Les miraculés du Livre des Miracles :
miroir de la société médiévale ?
" Les aveugles voient, les sourds entendent, les muets parlent, les pauvres sont évangélisés,les boiteux marchent, les paralytiques guérissent, les possédés sont délivrés du démon par les mérites des saints et (qu'y a-t-il de plus remarquable?) les morts ressucitent."
Paraphrase des paroles du Christ adressées aux disciples envoyés par Jean-Baptiste dans l'Evangile
de saint Matthieu (XI,5) et de saint Luc (VII,22) par l'auteur du Livre des Miracles dans sa préface.
miroir de la société médiévale ?
" Les aveugles voient, les sourds entendent, les muets parlent, les pauvres sont évangélisés,les boiteux marchent, les paralytiques guérissent, les possédés sont délivrés du démon par les mérites des saints et (qu'y a-t-il de plus remarquable?) les morts ressucitent."
Paraphrase des paroles du Christ adressées aux disciples envoyés par Jean-Baptiste dans l'Evangile
de saint Matthieu (XI,5) et de saint Luc (VII,22) par l'auteur du Livre des Miracles dans sa préface.
Peu de femmes et d’enfants
Quatre-vingt-neuf miracles
concernent des femmes, soit 24% du total, ce qui n’étonne guère au regard
d’autres Livre des Miracles, ainsi à
l’échelle de la France, P.-A. Sigal a souligné qu’elles ne formaient qu’un
tiers des 5 000 miracles qu’il a étudiés. Malgré les lacunes du texte et
l’imprécision médiévale pour l’âge, on trouve régulièrement ce type de
formule : « Gautier, d’à peu près 15
ans », nous avons néanmoins répertorié une centaine d’enfants (25%). Pour
le reste, la gente masculine et adulte domine largement, sans que cela reflète
son réel poids démographique dans la société, nobles, chevaliers et religieux
paraissent être favorisés par les saints.
Reliques des saints Vital,Hamon,Pierre d'Avranches et Guillaume Niobé, église de Savigny-le-Vieux. DR |
Nobles et ecclésiastiques : privilégiés
des saints ?
Le Livre des Miracles permet aussi une
approche en fonction des catégories sociales. À une soixantaine de reprises
l’auteur a précisé à quel groupe appartenait le ou la miraculé(e), soit à peine
13 % des cas.
Sans surprise,
la noblesse arrive en tête avec 22 mentions (44%) : dans sept cas le miraculé
est simplement qualifié de dominus
(seigneur), comme Geoffroy d’Orange tombé gravement malade, ou Isabelle, domina de Fougères, qui appartenait à la
strate supérieure de la noblesse, mariée au dernier descendant direct des
seigneurs de Fougères, Raoul III, dont la famille était fondatrice de Savigny,
elle sera d’ailleurs inhumée dans l’abbaye. Ailleurs, l’auteur souligne que le
noble est aussi miles (chevalier),
comme Juhel de Logé, « noble et miles, du diocèse du Mans », ou bien que ce
membre de la noblesse a un grade de chevalerie moindre et qu’il n’est qu’armiger (écuyer), tel Robin Roussel, « armiger et nobilis du diocèse de Coutances ». Le scribe établit une dernière
différence au sein de ce groupe aristocratique, puisque parfois il précise que
le miraculé n’est que miles ou simple
armiger, sans mention d’une
quelconque appartenance à la noblesse. Dans ces deux derniers cas, il faut
imaginer que nous avons affaire aux strates inférieures du second ordre,
certains armigeri (écuyers) ne pouvant arborer
le titre de miles (chevalier) faute de ressources
financières....
Inscription latine gravée sur le cénotaphe de saint Vital : |
Entre autres grandes oeuvres, il redonna la vie à un militaire,
sous les yeux du peuple, par ses saintes prières.
Nécessairement le groupe aristocratique accuse une forte différence entre les hommes et les femmes, les premiers représentant presque la totalité des exemples.
Cette absence, ou quasi absence, des femmes se retrouve dans le second groupe social celui des religieux. Une douzaine est clairement citée dont une seule femme, la prieure de Mortain. Le clergé régulier apparaît plus nombreux que les séculiers. Parmi ces derniers, nous trouvons seulement un abbé, celui de Beaulieu, près de Dinan. Suivent six moines, dont quatre de Savigny, notamment Guy, atteint de douleurs au crâne, maladie touchant particulièrement les religieux, un prieur, celui de l’abbaye de Vieuville (Bretagne), et un seul convers de Savigny, c’est-à-dire un moine affecté aux tâches manuelles. De son côté, le clergé séculier est beaucoup moins présent, seuls quatre prêtres sont mentionnés. L’auteur évoque aussi cinq clercs, dont un seul semble avoir intégré les ordres puisqu’il est qualifié de diacre. Si l’on se fie aux seules mentions de catégories sociales de l’auteur, les religieux représentent près du tiers des personnes bénéficiant d’un miracle.
Cette absence, ou quasi absence, des femmes se retrouve dans le second groupe social celui des religieux. Une douzaine est clairement citée dont une seule femme, la prieure de Mortain. Le clergé régulier apparaît plus nombreux que les séculiers. Parmi ces derniers, nous trouvons seulement un abbé, celui de Beaulieu, près de Dinan. Suivent six moines, dont quatre de Savigny, notamment Guy, atteint de douleurs au crâne, maladie touchant particulièrement les religieux, un prieur, celui de l’abbaye de Vieuville (Bretagne), et un seul convers de Savigny, c’est-à-dire un moine affecté aux tâches manuelles. De son côté, le clergé séculier est beaucoup moins présent, seuls quatre prêtres sont mentionnés. L’auteur évoque aussi cinq clercs, dont un seul semble avoir intégré les ordres puisqu’il est qualifié de diacre. Si l’on se fie aux seules mentions de catégories sociales de l’auteur, les religieux représentent près du tiers des personnes bénéficiant d’un miracle.
Nous
retrouvons ici les divisions intellectuelles forgées depuis l’époque
carolingienne, où « ceux qui
prient » (oratores) et « ceux qui combattent » (bellatores) sont mis en avant, qu’en
est-il de « ceux qui
travaillent » (laboratores) ?
Le troisième ordre : le grand
oublié ?
Le monde des
villes paraît très discret. Pour les citadins, les textes distinguent cives (citoyen) et burgenses (bourgeois). Le premier terme désigne un habitant d’une
ancienne cité, bien souvent d’origine gallo-romaine, quant au second, il
indique une personne vivant dans un burgus,
soit un bourg, c’est-à-dire un lotissement installé le plus souvent en milieu
rural, près d’un prieuré ou d’un château. Ainsi, un cives vient d’Avranches et trois autres de Coutances, qui sont
effectivement d’anciens chefs-lieux gallo-romains; les bourgeois, quant à eux,
n’apparaissent qu’à trois reprises.
Les paysans
semblent les grands oubliés, un seul est clairement désigné par l’auteur du
Livre des Miracles, Renaud, rusticus,
vivant près de Savigny. Il semble bien que le monde rural ne soit pas nettement
distingué car il fournit très probablement le gros des troupes des miraculés,
omniprésents dans la société médiévale, l’auteur n’a pas jugé utile de relever
leur catégorie sociale.
Le Livre des Miracles fournit aussi
quelques précisions relatives à des membres du troisième ordre. On trouve ainsi
une demi-douzaine de mentions d’activités professionnelles, comme Hervé,
marchand à Lasson (Calvados), ou
Geoffroy Dobé tailleur. Pierre de Quarnet, en Saint-James, frôla le naufrage
sur la Gironde et fit appel aux saints de Savigny, faisait-il du commerce ?
Renalt Gaudin, du château de la même paroisse, est pris de fièvre alors qu’il
revient du Poitou, où « il avait
transporté des marchandises avec ses associés pour les vendre ». Parmi ceux
qui sont désignés en fonction de leur métier, on trouve un famulus, Guillaume de Paris, domestique, serviteur, de l’évêque
d’Avranches ; et trois artisans, dont un charpentier, Hervé de la Crèche
malheureux menuisier de La Bazouge-du-Désert qui chuta lourdement du toit sur
lequel il travaillait, mais les saints le sauveront. Enfin, André de Laval,
habitant de Mayenne, est désigné comme faber,
probablement un orfèvre.
Le Livre des Miracles fidèle portrait de la société ?
Au final,
l’auteur nous dresse non pas un fidèle portrait de la société médiévale telle
qu’elle était, mais probablement telle que lui la voyait ou telle qu’on lui
avait demandé de la transcrire dans son Livre.
Le monde de la noblesse semble le plus important, mais cela ne s’explique-t-il
pas par le fait que nobles et chevaliers sont les principaux donateurs de
l’abbaye ? Ils donnent des terres, des rentes en argent ou en nature, des
dîmes... L’approche de la mort reste le moment le plus propice à l’acte de
donation, mais il n’est en rien exclusif. L’auteur soigne ici les relations
privilégiées qu’entretiennent les moines avec les puissants, les nobles ne sont
peut-être pas les plus nombreux à bénéficier des miracles, mais on prend soin
de les distinguer des autres.
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En nombre presque égal les religieux, mais là aussi on retrouve certains choix. Ce n’est certainement pas un hasard si les membres du clergé régulier sont beaucoup plus nombreux que les simples curés de paroisse. On retrouve ici une tension parcourant le clergé entre ceux qui veillent aux âmes dans l’au-delà, les moines, et ceux qui s’occupent des âmes ici-bas, les prêtres. Les réguliers sont représentés dans toute leur diversité, depuis l’abbé au convers en passant par le moine ; d’ailleurs l’auteur appartient à ce dernier groupe.
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En nombre presque égal les religieux, mais là aussi on retrouve certains choix. Ce n’est certainement pas un hasard si les membres du clergé régulier sont beaucoup plus nombreux que les simples curés de paroisse. On retrouve ici une tension parcourant le clergé entre ceux qui veillent aux âmes dans l’au-delà, les moines, et ceux qui s’occupent des âmes ici-bas, les prêtres. Les réguliers sont représentés dans toute leur diversité, depuis l’abbé au convers en passant par le moine ; d’ailleurs l’auteur appartient à ce dernier groupe.
Noblesse et
clergé sont surreprésentés, mais il convient de rappeler qu’il s’agit de deux
groupes privilégiés, socialement, mais aussi économiquement et symboliquement.
En cas de maladie ou d’accident, les nobles ont les moyens financiers de se
déplacer, de venir en pèlerinage ; quant au clergé, si les réguliers sont si
nombreux c’est peut-être parce qu’ils vivent à proximité des reliques. La
césure au sein du clergé renvoie éventuellement à une opposition sociale, les
séculiers vivant dans des conditions matérielles souvent plus difficiles que
celles des réguliers.
« Ceux qui travaillent », le troisième ordre, sont mêlés les uns aux autres, certes les citadins paraissent les plus souvent cités, mais à plusieurs reprises le monde rural, celui des artisans et surtout des paysans, se devine, ces derniers étant très probablement les plus concernés par les miracles.
Quant à la répartition des sexes, on note une plus grande proportion d’hommes (deux tiers) que de femmes (un tiers), le même type de différence s’observe à l’échelle de la France entière, il faut probablement faire un lien avec la plus grande sédentarité des femmes, les hommes, plus libres pour se déplacer, pouvaient se rendre plus facilement dans les sanctuaires. On ne peut oublier que le Livre est l’œuvre d’un clerc, un moine, qui vit éloigné des femmes depuis son entrée à l’abbaye; les cloîtres, les scriptoria et les écoles restaient des univers exclusivement masculins. Il parle d’un monde qu’il connaît très mal. Enfin, tous les âges sont concernés par les miracles. Sans être un fidèle reflet de la société médiévale du XIIIe siècle, le Livre des Miracles souligne néanmoins que tous peuvent être concernés par un signe de Dieu, l’auteur n’oublie personne indiquant par là que tous peuvent être sauvés.
« Ceux qui travaillent », le troisième ordre, sont mêlés les uns aux autres, certes les citadins paraissent les plus souvent cités, mais à plusieurs reprises le monde rural, celui des artisans et surtout des paysans, se devine, ces derniers étant très probablement les plus concernés par les miracles.
Quant à la répartition des sexes, on note une plus grande proportion d’hommes (deux tiers) que de femmes (un tiers), le même type de différence s’observe à l’échelle de la France entière, il faut probablement faire un lien avec la plus grande sédentarité des femmes, les hommes, plus libres pour se déplacer, pouvaient se rendre plus facilement dans les sanctuaires. On ne peut oublier que le Livre est l’œuvre d’un clerc, un moine, qui vit éloigné des femmes depuis son entrée à l’abbaye; les cloîtres, les scriptoria et les écoles restaient des univers exclusivement masculins. Il parle d’un monde qu’il connaît très mal. Enfin, tous les âges sont concernés par les miracles. Sans être un fidèle reflet de la société médiévale du XIIIe siècle, le Livre des Miracles souligne néanmoins que tous peuvent être concernés par un signe de Dieu, l’auteur n’oublie personne indiquant par là que tous peuvent être sauvés.
Clichés : J.PGallais
Bibliographie: - Bachelier Julien, « Miracles et miraculés au milieu du XIIIe siècle d’après le Livre des Saints de l’abbaye de Savigny », dans Revue de l’Avranchin et du Pays de Granville, 2011, t. 88, fasc. 426.
-Liber de Miraculis Sanctorum Savigniacensium publié dans Recueil des Historiens des Gaules et de la France, publ. par de Wailly, Delisles et Jourdain, 1894, t. 23.
-Pichot Daniel, Les cartulaires manceaux de l’abbaye de Savigny, Avranches, Société d’Archéologie d’Avranches-Mortain, tiré à part de « Les cartulaires manceaux de l'abbaye de Savigny : essai d'étude économique et sociale », dans Revue de l'Avranchin et du pays de Granville, t. 53, n. 286, 287, 288.
Bibliographie: - Bachelier Julien, « Miracles et miraculés au milieu du XIIIe siècle d’après le Livre des Saints de l’abbaye de Savigny », dans Revue de l’Avranchin et du Pays de Granville, 2011, t. 88, fasc. 426.
-Liber de Miraculis Sanctorum Savigniacensium publié dans Recueil des Historiens des Gaules et de la France, publ. par de Wailly, Delisles et Jourdain, 1894, t. 23.
-Pichot Daniel, Les cartulaires manceaux de l’abbaye de Savigny, Avranches, Société d’Archéologie d’Avranches-Mortain, tiré à part de « Les cartulaires manceaux de l'abbaye de Savigny : essai d'étude économique et sociale », dans Revue de l'Avranchin et du pays de Granville, t. 53, n. 286, 287, 288.
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