lundi 26 novembre 2012

FADHMA AMROUCHE, poétesse kabyle au pays de Fougères

Fadhma Amrouche,
de la Kabylie au pays de Fougères


     Quelle meilleure image que celle de l’arche entre deux mondes pour esquisser le mystère de cette femme, frontière entre le monde algérien et celui de laFrance ! Femme hors du commun qui ne cessa de recueillir les chants d’exil et les poèmes de son pays et qui finit par séjourner à l’hôpital de Saint-Brice-en-Coglès, près de Fougères, veillée par les Sœurs de la Sagesse, du 6 août 1965 au 25 février 1966, puis du 4 au 9 juillet 1967. L’ancrage breton de cette femme kabyle s’exprime à travers sa tombe au cimetière de Baillé où onpeut déchiffrer la date de sa mort, le 9 juillet 1967. Son employée, de Baillé, Fernande Simon s’était mise, à Paris, au service de Fadhma et de sa fille Marguerite Taos.



Fadhma Aït-Amrouche avec sa fille Taos
en Bretagne, 1966.




      Une vie d’exil


    Née en Kabylie en 1882, Fadhma connut une vie itinérante de village en village, puis elle rejoint Tunis et franchira la rive de la Méditerranée pour vivre à Paris. De cette vie écartelée, elle réunira les fragments dans des mémoires posthumes, Histoire de ma vie, d’abord parue aux éditions Maspéro en 1968, puis rééditée à la Découverte en 1991. Kateb Yacine, poète aujourd’hui disparu, devait rendre hommage à cette figure lors de sa disparition : « Je te salue Fadhma, jeune fille de ma tribu, pour nous tu n’es pas morte ! On te lira dans les douars, on te lira dans les lycées, nous ferons tout pour qu’on te lise ! »


      Une existence exposée aux difficultés et à l’hostilité


      Dans ses mémoires, Fadhma évoque ses parents : sa mère est originaire de Tizi Hibel ; son père ne voulut pas la reconnaître; elle-même n’eut pas de souvenir de son père. Sa mère, enceinte d’un homme qui l’aimait et qu’elle aimait, se heurta aux mœurs terribles des Kabyles : « Quand une femme a fauté, il faut qu’elle disparaisse, qu’on ne la voie plus, que la honte n’entache pas sa famille… » Tout est dit dans ces expressions lapidaires.

      Les conditions de vie sont exigeantes, voire hostiles : elle lave, carde, peint, file et tisse la laine. Elle laboure ses champs et cueille ses figues, ses raisins, ses olives. Fadhma est confiée alors aux Sœurs Blanches des ouadhias et ne cessera de rencontrer des prêtres et des religieuses.


      Elle est accueillie à l’école de Taddert-ou- Fella, également orphelinat, honorée par la visite de Emile Combes et de Jules Ferry. Fadhma est ensuite admise à l’hôpital des Aïth-Manegueleth comme pensionnaire, au service des malades. Une demande en mariage, celle de Belkacem Amrouche s’offre à elle. Le baptême et la cérémonie du mariage se déroulent en même temps , Fadhma abandonne l’Islam pour se convertir à la religion chrétienne, ce qui lui attire l’hostilité des musulmans qui l’entourent. Fadhma est alors berbère et chrétienne.



Fadhma en Kabylie,à 18 ans, avec son fils aîné Mohand Saïd.



      Une longue plainte chantée dans ses poèmes


    Fadhma eut la douleur de voir partir cinq de ses fils, sur les sept enfants mis au monde, bercés et pleurés. Dans un de ses poèmes composés afin de soulager sa peine, elle se livre à son improvisation, dans sa langue maternelle. Elle rejoint le fil avec les aèdes, « les clairchantants inconnus. »


« Je suis comme l’aigle blessé

L’aigle blessé entre les ailes

Tous ses enfants se sont envolés. »


    Belkhacem, son mari, obtient une place aux Chemins de Fer de Constantine, puis rejoint la ville de Tunis. Le couple déménage et connaît ce qu’on appelle l’exil.


Fadhma Aït-Amrouche (cl N. Treatt) avec
l'autorisation de Laurence Bourdil pour Le Pays n.102.



     Deux enfants écrivains et passeurs de littérature


     Jean Amrouche est indéniablement le grand intellectuel de cette période. Il donne une audience à des écrivains, comme Claudel, Gide et Mauriac, à travers des entretiens radiophoniques. Il est ainsi à l’origine des questionnements qui se développeront à la télévision. Ces interviews ont été éditées dans la série des 33 tours. Il serait bon qu’ils soient repris en CD. Jean prend position pur l’indépendance de l’Algérie.

    Sa sœur Marguerite Taos est la première femme algérienne à publier un roman. Elle recueille les chants et proverbes connus par sa mère qu’elle traduit dans « Grain magique » (Maspéro).
L’un des meilleurs connaisseurs de Jean Amrouche est Réjane Le Baut et on doit l’édition des œuvres en France de Marguerite Taos à Joëlle Losfield.

    Depuis le 8 juillet 2007, jour de l'hommage rendu par la Coordination des Berbères de France, des rencontres répétées ont lieu entre l’ACEB (Association Culturelle des Berbères de Bretagne) et le Coglais. Puisse une modeste tombe de granit, à Baillé, conduire à l’œuvre de Fadhma Amrouche.

                                              Daniel Heudré


  
          Plusieurs vidéos consacrées à Fadhma Amrouche, Jean et  Taos       Amrouche sont proposées sur la toile:
 
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lundi 19 novembre 2012

JULIEN MAUNOIR à FOUGERES et à LA CHAPELLE -JANSON


 Julien Maunoir prêche la mission
 à Fougères (1662 et 1666 )
 et à La Chapelle- Janson (1661)

Eglise  St-Léonard et chapelle St-Nicolas, gravure XIXe,
 Médiathèque Fougères-Communauté.D.R.

 
      Lorsque le Père Maunoir arrive au Pays de Fougères, la foi semble bien fragilisée, les structures sociales et religieuses ont été mises à mal par les terribles épidémies de peste. L’ignorance et l’indifférence religieuse se sont étendues.

       Comme on l'a vu précédemment, les missions suscitaient des affluences inimaginables aujourd’hui. En 1662, lorsque le Père Maunoir prêche sa mission à Fougères, plus de 40 paroisses viennent en procession, les maisons et les places étant pleines, il faut "camper" ,dans les champs. Le Père Boschet, auteur d'une biographie de Julien Maunoir (1697) écrit: " L'ardeur de se confesser  et de communier pour gagner l'indulgence était telle que plusieurs attendirent deux jours et deux nuits au confessionnal sans prendre de nourriture."  Cet entassement de population causait parfois des maladies graves, ce fut ainsi que « deux des missionnaires du Père Maunoir furent emportés par la fièvre après la mission de Fougères »…morts de la fièvre ou  d’épuisement.
 L'ouvrage du Père Boschet est accessible en cliquant sur ce lien:
    (Mission de Fougères p.244-245)
http://books.google.fr/books?id=nXzN4Kj7zNYC&pg=PA221&lpg=PA221&dq=tr%C3%A9guier+maunoir&source=bl&ots=o6HMAyYOKF&sig=QE5bqKPwqXPE77D9Tp9Jmwpd_bo&hl=fr&sa=X&ei=7e6cUIndIa_I0AW04YGoBg&sqi=2&ved=0CFYQ6AEwBw#v=onepage&q&f=false



 Eglise de la Chapelle-Janson.( cl. M Hodebert)



 
 LA CHAPELLE-JANSON



 
 



 





 
       En 1661, après  les visites de la prison et de l'hôpital de Rennes, Julien Maunoir arrive dans la paroisse de la Chapelle-Janson. Le Père Séjourné, autre biographe de Julien Maunoir(1895), écrit qu’à la Chapelle-Janson, on n’avait pas fait le catéchisme depuis 14 ans lorsque le prédicateur vint y prêcher une mission qui dura cinq semaines.

      A l’époque, sévissait dans la région une secte satanique appelée par les missionnaires les « Iniquités de la Montagne(1) » ; ce culte voué aux forces occultes, mêlé de sorcellerie, se pratiquait dans des réunions nocturnes au cours desquelles le mystère des mauvais sorts attisait les passions.
       De son passage à La Chapelle-Janson, le Père Maunoir lui-même, rapporta, dans un récit assez fantastique, une scène qu’il aurait vécue dans cette paroisse, constatant avec tristesse que « là aussi la secte infernale comptait de nombreux affiliés ». C’est ainsi qu’un petit pâtre de 12 ans qui accompagnait des voisins, fut surpris par la nuit. Arrivés à l’entrée de la forêt, ils y trouvèrent rassemblée une quantité de gens de toutes conditions. Au milieu d’eux siégeait une sorte de trône sur lequel était assis un personnage hideux qui lui demanda de l’adorer. Le pâtre s’y refuse, un inconnu  tire un pistolet de sa poche et l'en menace. Il fait le signe de la croix et la scène s’évanouit. Le lendemain, le petit berger gardait son troupeau lorsqu’un enfant d’une grande beauté descendit du ciel sous ses yeux et le félicita pour sa conduite de la veille... 
          Cette mission  est rappelée dans la belle église de La Chapelle-Janson par une fresque peinte par l'artiste Louis Garin en 1959.




Prédication du Bienheureux Julien Maunoir en la paroisse de La Chapelle-Janson
 Mission de 1661. Fresque de L.Garin (1888-1959 ).L'étendard qu'il brandit
 représente saint Michel  terrassant le démon, l'un de ses sujets favoris.
 

      Julien Maunoir revient prêcher dans son pays à St-Georges-de-Reintembault et à Fougères en 1666  et pour la quatrième fois  à St-Georges en 1681.  Il s'éteint à l'âge de 77 ans le 28 janvier1683, alors qu'il préparait la mission de Plévin (Côtes d'Armor) où il repose.
        Depuis trois cents ans, on se recueille sur la dalle qui marque l'emplacement de son tombeau  près du choeur dans l'église de Plévin et on invoque la statue de l'apôtre en prière.



Mort du Père Maunoir, atelier G. Léglise, 1926.


       Dès 1687, les Etats de Bretagne, réunis à Vitré, demandent aux  évêques bretons d'instruire le procès de béatification de Julien Maunoir, procès longtemps différé ; la cause  n'est retenue par Rome qu'en 1875. La béatification  est enfin proclamée par Pie XII  en 1951 et solennellement fêtée  en Bretagne .




Eglise de St-Georges-de-Reintembault, Vitrail de la chapelle du
 Père Maunoir, XXe.Sur l'autel se dresse la statue du prédicateur.

 
 Texte: Marcel Hodebert
Clichés : Jean-Paul Gallais.

DR




(I) Iniquités de la Montagne: expression empruntée à Bède le Vénérable désignant les oeuvres du      démon in Séjourné X-A, Histoire du vénérable serviteur de Dieu, Julien Maunoir, chapitre XVIII, Oudin, 1895.


 
 
 
 
 
 
 

samedi 10 novembre 2012

LES 439 MISSIONS DE JULIEN MAUNOIR

JULIEN MAUNOIR,
LE CHAMPION DE LA CONVERSION




Julien Maunoir prêche la mission à Plévin, église de Plévin,
Atelier G.Léglise,1926.
 
   L'ENVOI  EN MISSION



      Après une année de probation(1640) à Rouen pendant laquelle  il assure déjà plusieurs missions, Julien Maunoir est affecté à Quimper, alors que le Canada, nouvelle terre à évangéliser, semblait la destination  la plus probable. Cette nomination est conforme à ses souhaits car il avait fait le voeu d'évangéliser la Bretagne, après avoir été miraculeusement guéri de la gangrène en 1637. Cette  conviction d'avoir été un "miraculé" a pu renforcer sa vision de l'action divine dans le destin des croyants : dans ses rapports de missions, Julien Maunoir voit des miracles partout... Il  avait aussi promis à Michel Le Nobletz, prédicateur breton passionné, de continuer son oeuvre de reprise en main. L'implantation du catholicisme en Bretagne  est très forte : les saints bretons ont combattu le paganisme et, au cours des  siècles précédents, saint Vincent Ferrier (XVe) et les frères prêcheurs ont beaucoup semé  mais l'ignorance, les superstitions et les pratiques occultes ont reconquis l'espace. Ce sont les cibles de Julien Maunoir.

      C'est alors le début de 43 années de pérégrinations incessantes qui le conduisent à  parcourir les évêchés  bretons, à instruire et convertir les villes, les îles, les paroisses rurales, les prisons... et à revenir consolider l'édifice. Chaque année,  il assure  entre huit et dix missions, en fonction des distances, or la mission dure  trois ou quatre semaines. De cet infatigable apostolat, de cette énergie presque supranaturelle, les cahiers (1631-1650) du Journal  latin des  missions, rédigé par le Père Maunoir et destiné au supérieur général des Jésuites rendent bien compte, même si la version intégrale  n'existe plus.

     Julien Maunoir part sur les chemins avec, dans les premières années,  le père Bernard qui, à 56 ans, apprend un peu de breton et accepte l'aventure itinérante et des conditions de vie plus que spartiates.. Les missionnaires jésuites partaient évangéliser par groupes de deux ; au fil du temps, l'encadrement s'étoffe. La Basse-Bretagne est littéralement quadrillée.


  JULIEN MAUNOIR  AU PAYS DE FOUGERES


     La  Haute-Bretagne n'est pas oubliée : Julien Maunoir revient prêcher la mission à quatre reprises dans son pays natal à Saint-Georges-de-Reintembault  en 1648,1662,1666,1681. En 1648, il est aussi présent à Mellé, Monthault, Louvigné-du-Désert ; en 1661, on l'entend à La Chapelle-Janson, La Guerche-de-Bretagne, à la prison et à l'hôpital de Rennes. L'année 1662, il revient prêcher  à Saint-Georges et à Fougères. En 1666, on le revoit  à  Saint-Georges et à Fougères, il se rend aussi à La Boussac près de Dol ; il est à nouveau chez lui, à Saint-Georges, en 1681 et il assume  plusieurs missions près de Rennes.



Julien Maunoir,"An Tad Mad"(le bon Père) église de Plévin.
 


 DES MISSIONS DE CHOC

               Les missions sont un temps fort spirituel ; on y  fait apprendre la religion et c'est une nouveauté... Une part importante de  la population rurale bretonne  n'a jamais été scolarisée.
        Julien Maunoir a-t-il utilisé les cartes parcheminées ou tableaux peints, les "taolennou", conçus par Michel le Nobletz, illustrant de façon naïve les vertus et les vices et les chemins de Paradis? Ce n'est pas une certitude, bien que plusieurs représentations artistiques le montrent  tenant en main ou expliquant ces tableaux, par exemple le vitrail  de l'église de Mûr-de-Bretagne.  Toujours est-il qu'il n'en mentionne pas l'usage. 



 
 Cathédrale Saint Tugdual de Tréguier, vitrail de la Vigne Mystique (détail), oeuvre de Hubert de Sainte-Marie, Quintin,1968. Au centre de la composition, Saint Yves
 avec le fléau de la Justice et, à droite, le Bienheureux Maunoir,
présentant un "taolennou".
 
 
    Grande innovation : il institue la leçon de catéchisme   incluant la récitation de prières et de chants : lui-même a rédigé en 1659 un catéchisme en breton très simple, avec les articles de foi essentiels et de nombreuses mises en garde contre le démon, thème obsessionnel.


 
      Et surtout Julien Maunoir  est le spécialiste du cantique : plusieurs livrets de cantiques publiés à partir de 1641 ont connu  un vrai succès. Certains s'inspirent de  mélodies populaires. Il  s'étonne d'ailleurs dans son Journal  de l'engouement qu' ils suscitent dès les premières missions et de leur efficacité pédagogique, ainsi sur l'île  d'Ouessant en 1641 : " Nous nous mettons à chanter en vers bretons des cantiques qui renfermaient  notre enseignement. Sur terre et sur mer, tout le monde fut charmé de cette nouveauté..."


  LA FORCE DU VERBE ET LA CHASSE AUX SORCIERS


      Autre moment privilégié : la  prédication.  Les sermons ,  trois par jour, ressassent des thèmes favoris : les pièges du démon, la peur de la mort,si présente dans la culture bretonne, la damnation, les supplices de l'Enfer. Et il faut croire que notre missionnaire savait épouvanter et convaincre quand on imagine les effusions de larmes (Lannévez, 1642) et les milliers de confessions indiqués dans ses rapports.
   Julien Maunoir appelle constamment son auditoire au redressement des moeurs : il exige le respect des églises qui à l'époque servent, à l'occasion, de salles des fêtes et abritent beaucoup d'abus : beuveries, veillées dansantes, accouplements, déjections... Curieusement, les danses, partie intégrante de la culture locale, sont suspectes, complices du diable,d'autant plus que les jeunes les préfèrent aux  sermons fâcheux, comme à Saint-Mayeux (1646) ou à Plougastel-Daoulas. Les musiciens provocateurs sont maudits.
       Devant une telle stature et une telle aura, les démons  cessent de harceler leurs victimes et prennent  la fuite, c'est le grand leitmotiv du Journal, les jeteurs de sort sont démasqués, les sortilèges anéantis, les  sabbats  confondus, les rites superstitieux interdits. Julien Maunoir apparaît comme le spécialiste de l'exorcisme,  il pratique d'ailleurs le manuel des Inquisiteurs Le marteau des sorcières que lui a donné Michel Le Nobletz.
    Le temps de la mission, c'est toujours  une irruption du merveilleux :  apparitions célestes et miracles se produisent : les paralytiques marchent (Quimper,1643) les malades guérissent, les muets retrouvent la parole, les sourds entendent, les aveugles voient(Ouessant, 1641)...



 Miracle de Julien Maunoir, église de Plévin,
Atelier G. Léglise,1926



 
  JULIEN  MAUNOIR, LE GENIE DE LA MISE EN SCENE



       Chaque mission se termine en beauté : c'est la procession liturgique, toujours grandiose, spectaculaire, bien en phase avec la  spiritualité de l'émotion voulue par le Concile de Trente.
    Julien Maunoir décrit par le détail dans son Journal des missions quelques-unes de ses  trouvailles liturgiques : sur un fond de cantique " infernal" de son invention, deux anges juchés sur un théâtre interrogent un groupe de damnés  dissimulés dans les profondeurs sur les supplices qu'ils subissent et leurs remords sans fin... Des scènes d'épouvante dignes  des  fresques de l'Enfer de Kernascléden...





 
 
   Les processions costumées sont ouvertes par les arquebusiers ; suivent  les Patriarches, les Prophètes et les Sybilles, les Apôtres avec les insignes de leur martyre comme  les statues familières des porches des églises bretonnes, les  Docteurs de l'Eglise, parfois les martyrs, les saints bretons de nos villages ; des cohortes de jeunes femmes en robe blanche , portant le voile des novices, précèdent le clergé  qui porte  le Saint-Sacrement et conduit le peuple en marche...
 
     Tout au long du parcours, on représente des tableaux vivants inspirés des Mystères médiévaux et des Vies de Saints bretons : on joue  des scènes de l'Ancien Testament et de l'Evangile, l'Annonciation, l'Adoration des bergers et des Mages,  puis "s'avance la foule écarlate des Innocents avec leur mère en habits de deuil..." (Journal, année 1645)
   Et les stations de la Passion sont  revécues ; les acteurs  sont les habitants  mobilisés et entraînés par les prédicateurs, dont le nombre grossit, pendant deux ou trois semaines. La procession de clôture, c'est vraiment une appropriation physique et mentale du message dans une communion générale. Les acteurs  vivent leur rôle, s'effondrent comme le Christ, les filles de Jérusalem gémissent et pleurent et la foule en fait autant... (missions de 1645, Landerneau, Logona, Roscanvel, Bénodet...). Les enfants qui jouent  dans les stations donnent à leurs parents le désir de s'instruire et le pari spirituel est gagné!
 
      On accourt de loin pour voir, pour  trembler, pour prier et chanter  les cantiques en choeurs alternés, au milieu des oriflammes... Par une sorte d'élan communicatif, la mission et plus encore la procession déplacent toujours des milliers de fidèles : quand Julien Maunoir tente d'estimer le nombre de personnes touchées par son enseignement, les milliers s'envolent, les chiffres se mettent à danser...
 

 
   PERIPETIES DE MISSIONS



        Une telle conquête des paroisses et des coeurs ne  se  passe pas sans revers ; elle soulève parfois l'hostilité des recteurs, les railleries, la résistance organisée, les calomnies. Des esprits malveillants détournent les foules, font  passer les prédicateurs pour des  sorciers, les  accusent d'envoûter les enfants. Les cantiques fredonnés sur des airs populaires légers se retournent contre leurs auteurs,accusés de frivolité.L'interdiction des danses nocturnes inspire de nombreuses provocations : à Mur-de-Bretagne, des musiciens viennent sonner pendant le sermon et font danser la jeunesse dans l'église. La parade des jeunes filles à la procession finale fait scandale. Intrigues, guet-apens, tentative d'empoisonnement, rien n'arrête jamais l'élan du père Maunoir et des autres missionnaires... Mais une fois les prêcheurs partis et la mission finie, les anciennes pratiques, les superstitions, les faiblesses regagnent de l'espace : il faut toujours consolider, remmailler les filets , ce qui explique  ces missions à répétition en Basse-Bretagne  et le relais des  missionnaires lazaristes, très présents en Haute-Bretagne, secondés par les séculiers acquis à la cause.Quant à certaines contrées, elles restent  longtemps hostiles et fermées à la vague missionnaire. 
      Et puis l 'Histoire s'embrouille: à partir de 1675, les révoltes bretonnes éclatent , Papier Timbré et Bonnets Rouges, les villes   s'embrasent, le pouvoir est défié: la répression est impitoyable. Le duc de Chaulnes, gouverneur de Bretagne, sollicite l'aide de Julien Maunoir pour  raisonner les consciences : ce sont les missions dites "militaires". Avait-on alors le choix?





     Le discours de Julien Maunoir peut paraître radical, presque manichéen,il s'inscrit dans  le courant de  la Réforme catholique au XVIIe  et traduit le souci  doctrinal et pastoral de l'Eglise, une volonté d'implantation missionnaire qui a  sublimé les énergies et fait des héros et des saints;  certes les  armes de la  conversion -la culpabilité, la crainte, la beauté des cérémonies, le merveilleux chrétien - qui visent un public simple et souvent démuni  passent pour  rudimentaires  mais la conscience de servir  et d'éléver les coeurs reste  exemplaire.
 
                                        Jean-Paul Gallais

                                                     Clichés: auteur.




  Sources:
       -   Eric Lebec, Miracles et sabbats, Journal du Père Maunoir.Missions en Bretagne,1631-1650, traduit  du latin par Anne-Sophie et Jérôme Cras,Paris,1997.

        - Alain Croix, L'âge d'or de la Bretagne 1532- 1675.  Editions Ouest-France               université,1993.

       - Fanch Morvannou, Julien Maunoir: missionnaire en  Bretagne, Tome I     éd. Auteur.


Autorisation de reproduction : Société d'Histoire et d'Archéologie 

 A suivre:III)Julien Maunoir à Fougères et à la Chapelle-Janson.

dimanche 21 octobre 2012

MANOIR DE LA CARREE ST-GERMAIN-EN-COGLES






 Le manoir de la  Carrée,peinture de Patrick Dardennes. 




Le manoir de la Carrée
 
La commune de Saint-Germain-en-Coglès est située en Bretagne, à l’extrémité Nord-Est du département d’Ille-et-Vilaine. Nichée dans un canton à l’identité forte, le Coglais, elle conserve un patrimoine architectural de caractère. Son histoire repose sur les familles qui ont exploité la terre et le granit et sur les propriétaires de châteaux et manoirs. Sur ce territoire de légendes, le diable et le Bon Dieu se croisent près des pierres et des fontaines que le randonneur peut apprécier sur de nombreux sentiers.
 

Le manoir de la Carrée dont il ne reste hélas que le souvenir, est devenu au XXe siècle une ruine inspiratrice pour les peintres et photographes de passage. Les cartes postales anciennes témoignent de l’élégance et du cachet de cette demeure de pierre datant de la fin du XVIe siècle ou du début du XVIIe siècle et qui, en 1677, appartenait à François Le Porcher.





 carte postale,début XXe (Coll. M. Hodebert )

 
 
Pour le découvrir, empruntons la rue de l’Eglise et dirigeons-nous vers Le Châtellier en laissant l’édifice religieux à notre gauche. Une tour circulaire avec cheminée et toiture d’ardoises nous accueille. Pénétrons alors dans la propriété par le portail composé de deux piliers de granit haut de plus de quatre mètres. Un chemin de terre, parfois en herbe, guide notre regard sur la face nord du monument qui se dresse devant nous avec ses hautes cheminées et ses toits pointus. Avançons de quelques pas en remarquant sur notre droite un jardin potager dans ses murs et apprécions cette façade certes un peu austère mais homogène par son granit de grand appareil. Sur le corps principal nous distinguons deux parties, l’une avec un étage et une seule fenêtre et l’autre avec quatre grandes fenêtres réparties sur deux niveaux. La toiture ajourée de deux chiens-assis repose sur une belle corniche ouvragée. D’où nous sommes, nous apercevons une cheminée à chaque pignon et une au centre de l’édifice. Les quatre ouvertures du rez-de-chaussée semblent nous inviter à entrer dans l’une des deux vastes salles mais, patience, attardons-nous plutôt sur l’ornement de la porte située la plus à droite. Le linteau et sa belle moulure en accolade sont surmontés d’un petit écu entouré de décors fins. Au-dessus, un écusson est paré d’un fronton triangulaire en relief. ….






La famille du Pontavice de Heussey

 
  Parmi les familles nobles du pays de Fougères, le patronyme du Pontavice est fréquent. Originaire de Tremblay (Ille-et-Vilaine), la Maison du Pontavice a formé plusieurs branches et rameaux dont celle de Heussey dans la Manche. A Saint-Germain-en-Coglès, au xviiisiècle, la famille du Pontavice de Heussey s’installe pour plusieurs générations.



   Avant la Révolution française, la famille est représentée par Julien-Hyacinthe (1712-1793) et son fils Hyacinthe-Laurent (1748-1788) né au manoir de La Carrée en Saint-Germain-en-Coglès. A la génération suivante, Marie-Hyacinthe-Olivier (1788-1873) laissera une empreinte indélébile.


Un personnage atypique
 
De la petite enfance jusqu’à l’âge adulte, Marie-Hyacinthe-Olivier hérite de son aïeul paternel puis de ses tantes paternelles. Ainsi une maison de la rue de la Pinterie à Fougères, les bois du Châtellier et le manoir de La Carrée viennent compléter son patrimoine. Devenu l’époux de Léocadie Guillard de Kersauzic en 1813, il fonde une famille et s’installe à Saint-Germain-en-Coglès. Ses biens en Côtes d’Armor,Ille-et-Vilaine et Finistère sont importants.
 
 Petit cimetière particulier dans les bois de Saint-Germain.

 
    A proximité de son manoir, dans les bois qui lui appartiennent, il fonde un cimetière particulier destiné à ses enfants et sa descendance. Mais pour lui-même, il prévoit une tombe creusée dans un rocher. Ce lieu intriguera la population du moment, sa propre famille et ses domestiques. L’enfant Jean Guéhenno qui, lui aussi, a bien connu l’endroit pendant son enfance le décrira dans un de ses ouvrages. Aujourd’hui, les promeneurs qui s’arrêtent au cimetière du Bois découvrent ces quelques sépultures protégées par des talus et par une modeste croix.

 
De Marie-Hyacinthe-Olivier, le pays de Fougères gardera l’image d’un homme très attaché à ses propriétés, à ses bois et à ses arbres, n’hésitant pas à user sans modération des lois et tribunaux pour obtenir gain de cause. A Saint-Germain-en-Coglès, il reste un personnage atypique, singulier voire légendaire, mais ô combien ! passionnant.


 
HYACINTHE DU PONTAVICE :

 carrière   politique et littéraire

 
Hyacinthe (1814-1876) est l’aîné des enfants de Marie-Hyacinthe-Olivier. Le château de La Haye en Locmaria-Berrien (Finistère), la ville de Tréguier (Côtes d’Armor) puis le manoir de La Carrée sont les domiciles familiaux où il grandit.

 
Ses parents ont probablement décelé en lui une attirance particulière pour la littérature puisqu’il entre au Collège de Sorèze (Tarn) en 1828, à l’âge de quatorze ans. Il y reste trois années scolaires pour étudier la poésie, le latin, la littérature et la rhétorique. Attiré par sa vocation littéraire, il prend la plume et rédige dans ses cahiers ce que son quotidien lui inspire. Et les carnets ne resteront pas dans les tiroirs puisqu’en 1840, il publie à Paris un premier recueil intitulé Nuits rêveuses. Mais lun des deux visages de Hyacinthe est le penseur qui souhaite se mettre au service de ses concitoyens. Il a en effet été influencé par un proche, son oncle maternel Théophile Guillard de Kersauzic qui, de 1822 à 1849, a été mêlé à tous les soulèvements populaires. Hyacinthe a reçu de son oncle des idées sur le sort de l’homme dans la société : droit, liberté, justice, fraternité.


Portrait de Hyacinthe du Pontavice en 1844.
 
 

En 1848, à Tréguier, Hyacinthe devient commandant de la Garde nationale. Mais face au maire légitimiste Paul de Dieuleveult, il entre dans un conflit incessant. Considéré comme un perturbateur, il décide de quitter les Côtes d’Armor et de se rapprocher de Paris en installant sa famille à Fougères. Elu conseiller municipal en 1860, il échouera au conseil d’arrondissement face à Louis Pinot.


 
            L’autre figure de Hyacinthe s’exprime en poésie. Etudes et aspirations première et deuxième séries (1859), Sillons et débris (1860), Poèmes virils (1862) sont ses principaux recueils. Ses pièces se composent d’abord d’une description, qui semble autobiographique, du milieu familial ou d’une destination de voyage. Puis l’auteur se laisse aller à une réflexion approfondie sur ses aspirations et ses regrets. Souvent apprécié par les critiques de son époque, il sera déçu par le microcosme parisien et ne se laissera pas séduire par une proposition de candidature à l’Académie française.

 Il est possible de feuilleter le recueil SILLONS et DEBRIS en cliquant sur ce lien BNF :

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5685469k/f145



Sillons et débris / par H. Du Pontavice de Heussey
 
 
 Ses OEUVRES COMPLETES sont  également accessibles  :
 




    
            L’auteur a échangé quelques lettres avec George Sand mais Hyacinthe est surtout considéré comme le mentor et l’initiateur à la vie littéraire de Villiers de L’Isle-Adam. Il l’aida financièrement et le présenta à Charles Baudelaire et Léon Cladel. Son influence fut marquante et durable sur l’évolution spirituelle de Villiers. D’ailleurs, Isis, l’un des premiers livres de l’écrivain, est dédié à Hyacinthe.


  La cause de Garibaldi


En 1870, atteint par les blessures faites à sa patrie par la guerre franco-allemande, il ne peut rester inactif. A l’aube de ses 56 ans, il propose d’organiser dans la ville de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) une compagnie de francs-tireurs qu’il équipera à ses frais. La sous-préfecture accepte l’idée et reçoit les engagements des volontaires. Hyacinthe obtient également du gouvernement une commission de capitaine et sa compagnie armée peut alors se préparer à rejoindre la légion formée par Garibaldi. A Boulogne-sur-Mer, des soirées patriotiques donnent des concerts pour soutenir les initiatives de Hyacinthe. Et la presse locale ne manque pas d’éloges envers le gentilhomme breton qui n’hésite pas à sacrifier son existence et sa fortune pour repousser l’envahisseur étranger. Le patriotisme, le dévouement et la générosité du capitaine du Pontavice de Heussey et de ses francs-tireurs sont mis en exemple à imiter. A Fougères, la hardiesse de Hyacinthe est également saluée.


 
C’est à Londres qu’il meurt le 15 mai 1876 dans sa soixante-deuxième année, au terme d’une vie riche en rencontres artistiques et engagements. Une semaine plus tard, la dépouille mortelle est inhumée à Saint-Germain-en-Coglès dans le cimetière de famille. Ainsi s’achève la vie du comte Hyacinthe du Pontavice de Heussey. Perpétuel étudiant, poète talentueux, commandant de la Garde nationale, conseiller municipal, candidat malheureux à certaines élections locales,républicain convaincu.


 
La  postérité


Hyacinthe et son épouse Harriett ont donné naissance à six garçons dont trois arriveront à l’âge adulte : Jules, Robert et Olivier.

 

-          Jules (1848-1928), fréquente le collège de Fougères avant d’être reçu à l’Ecole Polytechnique (1867). Devenu militaire, il évolue dans l’artillerie à Rennes, Vincennes, Grenoble et Lyon. Au cours de cette carrière, il obtient une fonction peu ordinaire puisque pendant onze ans il sera attaché militaire à l’ambassade de France en Grande-Bretagne. A Londres, il côtoie le monde diplomatique, militaire, culturel, scientifique mais aussi les membres de la famille royale. A  56 ans, il est nommé général de brigade.

 

-          Robert (1850-1893), passionné par la littérature, aura une courte carrière puisqu’il meurt à l’âge de 43 ans. Il est l’auteur notamment d’un ouvrage sur Charles Dickens (1889) et d’une biographie sur Villiers de L’Isle-Adam (1893). Un petit ouvrage de Robert, le premier, concerne directement le pays de Fougères : Balzac en Bretagne Cinq lettres inédites de l’auteur des Chouans (1885). Le contenu commente les lettres échangées entre Balzac et Gilbert de Pommereul qui avait reçu le romancier en 1828. Robert repose auprès des siens dans le cimetière familial de Saint-Germain-en-Coglès.




-          Olivier (1853-1933) a grandi à Fougères où il est né et scolarisé. Officier des Haras nationaux, il est à la tête du haras du Pin (Orne) pendant 18 ans. A l’âge de la retraite, il conserve sa passion pour l’élevage et s’installe à Lessard-et-le-Chêne (Calvados) pour produire des pur-sang. Disparu en 1933, l’enfant du pays rejoint le cimetière dans les bois de Saint-Germain-en-Coglès. Avec Olivier, la famille du Pontavice de Heussey a une descendance directe par les garçons jusqu’à nos jours.





Fichier:LaTour d'Auvergne.jpg
La Tour d'Auvergne,bronze
de Carlo Marochetti, Carhaix-Plouguer,
( cl.Paul Barlow, W.Commons)




Seule héritière de  La Tour d'Auvergne,premier grenadier de France, la famille du Pontavice de Heussey a connu tous les honneurs républicains et patriotiques dédiés au grand homme. Dépositaire de l’urne contenant sont cœur, Jules le remet officiellement à l’Etat en 1904 pour qu’il soit déposé aux Invalides.
 


                 Dominique Taillandier


        
Sources :Dominique Taillandier, Manoir de La Carrée la famille du Pontavice de Heussey en terre bretonne, en littérature, sous les drapeaux…, 2011, 312 pages.

                 
www.manoir-de-la-carree.com