L’Abbé Henri MANCEL, pionnier
du syndicalisme agricole.
du syndicalisme agricole.
Eglise de Monthault,XV-XIXè. |
Un film documentaire diffusé
sur France 3 en 2002, intitulé « Des poissons rouges dans le
bénitier » évoque l’histoire de trois abbés démocrates qui marquèrent
de leur empreinte la ville, le pays de Fougères et bien au-delà. Il s’agit de
Félix Trochu co-fondateur du journal « L’Ouest-Eclair » avec
Emmanuel Desgrées du Lou ; de Henri Mancel et de Louis Bridel. L’auteur de
ce documentaire aurait pu aussi ajouter l’abbé Auguste Chesnais ou encore, à
Vitré, l’abbé Crublet. S’attirant les foudres de
leur hiérarchie et l’inimitié des notables, créant syndicats, coopératives,
caisses de crédit mutuel, journaux voire même des banques, ces curés
républicains dérangent, mais ils deviennent ,malgré les énormes difficultés
qu’ils ont dû affronter, des précurseurs dont la Bretagne porte encore la trace
aujourd’hui.
L’abbé Henri Mancel est né à
Bain-de-Bretagne le 12 octobre1878; ses parents
exercent la profession de marchands de tissus. Dès 1910, il est
membre du mouvement Le Sillon créé par Marc Sangnier. Ce mouvement
social apparaissait révolutionnaire à beaucoup alors qu’il était en conformité
avec l’encyclique du pape Léon XIII « Rerum Novarum » qui
voulait dire « Du progrès », publiée en 1891 et qui
marqua, non sans beaucoup de difficultés, le début de la doctrine sociale de
l’Eglise. Rendre sa dignité aux plus pauvres, notamment à la classe ouvrière,
n’était pas dans l’ordre des choses jusque là. Un grand malentendu s’installa
parfois entre la hiérarchie catholique et les prêtres démocrates qui
travaillaient à ce rétablissement bien légitime. Le clergé, en général, était
resté conservateur. Les « curés rouges », comme on disait
parfois, faisaient désordre et leur position n’était guère enviable.
Pourtant, certains, comme ceux que nous avons nommés, tenaient bon contre vents
et marées.
L’abbé Mancel est de
ceux-là. Ordonné en 1902, dans un climat politique difficile pour l’Eglise
catholique qui préfigure les lois sur l’enseignement laïc et la Séparation des
Eglises et de l’Etat, Henri Mancel attire très tôt l’attention des autorités
diocésaines qui n’appréciaient guère ce courant de pensée. Leur
réponse s’exprime par la tactique habituelle : le prêtre un peu trop libre
d’esprit est exilé à l’une des extrémités du diocèse, dans une paroisse exiguë
si possible. Son champ d’action s’en trouve réduit d’autant . Après
son ordination en 1902, l’abbé Mancel, licencié en théologie, est nommé vicaire
à Bourg-des-Comptes en 1903, puis à Lalleu en 1906, à Monthault en 1912 et
enfin à Gévezé.
Comme Mancel déclare haut et
fort qu’il est républicain et affiche ouvertement ses convictions, il est
« exilé » à Monthault, petite paroisse un peu oubliée aux
confins de la Normandie et de la Bretagne, où il est nommé vicaire en août 1912. Cette mise à l’écart ne
calme pas ses ardeurs, au grand dam du clergé de Monthault et des environs
resté quelque peu nostalgique de la monarchie. Aussi lorsqu’il fit jouer la
Marseillaise au cours d’une messe et fait applaudir l’apposition d’une
plaque commémorative de la Première République, le scandale est à son comble
chez les conservateurs qui ne manquent pas d’en informer l’archevêque, ce qui
n’arrange guère sa situation auprès des autorités religieuses. Mobilisé en
1914, l’abbé Mancel doit quitter Monthault pour rejoindre le front, ce qui calme
un peu les esprits, pour un temps du moins. Après la Guerre, en 1919, il revient
à Monthault et reprend son combat en faveur des petits paysans. La sanction
tombe aussitôt : il est exilé vers une autre extrémité du diocèse, Gévezé.
Mais cette fois, Mancel refuse et préfère se retirer à Bain-de-Bretagne où il
vit comme prêtre libre. Dès 1920, il est démis de tout ministère paroissial par l’épiscopat et, le curé de Bain lui
refusant l’entrée de son église, l’abbé Mancel célébre sa messe dans un
oratoire qu’il s’est aménagé chez lui.
Très tôt, il s’est intéressé
aux problèmes du monde agricole et a été sensibilisé à l’asservissement des
exploitants agricoles par les grands propriétaires terriens, notamment par la
noblesse locale. Fort de cette doctrine sociale, l’abbé Mancel incita donc les
fermiers à s’organiser en syndicat. Ce sera l’origine du « Syndicat des
Cultivateurs-cultivants » créé par réaction au « Syndicat des
Lices », dominé par des propriétaires terriens de sensibilité
nationaliste, corporatiste et antisémite. Son syndicat est exclusivement
composé de petits fermiers qui exploitent eux-mêmes leurs terres et qui
exercent la profession agricole. Huit ans après sa création, la fédération
syndicale qui est devenue « La Ligue des Paysans de l’Ouest »
compte 200 syndicats en Ille-et-Vilaine et dans les Côtes-d’Armor et
quelque 15.000 adhérents. Elle est en position dominante aux élections des Chambres d'Agriculture dans l'arrondissement de Rennes.
Les syndicats de Mancel contribuent à une évolution profonde des mentalités et à l'éclatement de la société rurale: ils s'attirent de nombreux adversaires.Après une intervention
infructueuse du marquis de Vogué à Rome, le cardinal Charost se lance dans le
combat contre l’œuvre de Mancel. Il
fait appeler un autre prêtre, l’abbé Brassier, pour engager la contre-offensive
et rallier dividuellement les syndicats de cultvateurs-cultivants. Envers et
contre tout, Henri Mancel et ses collaborateurs maintiennent leurs positions,
jusqu’à ce que le prêtre se heurte à des oppositions au sein de son propre
mouvement menées, semble-t-il, contre lui à la suite d’interventions
épiscopales. En décembre 1930, l’abbé Mancel est définitivement écarté après un
retournement de majorité au sein du conseil supérieur d’administration du
syndicat
Ainsi contesté, soulevant
l’opposition de la noblesse et des grands propriétaires, l’abbé Mancel, dépité
et amer, va s’éclipser de la scène syndicale
Malgré la profonde souffrance ressentie par tant d’incompréhension, il
ne reviendra jamais sur ses positions et défendra jusqu’à la fin de sa vie
« le droit du paysan à vivre de la terre qu’il travaille ».
Retiré à Bain-de-Bretagne, sa commune natale, il y meurt le 30
janvier 1954.
Avec les « abbés
démocrates », Henri Mancel est à l’origine d’un mouvement social
profondément réformateur. Son mouvement marque une étape importante de l’histoire
du catholicisme social. Il a été longtemps une référence comme figure pionnière
de l’action menée plus tard par les militants de la Jeunesse Agricole
Chrétienne (J.A.C.) qui s'est implantée en Ille-et-Vilaine à partir de 1929. La
J.A.C. ne se donnait-elle pas pour objectif de participer à l’émancipation des
jeunes agriculteurs, de les sortir de leur isolement et de défendre
l’exploitation familiale ?
Texte et photos: Marcel Hodebert.
Page connexe: Bernard Heudré,Fougères, le Pays et les Hommes, 1980.Page de juillet 2012 sur ce site.
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