Les mégalithes de la forêt de Fougères
TROISIEME VOLET
Des monuments encore et toujours
énigmatiques
Peu de
monuments ont fait couler autant d’encre que ces fameux mégalithes, sans
compter toutes les légendes transmises oralement et qui gravitent autour de
leurs origines, un trésor n’est jamais bien loin, à défaut le diable et ses
acolytes y sont pour quelque chose... La Pierre
du Trésor et la Pierre Courcoulée
n’ont pas échappé à la règle, néanmoins que sait-on vraiment sur ces
mégalithes ?
S’agit-il bien de dolmens ?
Si d’ordinaire on parle de dolmen, le terme n’a rien de
scientifique, au contraire. Depuis la fin du XVIIIe siècle, les
monuments mégalithiques sont qualifiés de noms bretons. Outre menhir qui désigne les pierres dressées
seules, le terme dolmin aurait été
inventé par Théophile-Malo de La Tour d'Auvergne (1743-1800) dans ses Origines gauloises (1792-1796):le "Premier Grenadier de la République", célébré pour ses participations aux guerres
révolutionnaires et napoléoniennes,se passionnait pour les langues celtiques. Par la suite, on utilisa le pluriel dolmen pour les structures plus
complexes.
Si les érudits bretons estimaient
que l’Armorique était la terre de prédilection de ces monuments, depuis les
historiens et les archéologues ont montré que le mégalithisme concernait des
régions aussi diverses et éloignées que les Balkans, l’Espagne ou les pays
Scandinaves. Dès lors, les qualificatifs bretons n’avaient plus de pertinence.
Aujourd’hui on distingue plusieurs structures. Ainsi, les menhirs sont des stèles, voire des alignements en fonction de leur
nombre. Les dolmens sont divisés en
plusieurs groupes : allées couvertes (comme les mégalithes de la forêt de
Fougères), sépultures mégalithiques, dolmens
en V... La typologie étant établie en fonction de la disposition des
« pièces » (chambre, couloir...) et des entrées (latérales ou
non). Toutefois, étant donnés les vestiges en place, il est parfois bien
délicat d’affirmer que tel ou tel dolmen
relevait de telle ou telle catégorie. Enfin, il existait des ensembles encore
plus imposants : les tertres tumulaires, monuments en terre ou pierres
recouvrant parfois des structures, on peut les opposer aux cairns, uniquement faits de blocs ou de moellons.
Druides et Gaulois n’y sont pour rien
Il existe aussi une autre
confusion : la datation de ces monuments. Si une célèbre bande dessinée a
diffusé l’idée que les Gaulois et les menhirs étaient contemporains, le
mouvement est bien plus ancien. En se limitant à la forêt de Fougères, une
telle confusion se retrouve derrière les noms du Cordon des Druides ou du Carrefour
de la Serpe d’Or. Les érudits bretons des XVIIIe – XIXe
siècles estimaient que ces pierres remontaient à l’époque celte, on se limitera
à rappeler ici le titre de l’ouvrage de Théophile de La Tour d'Auvergne : Origines gauloises ; et il est loin
d’être le seul à avoir réalisé une telle assimilation. La « preuve »
se trouvait dans La Guerre des Gaules (livre
VI, chap. 16) de César lui-même : « Toute la nation gauloise est très superstitieuse ; [les Gaulois]
ont recours pour ces sacrifices au ministère des druides ». Il ne restait
plus qu’à trouver des traces de ces sacrifices
sur les mégalithes, les traces d’érosion devinrent des rigoles d’écoulement et des déversoirs prêts
à accueillir le sang de victimes humaines, Danjou de La Garenne concluait que ces
monuments de pierres servaient aux « sacrifices sanglants des Druides. »
Dès le début du XXe
siècle, certains auteurs émirent des doutes, au niveau local, Émile Pautrel
rejetait tout lien entre les druides et les mégalithes. Aujourd’hui, l’archéologie
a démontré que ces derniers commencent à apparaître dès le VIe
millénaire avant notre ère et disparaissent v. 1500 av J.-C., bien avant donc que
la civilisation des Gaulois ne se développe.
Des mégalithes du Néolithique
Il est bien souvent difficile de
dater les dolmens. On peut pour cela
s’aider d’éventuelles découvertes archéologiques ou dresser une
typochronologie, c’est-à-dire dater les édifices en fonction de critères
d’apparence et/ou morphologique.
Les deux mégalithes de la forêt
de Fougères auraient livré des objets permettant un début de datation. Ainsi,
malgré les diverses fouilles sauvages menées autour de la Pierre Courcoulée, des « anneaux bretons » auraient été
mis au jour, remontant au Néolithique final (2500 av. notre ère). Sous la Pierre du Trésor, lors des restaurations
menées à la fin des années 1930, on découvrit « trois débris de vases
gallo-romains », ce qui allait assez bien avec les hypothèses druidiques
et celtiques encore en vogue dans certains milieux. Dans les deux cas, il faut
tout d’abord se demander si les objets ont été déposés lors de l’élévation du
monument, ou pour le moins s’ils sont contemporains. Pour la Pierre Courcoulée, les objets découverts
correspondent avec les éléments de typochronologie. Par contre, on demeure perplexe
pour les débris de céramiques gallo-romaines de la Pierre du Trésor, il aurait été intéressant de les retrouver pour
proposer une nouvelle datation. On peut envisager au moins deux hypothèses,
soit les découvreurs se sont trompés dans la datation, soit les vestiges sont
effectivement gallo-romains et dans ce cas il y aurait eu un réemploi du
mégalithe bien après son édification. Les deux options se valent, car dans le
premier cas, force est de reconnaître que les recherches sur le Néolithique
breton étaient peu avancées il y a un siècle; quant à la présence des
Gallo-Romains en forêt de Fougères, les indices sont multiples (voie romaine,
fermes, traces de cadastration (?), tegulæ...).
L’autre approche pour dater les
monuments est donc la typochronologie. Ainsi malgré le piètre état de
conservation, la comparaison avec d’autres monuments peut apporter un début de
réponse, qui ne demande qu’à être confirmé ou infirmé par de futures études.
Pour la Pierre du Trésor, dont l’essentiel est à terre, on peut probablement
parler d’un dolmen simple, il devait
s’agir d’une chambre sans couloir, avec seulement une table et ses piliers. La datation
reste difficile, les archéologues estiment que, dans certains cas, ces monuments
pourraient être tardifs. Quant à la Pierre
Courcoulée, il semble que l’on ait à
faire à un dolmen en allée ou plutôt
une allée couverte, comprenant à l’origine un vestibule d’entrée, puis une
chambre. Une telle organisation renverrait au Néolithique final.
Quels sens donner à ces vestiges ?
Outre l’attribution sacrificielle
aux druides, les mégalithes ont éveillé les imaginations. On ne peut passer en
revue toutes les théories, depuis les plus farfelues ou plus plausibles :
astrologiques, cultuelles, religieuses... Nous nous limiterons aux hypothèses
les plus crédibles et tenterons d’en déterminer les implications sociales.
Protégée par un tertre fait principalement en terre, la Pierre Courcoulée avait vocation à accueillir les corps des membres de l'élite sociale et locale.( cl. J. Bachelier) |
Les mégalithes semblables à ceux
de la forêt de Fougères avaient un rôle religieux. Tout d’abord au plan cultuel
et de la mémoire des ancêtres, s’ils remontent bien au Néolithique final, les
monuments de pierres fougerais ont très bien pu servir de sépultures
collectives où furent déposés les restes de dizaines, voire de centaines de
personnes ; toutefois la modestie des tombes invite à limiter le nombre
de corps déposés. Les quelques découvertes archéologiques faites tant dans la Pierre Courcoulée que dans la Pierre du Trésor iraient d’ailleurs en
ce sens. Ainsi les « anneaux bretons » découverts dans la
première pourraient être considérés comme du mobilier funéraire, dépôts pour le
ou les défunts. De même, les débris de céramique de la Pierre du Trésor, à condition de revoir leur datation, pourraient
être mis en relation avec des vases à vocation funéraire (offrandes au moment
du placement du corps ou après, lors de cérémonies cultuelles).
La monumentalité des mégalithes
implique une forte visibilité dans le paysage de l’époque. En effet, si
aujourd’hui ils sont cernés par les arbres, il faut imaginer un tout autre
paysage à la fin du Néolithique, où les clairières alternaient avec les bois et
les zones cultivées. La Pierre du Trésor
comme la Pierre Courcoulée étaient au
centre d’un espace déboisé. De plus, ces dolmens
devaient à l’origine être recouverts d’un tertre fait de terre, mais aussi de
pierres et probablement de bois. Pour ériger ce dernier et plus encore pour
transporter les pierres, les hommes avaient dû défricher les bois. La
visibilité avait aussi une vocation sociale. Sans être située sur le sommet de
la forêt de Fougères, la Pierre du Trésor
se trouve sur une hauteur, quant à la Pierre
Courcoulée, elle est légèrement en pente douce, donc plutôt en situation
supérieure. Leur visibilité devait avoir un double rôle. Au quotidien, les
vivants qui habitaient autour voyaient de loin les tertres, et on ne peut
exclure une forme d’émulation, de concurrence avec les communautés voisines.
Sur l'un des points hauts de la forêt de Fougères, la Pierre du Trésor devait protéger
le corps et le souvenir des principaux membres de la communauté; elle était aussi disposée pour
être vue par les autres personnes de cette même communauté et probablement par les membres
des autres groupes qui devaient périodiquement sillonner le territoire du groupe qui a construit
la Pierre du Trésor. (cl. J. Bachelier)
|
La construction de ces mégalithes
avait enfin une forte implication sociale. Il faut tout d’abord souligner qu’en
fonction de la destination de ces tombes monumentales leur implication était différente.
Si elles n’abritaient qu’un seul homme ou qu’un seul groupe familial, alors il
faut convenir qu’ils formaient l’élite. De récentes études insistent sur le
rôle des mégalithes dans la manifestation des inégalités sociales. Mais s’ils
avaient vocation à accueillir des dizaines, voire des centaines de corps, ce
qui était apparemment le cas à la fin du Néolithique, alors cette fois-ci, il
faut imaginer qu’ils avaient un rôle de cohésion pour la communauté. Le
développement de pratiques funéraires de plus en plus complexes (dépôts rituels
avec parures ou vases) allait de pair avec l’ouverture plus ou moins régulière
du caveau pour placer les nouveaux défunts, qui étaient autant d’occasion de
cérémonies réunissant les membres de la communauté. Les vivants rendaient
visite aux morts.
L’érection des mégalithes
impliquait aussi de mobiliser des groupes pour le transport des pierres et leur
érection, la construction du tertre, ce qui implique une hiérarchisation de la
communauté. Les monuments étaient faits pour l’élite mais pas par elle, il
devait donc exister un certain contrôle social, des moyens de coercition ou
plutôt un système de croyances qui faisait que la foule des humbles acceptait une
telle débauche d’énergie en échange probablement de promesses de récoltes
abondantes et/ou de protection.
Pour conclure, il faut reconnaître que, malgré les
hypothèses précédentes et les avancées de la recherche, une large part de
l’explication de ces monuments restera à jamais inconnue. Il n’y a pas
d’écrit et le système de croyances auquel les mégalithes étaient rattachés a
complètement disparu, ce qui ne veut pas dire que ces monuments doivent
connaître le même sort, c'est un patrimoine à préserver et mettre en valeur.
Julien Bachelier
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