samedi 29 mars 2014

RESISTANCE FOUGERAISE 1943: Lepenant,Marijuan,Pégard, Jh Delalande, J.et R Fontaine


  MARIJUAN, LEPENANT , PEGARD et DELALANDE victimes d’arrestations  à Fougères en décembre 1943






   Le trait commun entre ces jeunes résistants  est le refus partagé de l’occupation allemande. Appartenant au même groupe, ils distribuent des journaux clandestins et des tracts.Chacun se singularise par des activités qui caractérisent son combat de Résistant.






 Christian Lepenant (Collection familiale).






   Ainsi Christian Lepenant, né le 30 avril 1925, à Fougères, transporte du matériel de guerre, dès l’année 1942 : il n’a que 17 ans. Il délivre des faux papiers d’identité et se fait arrêter par la S.P.A.C. qui traque les communistes, le 2 décembre 1943. Il est alors déporté le 2 juillet 1944 de Compiègne à Dachau, puis à Linz où il est libéré le 5 mai 1945. Ceux qui l’accueillent  à son retour le décrivent comme totalement défiguré et tout blanc.

  Collection Mme Lainé

      Louis Marijuan est né le 20 novembre 1924 à Fougères. Ses parents sont domiciliés à la cité Gragiana. Il entre dans le groupe de résistance des F.U.J.P. de Fougères (les jeunes patriotes). Il recrute et forme un groupe dans le secteur. L’interrégion le nomme responsable de l’organisation des groupes paramilitaires des F.U.J.P. de Fougères. Il fabrique aussi des fausses cartes d’identité comme Lepenant et fournit une aide aux réfractaires. Il récupère et transporte des explosifs destinés aux FTP. La Résistance devient armée et vise des actions d’éclat. Louis Marijuan est arrêté par la SPAC, le même jour que Lepenant. Il est incarcéré à la prison Jacques Cartier, à Rennes, puis déporté à Dachau le 2 juillet 1944. Il est le compagnon de détention de Lepenant, après avoir été son camarade de lutte. Il est porté disparu le 6 décembre 1944.

   Maurice Pégard est né le 9 mai 1926. Ses activités de Résistant ressemblent à celles de ses camarades, Lepenant et Marijuan. On n’en sait pas plus le concernant. Il est arrêté, lui aussi, le 22 décembre 1943 à Fougères. Il est également déporté à Dachau, le 2 juillet 1944, le même jour que ses camarades. Porteur du matricule 77244, il décède le 1er août 1944.





 Joseph Delalande ( Collection Catherine Delalande)


     Joseph Delalande connaît un itinéraire différent de ceux qu’il a côtoyés. Né le 25 juillet 1925 à Carhaix (Finistère), il exerce la profession de chiffonnier avec ses parents. Il en profite pour camoufler et transporter des tracts, des journaux clandestins, et même -une fois- un revolver. Il assure des liaisons et effectue des recrutements. Son entrée en Résistance s’effectue début 1943, il sera toujours impressionné par l’action de Lepenant, Marijuan et Pégard. Il est arrêté par la Milice, le 8 décembre 1943, rue des Fontaines : les miliciens sont accompagnés de leurs chiens agressifs. Celle qui deviendra son épouse en 1946 est témoin de cette arrestation musclée. Joseph Delalande est transféré à Rennes, où il subit des interrogatoires et des coups (des nerfs de bœuf). Il connaît ensuite les prisons de Laval, d’Angers (arrivée le 11 mai 1944) et de Compiègne. Il doit être dirigé sur l’Allemagne. Le train qui achemine les déportés s’arrête à Péronne et se trouve bloqué du 24 au 31  août 1944. Joseph Delalande profite d’une corvée en ville pour s’évader, deux ou trois jours avant la libération de détenus par la Croix Rouge. Un de ses camarades, H. Paris, raconte qu’ils furent réquisitionnés pour la garde des personnes suspectes de collaboration au château de Péronne. La séparation devait s’effectuer une quinzaine de jours après. D’après les souvenirs de la famille Delalande, Joseph  séjourna dans des fermes pour y trouver le gîte et la nourriture. Ainsi, au terme de plusieurs mois, il revint à Fougères.
Toujours selon la famille, certes il reçut les croix de combattant, d’interné et d’engagé volontaire, il resta cependant modeste et son courage devait être salué par Louis Pétri.  Il se souvint de l’expérience concentrationnaire de ses camarades, lui qui eut la chance et l’audace de pouvoir s’évader.
Le tableau de la Résistance du second semestre 1943 serait incomplet sans l’évocation des Fontaine, Jules et Roger, son fils. Ils accomplirent un haut fait de Résistance à Fougères, l’attentat contre la Feldgendarmerie, le 14 juillet 1943. La grenade lancée tua un officier allemand et provoqua une bonne dizaine de blessés.




 Roger Fontaine

                                                 
    Ce contexte d’actions contre les lignes de chemin de fer (Rennes-Vitré, Fougères-Pontorson) et les pylônes à haute tension montre que la Résistance est devenue très organisée. Les deux Fontaine sont arrêtés le 29 novembre 1943, emprisonnés à Rennes, puis fusillés à la prison de Fresnes, le 24 juin 1944. Roger Fontaine est l’une des figures qui a le plus marqué Joseph Delalande, avec Lepenant, Marijuan et Pégard.

                                                          Daniel Heudré

mardi 25 février 2014

LES SOEURS DE CHATEAUBRIAND à Fougères, II: Julie et Lucile.







Maquette originale d'Armel Beaufils pour sa statue de Chateaubriand, érigée à l'entrée du Sillon de Saint-Malo.
 Le sculpteur fit don de cette ébauche à la Bibliothèque de Fougères en 1948. Cliché des Archives, Fougères.


Julie de CHATEAUBRIAND


(1763-1799)




« Julie, ma troisième soeur se maria au cours de ces deux années : elle épousa le comte de Farcy, capitaine au Régiment de Condé et s’établit avec son mari à Fougères, où habitaient déjà mes deux sœurs aînées, Mmes de Marigny et de Québriac. La mariage de Julie eut lieu à Combourg et j’assistai à la noce ».



                                             Julie de Chateaubriand, Mme de Farcy, (Collection privée D.R.)



En épousant, le 23 avril 1782, Annibal-Pierre de Farcy, Julie de Chateaubriand entrait dans une famille déjà alliée aux Chateaubriand. Lui avait 33 ans, elle 19. Les deux époux étaient assez mal assortis. M. de Farcy, issu d’une vieille famille venue de Normandie, avait aussi une forte personnalité. Capitaine au Régiment de Condé Infanterie, quelque peu prodigue, il préférait la vie militaire ; Julie était fort belle « avec ses cheveux bruns à gaufrures, ses mains et ses bras délicats, son sourire éclairant ses yeux bleus ». Elle avait aussi, au dire de son frère, « un vrai talent de poésie ». Elle apportait 30.000 livres de dot à son époux.




Le couple s’installa à Fougères, rue Nationale, à l’hôtel de Farcy qui était alors une grande maison à porche et à colombages. Il s’agit aujourd’hui de l’hôtel Danjou de la Garenne au numéro 32 de la rue Nationale. L’ancien hôtel de Farcy fut démoli en 1847 avec quelques maisons environnantes. Il avait fini par être acheté en totalité par la famille Lemercier de Cures dont l’un des héritiers, M. Danjou de la Garenne, archéologue et collectionneur connu pour son originalité devint seul propriétaire. Ce fut lui qui fit orner la nouvelle façade par un artiste renommé, M. Barré, de Rennes, de huit effigies en médaillons représentant François 1er, Henri II, la duchesse d’Etampes et Diane de Poitiers. En 1922, cette maison devint la propriété des Sœurs Oblates de Saint-Benoît, Servantes des Pauvres, qui revendirent l’immeuble à un particulier lorsqu’elles quittèrent la ville de Fougères il y a quelques décennies.

De cette union naquit une fille qui fut ondoyée en l’église Saint-Léonard de Fougères le 15 juin 1784, en présence du père de l’enfant et de sa grand-mère, Mme de Chateaubriand qui signe au registre « de Bédée de Chateaubriand ». L’enfant reçut les prénoms de Marie Zoë Pauline. Le couple se sépara à l’amiable après quatre ans de mariage et une séparation de biens fut prononcée le 23 octobre 1792 Cette situation ne les empêcha pas de se revoir et Annibal de Farcy resta toujours en bons termes avec la famille de Chateaubriand. Julie aimait briller dans les salons, partageait son temps entre Fougères et Paris.




« Quand je retrouvai Julie à Paris, écrit Chateaubriand, elle était dans la pompe de la mondanité ; elle se montrait couverte de fleurs, parée de ces colliers, voilée de ces tissus parfumés que saint Clément défend aux premières chrétiennes… Julie était infiniment plus jolie que Lucile ; elle avait des yeux bleus caressants et des cheveux bruns à gaufrures ou à grandes ondes. Ses mains et ses bras, modèles de blancheur et de forme, ajoutaient par leurs mouvements gracieux quelque  chose de plus charmant encore à sa taille charmante. Elle était brillante, animée, riait beaucoup, sans affectation, et montrait en riant des dents perlées…




Julie attirait les beaux esprits, sulfureux parfois : Guinguené, Parny, Chamfort et surtout le philosophe Delisle de Sales. Née poète, elle disait : « Que répondrai-je à Dieu pour lui rendre compte de ma vie ? Je ne sais que des vers ».




Revenue à Fougères au moment de la Terreur, Julie reçut chez elle sa sœur Lucile et sa belle-sœur, Céleste, l’épouse de François-René parti rejoindre l’armée des émigrés. Le 1er octobre 1793, Julie fut arrêtée ; le lendemain ce fut le tour de Céleste et de Lucile. Nous ne savons par qui la petite Marie Zoë de Farcy, âgée de 9 ans, fut recueillie pendant l’incarcération de sa mère qui dura treize mois. Etait-ce Mme de Marigny ou Mme de Châteaubourg, ses tantes, cela est probable.. D’abord enfermées au château de Fougères, elles furent transférées à la prison de la Tour-du-Bat, puis à celle du  Bon Pasteur à Rennes, d’où elles ne furent libérées que le 5 novembre 1794. Elle revinrent à Fougères et purent par un arrangement secret continuer à occuper une partie de l’hôtel de Farcy qui avait été vendu comme bien national.





 Ancienne demeure de Mme de Farcy et de Lucile de Chateaubriand.
Archives Municipales, Fougères.


Les épreuves subies par Julie au cours de cette période furent-elles la raison de sa conversion ? Anatole France dit qu’elle « échangea l’éventail contre le crucifix ». Quoi qu’il en soit, une rupture radicale s’opéra dans son existence : jeûnes, flagellations et prières en firent pour certains une sainte. Elle mourut à Rennes, à l’âge de 36 ans, au manoir du Gravot, alors dans l’agglomération de Rennes, chez une citoyenne Daniel, dans l’actuelle rue Claude-Bernard, le 26 juillet 1799.




Chateaubriand n’apprit la mort de sa sœur qu’un an plus tard. Il était alors exilé à Londres, comme il le dit dans la première préface du Génie du Christianisme. La mort de sa mère et  celle de sa sœur lui redonnèrent la foi : « Je suis devenu chrétien. Je n’ai point cédé, j’en conviens, à de grandes lumières surnaturelles : ma conviction est sortie du cœur, j’ai pleuré et j’ai cru ».Julie exerça toujours une influence positive sur l’écrivain. Elle lui annonça la mort de leur mère en ces termes : « Mon ami, nous venons de perdre la meilleure des mères : je t’annonce à regret le coup funeste… Quand tu cesseras d’être l’objet de nos sollicitudes, nous aurons cessé de vivre. Si tu savais combien de pleurs tes erreurs ont fait répandre à notre respectable mère, combien elles paraissent déplorables à tout ce qui pense et fait profession, non seulement de piété, mais de raison ; si tu le savais, peut-être cela contribuerait-il à t’ouvrir les yeux, à te faire renoncer à écrire… ». Ce reproche éclaira l’esprit de René et l’amena à un réel repentir, ce fut ainsi qu’il écrira le « Génie du Christianisme » après avoir publié « l’Essai sur les Révolutions » qui prédisait sa fin.






Lucile de CHATEAUBRIAND
(1764-1804)


Sœur cadette de Chateaubriand, « Lucile devait partager les jeux de son frère et tisser avec lui beaucoup de rêveries. Partenaires de jeux et grands imaginatifs, ils cultivaient un amour réciproque. Lucile n’aima qu’une seule personne dans sa triste existence : René ». Au-delà des miniatures maladroites, le vrai portrait de Lucile fut tracé par son frère : « Lucile était grande et d’une beauté remarquable, mais sérieuse. Son visage pâle était accompagné de longs cheveux noirs ; elle attachait souvent au ciel ou promenait autour d’elle des regards pleins de tristesse ou de joie Sa démarche, sa voix, son sourire, sa physionomie avaient quelque chose de rêveur et de souffrant.





 Lucile de Chateaubriand.  (Coll privée, DR.)


Un passeport de 1799 donne le signalement suivant : « Taille de cinq pieds six pouces (1m65), cheveux et sourcils châtains, yeux bruns, nez long, bouche moyenne, menton rond, front élevé, visage ovale ». Prise par la tempête de l’histoire, Lucile ne sait où poser son cœur ; elle erre dans les demeures de ses sœurs et on la voit passer ses journées à se prosterner sur les dalles de Saint-Léonard ou devant la Vierge des Marais à Saint-Sulpice. Bien que fréquentant la noblesse chez ses sœurs, elle ne trouve personne susceptible de calmer ses tourments ; les incompréhensions vont grandissantes entre elle et ses sœurs chez lesquelles les rencontres se poursuivent pourtant. L’autorité de ses sœurs, surtout celle de Mme de Marigny, la contraignit à épouser le chevalier de Caud, né à Combourg en 1727, un militaire de carrière honorable, le dernier gouverneur du château de Fougères. Le mariage eut lieu à Rennes, civilement le 2 août 1796, et religieusement le lendemain en l’église Saint-Pierre-en-Saint-Georges. Le chevalier avait 69 ans, Lucile n’en avait que 32. Les sœurs de Lucile pensaient ainsi pouvoir la stabiliser et lui assurer un avenir décent.



Quelques jours avant le mariage de sa fille, Mme de Chateaubriand fait cette confession terrible à Louis de Tocqueville, un allié de la famille : « Avant de finir, lui écrit-elle, je vous apprendrai le mariage de Lucile, la ci-devant chanoinesse. Elle a pris un ancien homme, ci-devant maréchal de camp, croix de Saint-Louis ; l’honneur et la probité lui ont resté pour titres ; sa réputation est intacte ;il n’est pas riche, mais il lui donne tout ce qu’il a. Les circonstances l’ont décidée à chercher du pain ». Finalement, ce mariage qui ne dura que sept mois, fut une véritable catastrophe et de cette expérience malheureuse, Lucile devait ressortir meurtrie et plus solitaire que jamais. Le chevalier de Caud mourut à Rennes le 15 mars 1797, assisté de ses seuls domestiques qui firent l’avance de l’enterrement. Lucile fut nommée gardienne des scellés posés sur le domicile mortuaire… L’errance allait se poursuivre…

L’âme de Lucile ne battait que pour son frère cadet. Lorsque sa sœur Julie fut arrêtée par le Comité de Surveillance de Fougères, arrestation suivie le lendemain par celle de Céleste Buisson, l’épouse de François-René, Lucile, dans un geste de fidélité à son frère, demanda à être emmenée avec elle à la prison de Rennes : « J’ai tendu volontairement mes mains aux fers » écrira-t-elle à son frère. Cet amour pour son frère commandait son dévouement pour Céleste. Dans une autre lettre, elle dit : « Dans ces lieux destinés aux seules victimes vouées à la mort, je n’ai eu d’inquiétudes que sur ton sort ; sans cesse j’interrogeais sur toi les pressentiments de mon cœur ».

Lorsque René rentrera en France après des années d’absence, Lucile retrouvera un semblant de bonheur et reprendra le dialogue passionné avec son Frangin qu’elle rejoint à Paris. Elle l’accompagne dans sa passion pour Pauline de Beaumont, femme tourmentée, à la fois dolente et excessive, relation réprouvée par ses soeurs. Une fois encore, le destin de Lucile sera décidé par quelqu’un d’autre. Mme de Beaumont, en 1802, lui fera rencontrer le poète Chênedollé, ami de René. Ce sera, là aussi, le début d’une idylle malheureuse.

Leur rencontre à la Sécardais eut lieu en août 1803. Lucile alla l’attendre à Fougères chez Mme de Châteaubourg, à l’hôtel de Québriac. Finalement Chênedollé passa la nuit chez Mme de Chateaubriand, qui cherchait avant tout à soutirer des nouvelles de son mari alors en poste à Rome.

Sur la route de la Sécardais, alors que Chênedollé admirait le paysage, Lucile murmura : « Quand les hommes et les amis vous abandonnent, il nous reste Dieu et la nature ».Ils échangèrent des promesses sous les tonnelles de la Sécardais mais Lucile fut bien obligée de faire allusion au mariage contracté à Hambourg et jamais rompu de Chênedollé et colporté au sein de la famille. Chênedollé était abasourdi, Lucile ne l’était pas moins. Sa fragilité est ébranlée mais elle ne peut devenir la seconde épouse d’un bigame. A la fin du mois d’août, elle quitte la Sécardais,s’enfuit à Rennes et se cloître rue Saint-Georges dans une location au n° 11bis.

Désormais, Lucile vivra dans une claustration totale ; elle s’enfonça dans sa névrose, frôlant les abîmes de la folie. Elle écrit à François-René une lettre poignante dans laquelle elle gémit : « Mon frère, ne te fatigue ni de mes lettres ni de ma présence ; pense que bientôt tu seras pour toujours délivré de mes importunités. Ma vie jette sa dernière clarté, lampe qui s’est consumée dans les ténèbres d’une longue nuit, et qui voit naître l’aurore où elle va mourir».

Quittant le couvent des Augustines, elle prit pension rue d’Orléans-Saint-Marcel (aujourd’hui rue Daubenton). Son frère était parti rendre visite à son ami Joubert à Villeneuve-sur-Yonne lorsqu’il apprit la mort de Lucile, survenu le 9 novembre 1804. Tout comme Chênedollé, certains pensèrent à un suicide, rien cependant ne permet de l’affirmer.Chateaubriand fut prévenu   le 13 novembre   par  Mme de Marigny alors à Paris. D'après Les Mémoires d'Outre-Tombe,Lucile fut enterrée dans une fosse anonyme d’un cimetière voisin: c'est la version qu'il choisit.(1)

Chateaubriand  fut très affecté par la perte de sa soeur : « Elle m'a quitté ,cette sainte de génie. Je n'ai pas été un seul jour sans la pleurer. Lucile aimait à se cacher; je lui ai fait une solitude dans mon cœur: elle n'en sortira que quand j'aurai cessé de vivre. » écrivit-il dans Les Mémoires. Le   chapitre 6 du livre dix-septième" Mort de Madame de Caud" est  tout entier un éloge funèbre et une déploration. 
                                                                                 Marcel Hodebert


 Bibliographie:

 Chateaubriand, Mémoires d'Outre-tombe, Tome I, La Pleiade p 114 sq.
Aubrée Etienne, Lucile et René de Chateaubriand chez leurs soeurs à Fougères. Paris, H Campion,1929.
Heudré Bernard, Chateaubriand, Terres et Demeures d'Outre-Temps p. 106-123 sq. 
  (1):cf  Notes de  l'édition critique  des Mémoires par Jean-Claude Berchet,LP 2008 p. 1464 à 1466.





mardi 28 janvier 2014

LES SOEURS DE CHATEAUBRIAND à Fougères I: Marie-Anne, Bénigne.



 

Marie-Anne de CHATEAUBRIAND

(1760-1860)



« La troisième année de mon séjour à Dol fut marquée par le mariage de mes deux sœurs aînées : Marianne épousa le comte de Marigny, et Bénigne le comte de Québriac. Elles suivirent leur mari à Fougères : signal de la dispersion d’une famille dont les membres devaient bientôt se séparer. Mes sœurs reçurent la bénédiction nuptiale à Combourg le même jour, à la même heure, au même autel, dans la chapelle du château. Elles pleuraient, ma mère pleurait ; je fus étonné de cette douleur : je la comprends aujourd’hui. Je n’assiste pas à un baptême ou à un mariage sans sourire amèrement ou sans éprouver un serrement de cœur. Après le malheur de naître, je n’en connais pas de plus grand que celui de donner le jour à un homme ». Telle est résumée dans les « Mémoires d’Outre-Tombe », la venue des sœurs de Chateaubriand à Fougères.


Née à Saint-Malo en 1760, Marie-Anne de Chateaubriand déçut beaucoup son père en arrivant au monde ; celui-ci écrivit : « Ce n’est qu’une fille » Elle épousa donc François Geffelot de Marigny le 11 janvier 1780 à Combourg.  Le comte de Marigny, « capitaine à la suite des dragons », avait alors 25 ans, il descendait d’une famille enrichie dans le commerce des cierges. Ils vécurent en leur château de Marigny à Saint-Germain-en-Coglès et à Fougères dans leur hôtel particulier, rue Derrière (rue Chateaubriand actuelle, siège de la CFDT) dont Chateaubriand évoque les bals et les dîners qui l’ennuyaient prodigieusement. François de Marigny mourut non pas en 1787, comme l’affirma à plusieurs reprises son épouse sur la fin de sa vie, mais en son hôtel à Fougères le 16 mars 1793, à l’âge de 38 ans.




Mme de Marigny, coll.particulière,  D R 



Madame de Marigny était lettrée, sa conversation était charmante et son esprit distingué. Des jeunes poètes lui dédiaient des vers. Cependant on lui reprochait d’être un peu mordante et « de décocher le trait avec autant de précision que d’à-propos ». Elle eut une vie agitée et souvent douloureuse. En 1793, les temps troublés de la chouannerie commençaient. Trois jours plus tard éclata la « Révolte de la Saint-Joseph » premier acte d’une guerre civile dans laquelle Mme de Marigny prit énergiquement parti ; ce qui lui vaudra, de la part de Loysel, le commissaire du district de Fougères, la qualification de « la plus puante aristocrate que je connaisse » bien qu’il reconnaisse aussi « qu’elle sauva la vie à six cents hommes de l’armée républicaine lors de la Guerre de Vendée ».


En 1796, elle n’hésita pas à mettre son château de Marigny à disposition pour permettre une rencontre secrète entre Puisaye, général en chef de l’armée catholique et royale de Bretagne et plusieurs chefs chouans dont Aimé du Bois-Guy, Pontbriand et Boishamon. L’année précédente, en juin 1795, elle rassembla dans la chapelle du château, 69 enfants des paroisses de Saint-Germain et du Châtellier pour une retraite de communion prêchée par un prêtre réfractaire, l’abbé Joseph Sorette qui devait être tué par les Bleus en 1799.



                                 Chapelle du château de Marigny, St-Germain-en-Coglès.


            Dans la préface d’Atala, Chateaubriand mentionne le courage de sa sœur, Mme de Marigny qui, au moment de l’occupation de Fougères par les Vendéens, obtint de La Rochejaquelein la grâce de nombreux prisonniers républicains.Il oublie de dire que Marie-Anne sut se ménager des sympathies dans les deux camps. Bien qu’elle ne connût pas, comme ses sœurs, l’horreur des prisons révolutionnaires, elle réclama en vain leur libération.


Fidèle à ses sentiments royalistes, elle n’en négligea pas pour autant son influence auprès des patriotes modérés. Au début de l’Empire, en 1800, elle alla habiter à Paris, après le mariage de sa fille, Elisabeh-Cécile, avec Joseph Louis Gouyquet de Bienassis et le décès de son fils Edouard, né à Fougères en 1784.


Dans son ouvrage, M. Bernard Heudré dit que « pendant les événements de 1814 qui amenèrent la chute de Napoléon et le rétablissement de Louis XVIII, elle tint un journal où elle exprime sa joie toute royaliste de voir le retour des Bourbons auxquels elle n’avait jamais cessé d’être fidèle. Elle garda toute sa vie des relations confiantes avec son frère, ainsi qu’en témoigne une correspondance suivie. Dans l’une de ses lettres, datée de 1842, elle rappela qu’au seuil du salon du château, il y avait une espèce de mansarde où François-René allait écrire et rêver, et dans laquelle, Lucile avait dressé un petit autel de l’amitié ».


Plus âgée que son frère de huit ans, elle lui survécut. Elle s’était retirée chez les Sœurs de la Sagesse à Dinan ; c’est là qu’elle mourut, le 17 juillet 1860, âgée de cent ans et treize jours, ayant pris froid à la fenêtre où elle était apparue pour remercier la musique du Petit séminaire venue lui donner une aubade le 4 juillet alors qu’on célébrait son centenaire. Elle chanta même un couplet de la célèbre romance : « Combien j’ai douce souvenance, du joli lieu de ma naissance… »


« Le mois de juillet, avait-elle dit une quinzaine de jours avant son décès, semble fatal à ma famille : deux Chateaubriand on été guillotinés le 6 juillet 1794, mon frère est mort le 4 juillet 1848, mon tour va bientôt venir ». Sa tombe était préparée depuis douze ans dans le cimetière de Dinan et elle avait recommandé qu’on déposât sur son cercueil « une touffe de fleurs de lis coupées dans le jardin du couvent ». Ce qui fut fait.


Elle s’était toujours montrée généreuse envers les pauvres et avait enrichi l’église Saint-Malo à Dinan de plusieurs dons, notamment d’un ostensoir et d’une statue de la Vierge.





 Hôtel de Marigny,  XVIIIè ,Archives  de Fougères.




Dès le 4 septembre 1810, Madame de Marigny avait légué son hôtel fougerais à son gendre qui le vendit le jour même. La même année, il vendait le château et la terre de Marigny au général baron de Pommereul. Chateaubriand précise dans une note des Mémoires : « Marigny a beaucoup changé depuis l’époque où ma sœur l’habitait. Il a été vendu, et appartient aujourd’hui à MM. de Pommereul qui l’ont fait rebâtir et l’ont fait embellir».





-§-§-








Bénigne de CHATEAUBRIAND

(1761-1848)





.Deuxième sœur de Chateaubriand, née en 1761, Bénigne avait épousé, le 11 janvier 1780 le même jour que sa sœur Marie-Anne, le comte Jean-François de Québriac, seigneur de Blossac, d’Halouse, de Patrion et autres lieux, né en 1742, donc plus âgé que sa femme de 20 ans. Comme son beau-frère Marigny, il était entré dans la carrière militaire pour devenir capitaine des dragons de la Reine.




Bénigne, Mme de la Celle Châteaubourg . Collection privée.




« Chez mes sœurs, écrit Chateaubriand, la province se retrouvait au milieu des champs :on allait dansant de voisins en voisins, jouant la comédie, dont j’étais quelquefois un mauvais acteur. L’hiver, il fallait subir à Fougères, la société d’une petite ville, les bals, les assemblées, les dîners, et je ne pouvais pas, comme à Paris, être oublié.



A l’époque, l’hôtel de Québriac, situé rue Lesueur à Fougères était une petite maison composée au rez-de-chaussée de trois pièces et d’un grand vestibule à porte cochère ; trois autres pièces qui s’ouvraient sur la rue par des fenêtres à balcon en fer forgé d’époque Louis XV, occupaient l’étage surmonté de greniers. La façade a subi des modifications à différentes époques et elle en conserve encore les traces. Une écurie située à l’arrière occupait la cour qui précédait d’étroits jardins. Cet hôtel particulier n’avait rien de comparable avec l’hôtel de Marigny ou l’hôtel de Farcy. Plus tard, après son second mariage, on verra Bénigne préférer la campagne à la ville et s’installer le plus souvent à la Sécardais ou au Plessis-Pilet.





 La Sécardais, Mézières-sur-Couesnon



Le comte de Québriac mourut brutalement à Combourg le 8 août 1783. Quelques jours plus tard, son fils, César-Auguste, à peine âgé de trois ans, suivait son père dans la tombe. Bénigne, à qui il restait un fils qui allait devenir maire de Fougères au début de la Restauration, se remaria à Fougères, le 24 avril 1786, avec le vicomte Paul-Marie de La Celle de Châteaubourg, âgé de 34 ans, lieutenant en premier au Régiment de Condé-Infanterie où il obtint le grade de capitaine en 1788. A la mort de son neveu, quelques années plus tard, il devint le comte de Châteaubourg, chef de nom et d’armes.




           Bénigne fut la seule des sœurs de  Chateaubriand à ne pas avoir été tentée par la littérature. Réaliste comme son père, elle semble avoir géré au plus près ses intérêts financiers. La correspondance de son frère laisse parfois poindre un certain agacement devant les exigences de sa sœur. Lorsqu’il fallut régler la succession paternelle, Bénigne et Marie-Anne contestèrent la Coutume de Bretagne qui voulait que les deux-tiers des biens d’un gentilhomme devaient revenir à l’aîné. Les deux sœurs firent opposition en déclarant que la fortune de leur père avait été acquise par le commerce, ce qui, à leurs yeux, ramenait l’héritage au niveau roturier et impliquait l’égalité des parts. Mme de Chateaubriand fut à jamais blessée par l’attitude de ses filles car des ordonnances royales datant de Louis XIV et Louis XV stipulaient que le commerce sur une grande échelle, spécialement dans la marine marchande –ce qui était le cas pour les Chateaubriand – ne faisait pas déroger les gentilshommes. Le frère aîné, Jean-Baptiste, accepta pourtant de verser 25.000 livres sur le champ, à partager entre ses cinq cadets.


Bénigne mettait à profit ses ressources pour tenir son rang dans la société fougeraise et dans la noblesse rurale de Bretagne, partageant son temps entre son hôtel de Québriac qu’elle garda après la mort de son premier mari et ses châteaux du Plessis-Pilet à Dourdain et surtout de la Sécardais à Mézières sur-Couesnon.


 Le château du Plessis-Pilet, à Dourdain, propriété des comtes de Châteaubourg,au début  du XXè
( Coll .M. Hodebert) 
Après la tourmente révolutionnaire, Chateaubriand revint à la Sécardais, au printemps 1806, accompagné de sa femme, juste avant son départ pour la Terre Sainte. Céleste écrit dans son cahier rouge : « Au mois de mai 1806, le voyage de Jérusalem fut décidé ; nous allâmes faire nos adieux à nos parents de Bretagne dans un vieux château appartenant à une des sœurs de mon mari, la comtesse de Châteaubourg ».



Paul de La Celle de Châteaubourg et Bénigne de Chateaubriand eurent quatre enfants, tous nés à Fougères. Les rapports entre Bénigne et son frère furent complexes. L’agacement du frère transpire dans ses lettres. Lorsque Lucile mourut, il écrit à Mme de Marigny : « il serait juste que Mme de Châteaubourg qui va jouir d’un bien si facilement acquis contribuât à honorer la mémoire de notre chère Lucile ». Déjà en 1803, au moment où l’écrivain distribua quelques exemplaires de luxe du Génie du Christianisme, illustrés de neuf gravures, Céleste, sa femme, Lucile et Marie-Anne, ses sœurs en reçurent un exemplaire comme cadeau, Bénigne n’en reçut pas.



Femme de tête, toute donnée à sa tâche de mère de famille, nullement tentée par la poésie et l’écriture comme les autres membres de la famille, Bénigne n’hésita pas pour autant, en 1794, à adresser elle-même une pétition au Comité Révolutionnaire de Fougères, pour obtenir la libération de ses sœurs et belle-sœur qui avaient été arrêtées et enfermées à Rennes à la prison du Bon Pasteur.Quelques semaines avant son frère, Bénigne mourut à Rennes le 16 mai 1848.






                                                                Marcel Hodebert



Sources:


Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe,  Tome I, La Pléiade, p.135 sq.

Bernard Heudré ,Chateaubriand, Terres et demeures d'Outre-Temps, éditions J.P. Bihr , 1998.p105 sq.