condamné à mort et exécuté.

[24] Archives Nationales : W 274 (15).

[25] Il s’agit de Le Nicolais de Clainchamps, ardent révolutionnaire, qui avait fait construire un bel hôtel particulier que l’on voit encore au Pont-Dom-Guérin, près de la chapelle Saint-Clair, en La Bazouge-du-Désert.

[26] Le greffier Pacorin semble ignorer complètement l’Ordre de Cincinnatus et il n’avait jamais dû relever ce saint sur un calendrier.

[27] Joseph de La Motte La Guyomarais (50 ans), ; Marie Jeanne Micault, sa femme (50 ans) ; Amaury, leur fils (20 ans) ; Casimir, frère du précédent (15 ans ½ ); François Perrin, leur jardinier (43 ans) ; Elie de La Chauvenais, demeurant à la Guyomarais (22 ans) ; Julien David, domestique des de La Guyomarais (22 ans) ; Charles Taburel, médecin (48 ans) ; Jean-Baptiste Morel, médecin (40 ans) ; Joseph Le Masson, chirurgien (64 ans) – les trois sont venus au chevet de La Rouërie - ; Michel Picot de Limoëlan (59 ans) ; Angélique Desilles épouse de Jean de la Fauchais (22 ans) ; Jeanne Desilles veuve de Henri Dufresne-Virel (27 ans) ; Marie-Thérèse Desilles épouse de Louis Fournier D’Alleyrac (25 ans) ; Guillaume Delaunay (57 ans) ; Félix  Locquet de Gandville (34 ans) ; Nicolas Groult de La Motte (50 ans) ; Louis Thomazeau (53 ans) ; Thérèse de Moëlien (30 ans) ; Jean-Baptiste-Georges de Fontevieux (34 ans) ; Louis Anne du Pontavice (36 ans) ; Georges Vincent (48 ans) ; Mathurin Micault de Mainville (42 ans) ; Frédéric de La Vigne Dampierre (35 ans) ; Pierre Le Petit (29 ans) ; Toussaint Briot (63 ans) et Jean-Guillaume Briot (29 ans).

[28] Roch Lebreton devint député de Fougères à la Convention. Il ne vota pas la mort de Louis XVI mais la réclusion à perpétuité.

[29] « La dernière lettre – Prisons et condamnés de la Révolution », par Oliver Blanc, chez Robert Laffont 1984, pages 119 et suivantes.




samedi 28 juin 2014

THERESE de MOELIEN,dite" l'amazone de la chouannerie" , I.




Thérèse de MOËLIEN





Thérèse de Moëllien était née à Rennes le 14 juillet 1759. Son père, Sébastien Marie Hyacinthe de Moëlien, chevalier de Trojolif est conseiller au Parlement de Bretagne. Sa mère, Perrine de la Bélinaye[1] est la sœur de Thérèse de La Bélinaye, mère du marquis de la Rouërie. Thérèse de Moëlien et Armand Tuffin de la Rouërie sont donc cousins germains.




La mère de Thérèse, Perrine de La Bélinaye, mourut le 26 octobre 1772 après avoir mis au monde quatre enfants.Aucun de ses enfants ne devait contracter d’alliance, mourant tous très jeunes et, comme nous le verrons, tragiquement pour ce qui concerne Thérèse.


Après le décès de leur mère, Thérèse et sa sœur Renée vinrent définitivement se fixer à Fougères en juin 1773 où elles furent recueillies par leur grand-père maternel, le comte de La Bélinaye, comme l’atteste un document[2] écrit par leur père, Sébastien de Moëlien, ayant pour titre : « Affaires de mes enfants » :


« … J’ai eu le malheur de devenir veuf le 26 octobre 1772. Je suis exilé à Penneurne, près de Landerneau. J’ai fait un état de mes dètes et affaires, des meubles que j’ai à Penneurne, à Neascanton et à Trojolif ; dès que j’aurais la liberté d’aller à Rennes, je ferais l’état des meubles et effets que j’y ai, pour former un tableau de ma communauté à l’époque de la mort de Madame de Moëlien, pour que mes enfants soient en état de décider s’ils doivent accepter ou refuser ma communauté.

« Les immeubles de mes enfants consistent quant à présent dans les métairies des Ans, de la Marre, de la Rouxière, paroisse de Marcillé-Robert, évêché de Rennes, et ont été données à Madame de Moëlien en avancement de droits successifs par son contrat de mariage.

« Madame la comtesse de La Bélinaye, ma belle-mère, est morte en octobre 1766. M. le comte de La Bélinaye est resté sur la détention du tout ; il est trop bon père pour que ce ne soit pas le plus grand avantage de ses enfants, aucun d’eux ne luy a rien demandé, et j’ai suivi leur exemple avec plaisir.

« J’ai quatre enfants : un garçon et trois filles,

«  Mon fils, le troisième de mes enfants, dans l’ordre de la naissance, a reçu au baptême le nom de Charles ; il a eu pour parein le comte de La Bélinaye, mon beau-frère, et pour marenne, Madame de K’lains, ma sœur ; il est au collège à Erné, petite ville du Maine, où son grand-père paie sa pension et l’entretient de presque tout ce qui luy est nécessaire.

«  Ma fille aînée, Marie-Madeleine-Victoire, a eu pour parein le comte de La Bélinaye, son grand-père, et Madame de Moëlien, ma mère, a été sa marenne ; elle est au couvent de l’abbaïe roialle de Saint-Georges de Rennes. Le comte de la Teillaye, son grand-oncle naturel, paie sa pension et une partie de ses maîtres.

« J’ai avec moi chez ma mère, au château de Penneurne, près Landerneau, ma seconde et ma troisième fille.

« La seconde a reçu le nom de Thérèse Joséphine et a eu pour parein M. de Moëlien, ancien capitaine des vaisseaux du roy qui a remplacé son frère aîné, officier aux Gardes Françaises, l’aîné de ma maison ; pour mareine, Madame de La Rouërie, sa tante, qui a remplacé la comtesse de La Bélinaye, ma belle-mère qui devait la nommer.

« Ma troisième fille a été nommée par M. Le Brun de Klains qui a épousé Mlle de Moëlien, ma sœur, et par Mlle de La Bélinaye, sœur aînée de Madame de Moëlien, ma femme :; elle a été nommée Renée-Louise[3].


« Au mois de juin 1773, j’ai conduit mes deux filles cadettes chez M. Le comte de La Bélinaye, leur grand-père, à Fougères ; j’ai prié Mlle de La Bélinaye, leur tante, de veiller à leurs besoins et pour y subvenir je lui ai donné une rescription de 550 livres sur le recteur de Marcillé et je lui ai remboursé 702 livres pour ce qu’elle avait déjà avancé.

« M .l’abbé de la Villegontier est mort à Fougères au mois de juillet ; il était frère de Madame la comtesse de la Bélinaye, ma belle-mère ; mes enfants sont fondés à en hériter aux meubles, aux biens roturiers et aux acquêts… ».






 Hôtel de La Bélinaye, 1738, Fougères


Ce fut donc à Fougères que, désormais, Thérèse de Moëlien allait vivre, entourée de l’affection de son grand-père et de ses tantes, dont Thérèse, marquise de la Rouërie qui, outre son château de La Rouërie, possédait également un hôtel particulier à Fougères. La famille de La Bélinaye, en offrant un refuge à cette (semi) orpheline, lui apportait également une chaleur bien nécessaire à une enfant de 14 ans qui venait de perdre sa mère et d’être éloignée de son père.


Bien que de dix ans plus jeune que lui, elle put partager une commune exaltation avec son cousin, le jeune Armand de La Rouërie, dont elle devint très proche. Participant à la vie mondaine de la ville de Fougères, dont la monotonie fut décriée par Chateaubriand dans ses Mémoires d’Outre-Tombe, ou aux mariages et cérémonies de la famille, Thérèse se fait remarquer. C'est ainsi qu’en 1782, alors que Thérèse de Moëlien assiste, à Combourg, au mariage de Julie de Chateaubriand avec le comte de Farcy,Chateaubriand  écrit : « … J’y rencontrai cette comtesse de Tronjoli… je n’avais encore vu la beauté qu’au milieu de ma famille, je restai confondu en l’apercevant sur le visage d’une femme étrangère ».Il est vrai qu’à cette époque, le jeune vicomte n’a que seize ans et s’il s’enthousiasme facilement comme on peut le faire à son âge, Thérèse dut produire sur lui une certaine impression dont il avait conservé le souvenir près de trente ans plus tard[4].



Comme on peut le penser, elle dut être attentive aux aventures de son cousin tant à Paris qu’en Amérique où il participa activement, comme on le sait, à la Guerre d’Indépendance américaine, sous le nom de « Colonel Armand ».


Lorsqu’en 1783, au bout de sept ans passés en Amérique, Armand de la Rouërie revint à Saint-Ouen et à Fougères, il fut accueilli comme un héros. « Madame de la Rouërie, écrit Christian Bazin[5], après tant d’angoisses et de rares nouvelles, son imagination souvent alimentée par d’inquiétantes rumeurs, l’ayant vu vingt fois mort, le reçut avec transports , toute échauffée de sa gloire qu’il rapportait d’Amérique. Armand aimait bien sa mère. Mais la mère et le fils ne se comprenaient pas. Thérèse avait toujours été déroutée par la célébrité qui auréolait Armand, en bien ou en mal, célébrité des armes, célébrité d’amours, célébrités de duels, pour ne pas dire célébrité de scandales, qui l’atteignaient au cœur. Ce fils porté aux extrêmes troublait une mère dévouée à la bonne société, à la piété et aux bonnes œuvres ».


Quand son cousin était parti pour le Nouveau Monde, Thérèse n’était ni enfant ni femme, mais une jeune adolescente un peu romanesque. A son retour, elle avait juste dépassé ses 20 ans, était jolie, souple, bien faite, très féminine, passionnée, éprise d’absolu. Un peu garçon manqué, elle montait magnifiquement à cheval. Fascinée par cet adulte au visage basané dont la vie est éclaboussée d’aventures et dont les récits d’audace et de bravoure lui font un peu peur, Thérèse boit les paroles de son cousin qui lui témoigne de la douceur et de la gentillesse. Elle est aussi fascinée par le major Schaffner, ancien officier américain de Pennsylvanie qui avait fait avec Armand toutes les campagnes de la Guerre d’Indépendance et la traversée avec lui pour venir vivre chez son ami au château de la Rouërie  et pour lequel il avait décidé de lier sa vie et de partager le sort.




 A. Tuffin de La Rouërie, Ch Wilson Peale, 1783








Souvent elle demandait à son cousin et à Schaffer de se mettre en uniforme pour le dîner, les deux hommes s’y prêtaient volontiers. Thérèse riait tandis que le singe[6] rapporté d’Amérique par Armand sautait d’une épaule à l’autre.  De son épopée américaine, La Rouërie ne ramena que cinquante mille francs de dettes, de belles lettres de Washington et de Lafayette[7] et les premiers tulipiers introduits en France. Il en planta quatre dans le parc de son château à Saint-Ouen-la-Rouërie, en donna un à son oncle, le comte de La Bélinaye pour le parc du château de La Bélinaye à Saint-Christophe-de-Valains, d’autres spécimens à la famille Guérin, seigneur de Saint-Brice-en-Coglès pour le château de Saint-Brice (château de la Motte), ou encore à son cousin Tuffin de Villiers pour son jardin de Villiers-le-Pré[8].


Le 27 décembre 1785, le marquis de La Rouërie épousait, dans la petite chapelle du château de la Motte, la marquise de Saint-Brice, Louise Caroline Guérin, unique héritière d’un domaine de plusieurs centaines d’hectares[9]. Son père, le marquis Anne-Gilles-Jacques Guérin étant mort, sa mère avait projeté pour sa fille un mariage beaucoup plus avantageux, un mariage de cour. Madame de Saint-Brice était subjuguée par Versailles et par la reine Marie-Antoinette qui l’honorait de ses bontés. Appuyée par la souveraine, elle jeta son dévolu sur un courtisan bien en cour, le chevalier de Pany[10]. C’était compter sans sa propre fille qui depuis longtemps s’était prise de passion pour son fougueux et charmant colonel de voisin, dont le château se situait à une petite lieue du sien.


On a écrit [11] que la jeune marquise de Saint-Brice était « moyennement jolie, un peu trop maigre. Gracieuse et rêveuse, son personnage était beaucoup plus celui de Lucile de Chateaubriand que celui de Thérèse de Moëlien. Cette sylphide n’avait guère de santé à l’inverse de la sportive cousine. Mais elle avait beaucoup plus de passion pour son plus proche voisin que pour son lointain prétendant, ce Parny que sa mère plus qu’elle aurait dû épouser… Armand se rendit d’autant plus volontiers à ses grâces qu’elle ne manquait ni de charme ni d’esprit, qu’elle était très exactement la femme de son monde, et que c’était bien opportun qu’elle fut riche… Madame de Saint-Brice céda. Quant à Madame de La Rouërie, elle ne pouvait pas ne pas être comblée par cette alliance stabilisatrice ».


La petite chapelle de la Motte débordait de beau monde. Les témoins d’Amand étaient le major Schaffner et sa cousine Thérèse de Moëlien. Le couple s’installa au château de La Rouërie, mais peu de temps après le mariage, Louise Guérin, déjà de nature souffreteuse, se mit à tousser et à dépérir. On diagnostiqua une maladie de langueur, comme on disait à l’époque, aujourd’hui nous dirions que la marquise était tout simplement atteinte de la tuberculose. Ce fut alors qu’entra en scène, Chèvetel, un médecin de Bazouges-la-Pérouse qui envoya Louise à Cauterets, dans les Pyrénées, pour lui faire changer d’air, seul moyen à ses yeux de la guérir. C’est là que Louise mourut le 18 juillet 1786, après six mois de mariage. Nous connaissons, trop bien hélas ! le rôle désastreux que joua Chèvetel par la suite.


Après la mort de la jeune marquise de La Rouërie, Thérèse de Moëlien s’installe au château de la Rouërie où elle joue le rôle de maîtresse de maison. Thérèse qui n’a pas de fortune a dû renoncer déjà à envisager de pouvoir se marier. Sans doute alors cherche-t-elle à se rendre utile à son cousin qui a besoin d’une femme pour diriger son foyer.



 Le château de La Rouërie, St-Ouen-La-Rouërie.

On a dit et écrit que les deux cousins devinrent amants, on les a aussi fiancés, voire mariés, ce qui a été démenti par des historiens sérieux. Le Vicomte Le Bouteiller écrit dans son ouvrage [12] sur la Révolution : « N’oublions pas que Mlle de Moëlien prêtait à La Rouërie, son cousin, le concours d’un zèle à toute épreuve. Le roman s’est emparé de sa personnalité et l’a entièrement défigurée. Il lui a prêté, dit Th. Muret[13] une jeunesse et des attraits qui peuvent parler à l’imagination, mais dont Mlle de Moëlien n’eut pas besoin pour être capable d’un grand dévouement. La vérité est qu’elle avait alors 34 ans et qu’elle n’était ni belle ni jolie. On a dit encore qu’une liaison d’amour l’unissait à son cousin : c’est là une autre invention ; mais il paraît que le major Schaffner lui adressa des hommages qui furent accueillis. Ce sentiment, l’ardeur de Mlle de Moëlien pour la cause de la Religion et du Roi ne faisaient qu’un dans son âme. Exaltée comme toutes les femmes savent l’être, elle jeta dans cette conspiration toute sa vie. Courses, démarches, sacrifices, rien ne lui coûtait pour la cause sainte. La Rouërie l’aurait vue, au besoin, combattre à ses côtés ».


George Schaffner n’était pas vraiment beau, dit-on, mais il adorait Thérèse et son dévouement pour elle fut sans limite, comme il le fut pour Armand. Nous avons une lettre de Thérèse à Schaffner. Non datée, elle a pu être écrite avant le mariage du marquis de La Rouërie : «  Monsieur de Schaffner, capitaine de la légion du Colonel Armand aux Etats-Unis d’Amérique, à Brest,

Mercredi midi,

« Je vous ai vu partir avec peine, Monsieur, j’ai beaucoup d’amitié pour vous ; je vous estime infiniment, je vous regrette de même ; mais je vous reverrai, soyez-en sûr. Vous me trouverez disposée à être votre amie, si vous méritez toujours mon estime comme j’en suis sûre.

« Vous serez heureux au milieu d’une famille qui vous aime. Vous avez plu à tous mes parents et amis ; on vous dédommagera des vôtres. Si vous croyez pouvoir être heureux parmi nous, revenez-nous et vous serez bien reçu. Vous viendrez me voir à mon ermitage avec les petits enfants de mon cousin ; je vous donnerai du pain, du beurre, de la crème et tout cela de bon cœur. Songez à cela toutes les fois que mon souvenir vous affligera. Nous nous reverrons bientôt.

« On m’a dit aujourd’hui, et cela me paraît vrai, que les Anglais avaient 22 vaisseaux et 4 frégates pris par les Hollandais. Ce convoi était chargé d’hommes et d’approvisionnements pour l’armée anglaise en Amérique ; on m’a dit de plus que Monsieur de La Fayette avait battu un des généraux anglais. Si tout cela est vrai, nous nous reverrons bientôt, je l’espère et le désire de tout mon cœur ». Signé : Trojolif de Moëlien.


La lettre est complétée par ces quelques mots : « Je partage bien véritablement, Monsieur, tous les sentiments de ma cousine de Moëlien à votre égard ; j’ai aussi cela de commun avec tous ceux qui vous connaissent ici, et je puis vous assurer que vous emporterez tous mes regrets et que nous vous reverrons toujours ici avec un grand plaisir. Adieu ! Bon voyage ! Portez-vous bien et conservez toujours dans votre mémoire que les Français sont de bonnes gens ». – Signé De Farcy.


Il semble qu’il faille voir en cette lettre plus des sentiments d’amitié qu’une déclaration amoureuse. On a cru également que Thérèse de Moëlien avait été fiancée à Louis de La Haye-Saint-Hilaire, son voisin du Coglais qui fut lieutenant d’Armand dans la conjuration. Il l’aimait, sans doute, bien qu’il soit beaucoup plus jeune que Thérèse. Un membre de la famille de La Haye-Saint-Hilaire, descendant de Louis, M. Le Maignan de Kérangat a écrit[14] à ce propos : « Thérèse était en relations d’amitié ancienne avec Louis de La Haye, plus jeune qu’elle de sept ans, du côté de ce dernier l’amitié se teintait sans doute d’un sentiment un peu plus vif qu’elle n’ignorait pas… elle n’avait au moment de son arrestation aucun lien vis-à-vis de quiconque, et elle n’était pas, comme on l’a prétendu, la fiancée de ce major Chaffner que La Rouërie avait ramené d’Amérique ». Pour autant, ce fut à Louis de La Haye qu’elle fit parvenir des boucles de ses cheveux avant de monter à l’échafaud, comme nous le verrons dans les pages qui suivent.



Nous n’allons pas retracer ici l’histoire de la Conjuration bretonne savamment mise en place par le marquis de La Rouërie, mais, pour ce qui concerne Thérèse de Moëlien, il est certain qu’elle y adhéra ardemment, accompagnant son cousin dans ses déplacements. Ce fut ainsi qu’elle s’embarqua avec lui du port de Saint-Malo pour se rendre près des princes émigrés afin d’obtenir leur soutien dans les projets du marquis de résister à la Révolution, obtenant d’eux, en cas de succès, la promesse du rétablissement des privilèges de la province bretonne. La Rouërie était revenu déguisé en marchand ; Thérèse, en costume d’amazone, portait, cousu dans sa ceinture, le pouvoir signé du comte d’Artois avec une note promettant des récompenses à tous ceux qui serviraient la cause royale. De Paris, ce fut ainsi qu’ils rentrèrent au château de La Rouërie.


Tissant la Bretagne de son réseau, on voit sans cesse Armand et Thérèse courir la campagne, elle toujours en amazone, un panache blanc à son chapeau et portant, à l’exemple du chef, des épaulettes d’or et l’aigle de Cincinnatus[15] attaché sur sa poitrine par un ruban bleu. Thérèse s’était instituée l’officier d’ordonnance de La Rouërie.


Le 7 octobre 1790, Thérèse de Moëlien loue un appartement à Fougères chez Roch Lebreton. Pour autant, Thérèse participe à la plupart des réunions conduites par son cousin dans le cadre de son projet. Ce fut ainsi que lors de la réunion organisée en septembre 1792 à La Fosse-Hingant, Thérèse fut la seule à s’élever contre la décision qui avait été prise par les conjurés de faire passer La Rouërie soit en Allemagne soit en Angleterre d’où il se tiendrait prêt à intervenir le moment venu. L’historien Muret[16] rapporte :


« Quoiqu’il n’y eut entre elle et La Rouërie d’autres liens que ceux de la famille et de l’amitié, elle avait sur son esprit beaucoup d’ascendant. Bien qu’aucune femme jusqu’alors n’eut fait partie de semblables réunions, et malgré l’opposition de ses amis, qui connaissaient et craignaient sans doute l’exaltation peu réfléchie de Mlle de Moëlien, La Rouërie l’avait fait admettre à ce Conseil. Avec une chaleur plus entraînante que sage, elle s’élève contre la résolution adoptée ; elle s’écrie qu’il y va de l’honneur de La Rouërie, qu’il ne peut, sans honte, lui, le chef, s’éloigner de ses amis, qui continuent à jouer leur vie. Une scène très vive suivit ces paroles. Elles furent sévèrement blâmées par des hommes intéressés dans la question, et dont la délicatesse en fait d’honneur n’était pas équivoque. La Rouërie écoutait cette discussion, la tête dans ses mains, impassible au dehors, mais vivement combattu. « Messieurs, dit-il, je suis très sensible à vos efforts, et surtout au motif qui les dicte ; mais la pensée de Mlle de Moëlien peut être aussi celle de quelques autres qui, seulement, n’auraient pas sa franchise ; mon pari est donc irrévocablement pris : je resterai, et il ne sera pas dit que j’aie imposé à personne un fardeau dont je ne prendrais pas la plus large part ».


Alors que La Rouërie se trouvait réfugié chez Madame de Saint-Gilles (le marquis dont la tête était mise à prix errait de château en château), le vicomte Le Bouteiller signale que dans un rapport du commissaire Jean Collin au Directoire Exécutif près le canton de Saint-Marc-le-Blanc qui enquêtait chez Madame de Saint-Gilles sur les pérégrinations du marquis (il venait de partir de chez elle pour aller se réfugier au château de Launay-Villiers, en Mayenne, sous le nom de Monsieur Millet), ce fonctionnaire témoigne : « Je fus introduit chez la maîtresse de maison qui, je dois le dire, blâma ouvertement les projets de La Rouërie et se plaignit sincèrement des inconsidérations que commettait Mlle de Moëlien qui courait les champs en habit d’amazone et un plume à son chapeau, et finit par me dire que M. Millet n’était pas chez elle…. »


Thérèse de Moëlien n’était pas à la Guyomarais[17] lorsque mourut La Rouërie le 30 janvier 1793. Ce fut le major Schaffner qui la prévint en venant spécialement à Fougères. Quelques jours plus tard, le 13 février, le traître Chèvetel arrivait à Fougères, pour voir Thérèse qui l’avait supplié de venir donner des soins à Armand, se faisant fort de le faire parvenir jusqu’à lui. Mais le marquis était déjà mort et Chèvetel arriva trop tard, Thérèse était absente et avait quitté Fougères depuis trois jours. Le 25 février, se déroulait à la Guyomarais une scène horrible, brièvement décrite par Muret[18] : « Il n’était pas encore jour. La maison est investie. Pressés de questions et de menaces, les habitants de la Guyomarais refusent de rien dire. Mais les hommes de police prennent à part le jardinier Perrin, ils font agir le vin, ils lui promettent cent louis ; le malheureux leur révèle tout ; il les conduit sur le lieu de sépulture ; on creuse, on trouve le cadavre parfaitement reconnaissable. Les délégués de la Nation coupent la tête de La Rouërie et viennent la jeter aux pieds de Madame de la Guyomarais, en lui disant : « Tiens, voilà la pièce à conviction ! ».


De nombreuses arrestations sont opérées et des perquisitions sont effectuées. A la Fosse-Hingant, en Saint-Coulomb, chez Desilles, trésorier de l’association[19], on relève le nom de Thérèse de Moëlien qui « après la mort de son cousin, accablée, ne tenant plus à rien, était venue se cacher - fort peu – dans la ville de Fougères, où tout le monde la connaissait si bien, un espion la livra[20] ». Elle devait effectivement être arrêtée dans la maison qu’elle avait à bail et où elle résidait parfois. « Cependant, écrit Crétineau-Joly[21], il manquait à la Révolution une pièce importante qui devait exister : c’était la liste des conjurés. Elle devenait nécessaire pour autoriser des perquisitions, pour se tenir en garde contre les complices de La Rouërie. Thérèse de Moëlien avait tenu de lui le dépôt de ces listes. Au moment d’être arrêtée, elle les brûla toutes », ce qui sauva, on s’en doute, bien des têtes car ces listes contenaient plusieurs centaines de noms.


Dans son roman « Quatre-vingt-treize »[22], Victor Hugo rappelle cette destruction de papiers compromettants : « Thérèse de Moëlien, maîtresse de La Rouërie, laquelle brûla la liste des chefs de paroisse… quelquefois les hommes trahirent, les femmes jamais ».


                                                                   Marcel Hodebert


 A suivre: II)  L'arrestation de Thérèse de Moëlien.








[1] Perrine de La Bélinaye est née à Fougères le 26 septembre 1730 en la paroisse Saint-Léonard. Ce fut dans cette paroisse qu’elle épousa, le 2 août 1757, Sébastien de Moëlien. Elle était fille d’Armand-Magdeleine de La Bélinaye et de Marie Thérèse Frain de La Villegontier.. Ce furent ses parents qui firent construire l’Hôtel de La Bélinaye à Fougères (Tribunal actuel) en 1738. De cette union naquirent neuf enfants : Renée Elisabeth (1728-1816), célibataire, elle n’émigra pas et put racheter de nombreux biens familiaux vendus au profit de la République qu’elle restitua par la suite aux siens ; Thérèse (1729-1808), épouse Anne Joseph Tuffin de la Rouërie ;  Perrine (1730-1772) épouse Sébastien de Moëlien ; Anne-Pauline, dame de Vendel (1731-1796) restée célibataire ; Claire Suzanne (1733-1736) ; Magdeleine, née et morte en 1734 ; Charles-René (1735-1821) comte de La Bélinaye ; Armand-Augustin (1737-1738)  et Maurice-René, né à Fougères en 1739 et guillotiné à Paris en 1794.
[2] Archives départementales d’Ille et Vilaine – Dossiers Moëlien – Série E.
[3] Renée de Moëlien mourut à l’hôtel de La Bélinaye à Fougères le 14 octobre 1786. Elle fut inhumée dans le cimetière Saint-Roch « en présence d’une grande multitude de peuple » (Archives municipales de Fougères)
[4] Chateaubriand avait commencé à rédiger  ses « Mémoires d’Outre-Tombe » en 1811. Elles ne seront publiées qu’en 1849, un an après sa mort.
[5] « Le Marquis de La Rouërie « Colonel Armand » - De la guerre américaine à la conjuration bretonne » par Christian Bazin – Ed. Perrin – 1990 – p. 143.
[6] Le marquis de la Rouërie avait ramené un petit singe d’Amérique. Ce singe l’accompagnait toujours dans ses chevauchées, accroché à la croupe du cheval de son maître, ce qui étonnait et intriguait beaucoup les paysans qui accouraient pour voir l’animal de plus près.
[7] La Fayette arriva en Amérique après La Rouërie et il en revint avant lui. Sitôt rentré, bien en cour, il  sut récolter tous les lauriers ! La Rouërie qui n’avait pas voulu abandonner ses compagnons, arriva trop tard et, sauf à Fougères, fut presque oublié.
[8] Dans le département de la Manche – Canton de Saint-James. De ces tulipiers de Virginie, il en reste un seul semble-t-il au château de La Rouërie et un (magnifique) au château de la Motte. Celui, planté à La Bélinaye a été malheureusement abattu par une tempête et celui de Villiers à été débité dans les années 1930.
[9] Son acte de mariage la dit dame « marquise de Saint-Brice, du Champinel, baronne des baronnies de Sens et de la Chatière, châtelaine des châtellenies de Saint-Etienne, de la Fontaine la Chèze, Parigné, le Sollier, le Rocher-Portail et autres lieux ».
[10] Evariste de Forges de Parny (1753-1814) était l’auteur de Poésies érotiques dans lesquelles il rend un hommage délicat à la grâce féminine. Certains de ses poèmes furent mis en musique par Ravel vers 1925-1926. En vérité l’érotisme du chevalier n’était pas celui d’aujourd’hui, il était à la mode de son temps et ses audaces galantes n’allaient pas bien loin. Pour autant, on s’extasiait lorsqu’il écrivait : « Ses mains ne presseront plus un sein élastique et brûlant ». (extrait de ses Chansons Madécasses).
[11] Christian Bazin dans « Le Marquis de la Rouërie », (déjà cité) - page 145.
[12] « La Révolution au Pays de Fougères ». Feuilleton rassemblé et publié en 1988.
[13] « Histoire des Guerres de l’Ouest »  - Tome III, page 88, chez Proust 1848.
[14] Dans un article publié dans le Bulletin de la Société Archéologique d’Ille et Vilaine – Tome LIX – Année 1933 : « Autour d’une vieille lettre, épisode de la Conjuration Bretonne ».
[15] L’Ordre de Cincinnatus avait été fondé aux Etats-Unis en 1783 par les officiers de l’armée de Washington après la Guerre de l’Indépendance.
[16] Tome III, page 105.
[17] Ce château se situe en la commune de Saint-Denoual (entre Lamballe et Plancoët).
[18] Tome III, page 107.
[19] Il a eu juste le temps de s’enfuir et de se réfugier au château voisin de la Ville-Bague avant de s’embarquer pour Jersey où il mourut quelques mois après. Sa femme, devenue folle après tant d’épreuves, dut être enfermée dans un asile. 
[20] Cahuet, page 126.
[21] Crétineau-Joly – Tome III, page 87.
[22] 3ème partie, chapitre V.

vendredi 30 mai 2014

RESISTANCE FOUGERAISE :Joseph et Marie COLAS



    


 JOSEPH COLAS ,un résistant fusillé à Nantes




   La Résistance s’appuie parfois sur des couples ou des familles qui luttent contre l’occupation allemande, jugée insupportable. C’est le cas de Joseph et de Marie Colas, Fougerais d’origine. Joseph est né le 11 janvier 1905, Marie est née le 1er septembre 1906.  Domiciliés 13 bis rue de L’Echange, à Fougères, ils rejoignent le groupe de Résistance du Front National, à la fin de l’année 1940. Ils diffusent des tracts anti-allemands  et anti-vichyssois ainsi que des journaux clandestins édités par le Front National  de Paris.  Ils exercent la fonction d’agents de liaison entre le Front National de Fougères et différents groupes de Résistance de la région, notamment celui de Saint-Brice-en-Coglès.




   Le STO

          A la date du 16 novembre 1942, Joseph est requis pour le S.T.O. (Service du Travail Obligatoire). A l’instar des 189 requis selon les Archives Municipales de Fougères, Joseph est contraint d’aller travailler pour le compte de l’économie allemande. Il n’est pas le seul du quartier, ainsi René Lamiré, de la rue de Rillé, Clément-Louis Chabot et Joseph-Louis Quinton, de la rue de la Pinterie et bien d’autres encore de la rue des Fontaines ou de la rue du Nançon. Les familles sont véritablement désorganisées,  les couples séparés. Mais Joseph Colas rejoint l’illégalité et le groupe F.N. et les F.T.P. de la Loire-Inférieure (le secteur de Nantes), au début de décembre 1942. Dans ce cadre, il participe aux sabotages des voies ferrées, aux attentats contre l’armée d’occupation.
Marie, pour sa part, met un terme à toutes ses activités, étant surveillée par la police à Fougères.



L’arrestation et la détention de Joseph Colas  

   Joseph est arrêté le 29 janvier 1943 par la SPAC (Service de police spéciale d’Angers), puis livré aux Allemands le 16 février 1943. A partir de cette date, le détenu n’a pas le droit d’écrire, ni le droit de recevoir des colis, simplement la possibilité d’avoir du linge le mercredi.




D’après le courrier envoyé à Germaine Guenée  par Marie Colas, la prison Lafayette est toujours entourée d’Allemands avec la mitraillette prête à tirer dessus. Les détenus subissent des tortures, afin de les faire parler. La preuve est cachée dans le linge rapporté par les familles : des lambeaux de chair et des marques de sang. Marie Colas bénéficie des services rendus par la mère d’un codétenu, instituteur, qui accepte de laver le linge de Joseph. Par elle, Marie peut arracher des nouvelles, des bouts de papier à cigarettes ; de même, Marie glisse des mots dans les ourlets des gants de toilette.


A partir du 16 février 1943, il quitte le quartier français pour rejoindre le quartier allemand  jusqu’au 25 août, date de son exécution.
Dans une de ses lettres, conservées par Germaine Guenée, Joseph ne décrit pas ses gardiens sous le plus mauvais jour : ils étaient tous les deux assez âgés et avaient fait la première guerre mondiale. Marie pense avoir eu les lettres ainsi que son alliance grâce à leur bonne volonté. Dans le monde carcéral, brille parfois une lueur d’humanité.


Joseph Colas est jugé, à Nantes,  par le tribunal militaire Allemand, le procès dure trois jours. Il est condamné à mort le 15 août 1943, puis fusillé au terrain du Bôle, à Nantes le 25 août 1943. Il est enterré au Cellier sous le numéro 5.



                                                                                 Daniel Heudré




               Sources : Témoignage et lettres de Germaine Guenée.