lundi 20 février 2012

Fougères et la Normandie au Moyen Age

Fougères et la Normandie au Moyen Âge     (début XIe – milieu du XIVe siècle)




Fougères se situe en situation frontalière, en Marche, comme on aurait pu le dire durant le Moyen Âge. Mais derrière le mot de Marche se devinent les idées de guerres, de conflits, de violences... Alors certes le pays de Fougères se situe dans cette zone particulière qu’est la région frontalière, mais on ne peut résumer son histoire à celle d’un avant-poste breton contre le voisin normand.



 La forteresse de Fougères, gravure de Bachelot de La  Pylaie. Archives municipales de Fougères.

Fougères : un château et un lignage breton ?

La vision « martiale » a été développée par Arthur Le Moyne de La Borderie dans sa célèbre Histoire de Bretagne. L’historien vitréen écrivit au début du XXe siècle, qu’au tournant de l’an Mil, « la première nécessité était de créer à l’Est, du côté de la France, contre les attaques de la Normandie, du Maine, de l’Anjou, du Poitou, une solide frontière . » L’importance de la zone frontalière était telle pour l’affirmation et la sûreté de l’État breton qu’il fallait qu’elle soit confiée « à des hommes d’un dévouement à toute épreuve pour la cause de la Bretagne. (...) [Il fallait] des hommes de pur sang breton venus directement de la Bretagne bretonnante  ». Dans ce cadre, le secteur nord-est aurait été confié à un dénommé Main, parfois orthographié Méen, afin de renforcer son caractère breton.
Force est d’admettre que les voisins normands n’hésitèrent pas à traverser à plusieurs reprises les cours d’eau frontaliers pour mener des raids en Bretagne. Ainsi parmi leurs attaques qui ont laissé des traces connaissons-nous celles de 936, 944, 996, 1014, 1064, 1076, 1086, 1166, 1173, 1204... Mais on doit aussi reconnaître qu’il n’y a pas de fréquence plus intense vers l’an Mil qu’à d’autres périodes. Dès lors le château de Fougères ne doit pas sa construction uniquement dans un but de défense de la frontière bretonne. De plus, la finalité d’un château n’était pas exclusivement militaire, bien au contraire. Il devait permettre de dominer un territoire et d’ancrer un lignage en un lieu particulier.
Et justement ce lignage était-il constitué d’ « hommes de pur sang breton » ? Le premier ancêtre mentionné de la famille de Fougères, Main Ier (v. 1000) reste inconnu, de même que son fils, Alfred (v. 1008-1030). Tout au plus savons nous qu’ils gravitaient dans l’entourage ducal breton et qu’ils possédaient des domaines et des droits dans le nord-est du Rennais, particulièrement autour de Louvigné-du-Désert. Le premier seigneur à être qualifié « de Fougères » fut donc Main II au cours de la décennie 1040. Il était marié à Adélaïde, probable fille du comte Eudes, lui-même fils de Geoffroy, duc de Bretagne et d’Havoise, fille de Richard Ier et sœur de Richard II, ducs de Normandie. Ainsi donc, les enfants de Main II et d’Adélaïde avaient des ascendants normands ! Le « pur sang breton » relève des mythes historiographiques.
Le lignage de Fougères se sentait-il au moins breton ?
Là aussi, aucune certitude, il savait où était le cœur de ses domaines, mais de là à en faire des ardents défenseurs de la cause bretonne il y a un pas difficile à franchir. En effet, dès le milieu du XIe siècle, Main II reçut de Guillaume de Normandie, bientôt surnommé le Conquérant, des terres de l’autre côté du Couesnon. Main II était vassal du duc normand pour la terre de Savigny-le-Vieux, dans le sud de la Manche. On sait également que les seigneurs de Fougères, notamment Raoul Ier (v. 1060 – apr. 1113), obtinrent des terres en Angleterre avant 1085. Raoul Ier paraît avoir été trop jeune pour participer à la bataille d’Hastings (14 octobre 1066), ce qui n’exclut pas la participation d’autres membres du lignage.

Fougères en Normandie

On constate que la famille de Fougères a très tôt tissé des liens avec le voisin normand qui n’était pas vu comme une menace. D’ailleurs, Raoul Ier épousa Avicie, fille de Richard, seigneur d’Orbec et de Bienfait.
Au cours du XIIe siècle, la documentation permet de mieux cerner les possessions normandes du lignage de Fougères. Un premier ensemble se situait dans l’Avranchin avec Hudimesnil, Chavoy, Bouillon (paroisse disparue en Jullouville), Verdun (lieu-dit en Saint-Quentin-sur-le-Homme), les Courtils, Carnet, Moidrey (lieu-dit en Pontorson) et Brécey. Le deuxième ensemble de terres et de droits se concentrait dans le Mortainais avec Martigny, le Val de Mortain, Virey, Lapenty, les Loges-Marchis, Villechien, Moulines, Romagny, Savigny-le-Vieux, Le Teilleul et La Mancellière-sur-Vire.


Carte des possessions normandes du lignage de Fougères (XIè-XIIè siècles)

L’abbaye de Savigny symbolise a elle seule les liens entre la famille de Fougères et la Normandie. Elle a été officiellement fondée en 1113 dans la forêt de Savigny, celle-ci servait depuis quelques années de refuge à Vital de Mortain, célèbre ermite de l’Ouest français. Raoul Ier devait l’avoir autorisé à y vivre depuis quelques temps, il officialisa cette permission en 1113 avec l’accord du duc-roi anglo-normand Henri Ier Beauclerc et de l’évêque d’Avranches. Savigny reçut de nombreux dons de la part des seigneurs de Fougères, qui choisirent d’y être inhumés. Les gisants conservant leur mémoire dans la pierre.



L'abbaye de Savigny fut fondée en 1113, il n'en reste plus aujourd'hui que quelques ruines romantiques.( cliché  JPG )



Des temps difficiles

Mais à partir des années 1160, le voisin normand se montra moins conciliant. Le duc était alors Henri II Plantagenêt. Il contrôlait la Normandie, l’Anjou, le Maine et la Touraine et, en 1152, il épousa Aliénor d’Aquitaine, répudiée par Louis VII, roi de France. Ses possessions s’étendaient de l’Écosse aux Pyrénées, excepté la Bretagne qu’il ne chercha pas à envahir mais à contrôler. Les circonstances firent qu’il intervint... La seigneurie de Fougères et son seigneur, Raoul II (1150-1194), furent en première ligne.
Ce dernier participa à une révolte en 1163, trois ans plus tard Henri II Plantagenêt se déplaça en personne pour mâter la rébellion. Le 28 juin 1166, il se trouvait sur les hauteurs de Fougères et dès le 14 juillet le château fut pris. L’abbé du Mont-Saint-Michel, Robert de Torigni, présent, nota lapidairement que le château « fut assiégé, pris et détruit de fond en comble ». Plus qu’une improbable tour dont d’aucuns ont cru reconnaître la trace dans la troisième enceinte, ce fut plus vraisemblablement la résidence (aula) de Raoul qui fut rasée. En 1173, ce dernier se révolta une nouvelle fois et subit le même affront, à ceci près que la bataille se déroula à Dol. En 1189, le seigneur de Fougères participa à une énième insurrection contre le vieux roi Henri II, qui mourut alors. La situation frontalière alla en s’apaisant, malgré les menaces que fit peser Jean sans Terre après la perte du duché normand en 1204.



Cette aula (salle de réception ) date du XII ème siècle : est-ce celle qui fut rasée en 1166?
 ( cliché J. Bachelier )


Une frontière franchissable à souhait

Mais durant toute cette période troublée, les relations en Fougères et la Normandie se poursuivirent. Des Normands s’installèrent, nous en avons la trace dès le milieu du XIIe siècle avec l’orfèvre Robert de Quettehou, puis en 1348 parmi une liste de bourgeois fougerais sont cités Gilot Normant, Michel Lenormant et Richard le Normant.
Les marchands et les commerçants traversaient une frontière qui n’en était pas vraiment une, ils fréquentaient les foires normandes de Mortain, Tinchebray, Saint-Hilaire, Buais, et peut-être jusqu’à Saint-Pois, Gathemo, Le Teilleul et du côté breton ils pouvaient se rendre à celles de Fougères, Louvigné-du-Désert, Valaines (au Ferré), Saint-Georges-de-Reintembault et Antrain. Thomas de Ferrière, bourgeois de Fougères, symbolise ces échanges. En 1293, il acheta avec un associé une maison dans le bourg de Rillé, il vendait des vins gascons et angevins, et à Saint-James-de-Beuvron, Thomas pouvait commercer en toute liberté car il y « jouissait de toutes franchises », c’est-à-dire que son statut privilégié lui permettait de ne pas payer certaines taxes.
Les pèlerins aussi franchissaient cette frontière décidément poreuse. En effet, le Livre des Miracles de Savigny garde le souvenir de Mathilde, veuve de Pierre Rouaut, atteinte d’une très forte fièvre. Craignant le pire, elle se confessa et reçut le viatique des mains des Frères Mineurs. Son fils, Hasculf pria les saints de Savigny. Or, le hasard de la conservation des documents nous permet de retrouver Mathilde, qui a non seulement survécu mais a ensuite remercié l’abbaye. En effet, en 1246, elle donna aux saints de Savigny et à l’abbaye une rente de quatre sous à prendre sur un champ au Ferré, où il existe un lieu-dit La Rouaudière.

Conclusion

On est donc loin d’une situation guerrière. Certes, on ne peut exclure les moments de tensions et de violences, particulièrement la seconde moitié du XIIe siècle. Mais cette histoire-bataille ou « agitation de surface », selon l’expression de Fernand Braudel, masque l’histoire économique et sociale, « vagues de fond » plus discrètes dans les sources, mais ô combien importantes pour les hommes et les femmes de l’époque. Les seigneurs de Fougères et leurs chevaliers ne cessèrent de réaliser des dons en faveur de Savigny, les moines continuèrent de parcourir les terres en situation de Marche, les marchands fréquentaient les assemblées commerciales normandes et bretonnes, les pèlerins sillonnèrent les routes menant d’un duché à l’autre. Les échanges furent plus souvent pacifiques que violents. La ville de Fougères fut dès le Moyen Âge central influencée par la Normandie.

                                                                                             Julien Bachelier

Bibliographie sommaire :
Julien Bachelier, « Réseau vassalique et réseaux de peuplement : une même géographie féodale ? L’exemple du Fougerais (v. 1160-1180) », dans Bulletin et Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie du Pays de Fougères, 2010, t. 48, p. 1-74.

Julien Bachelier, « Une histoire en Marche : Fougères et la Normandie au Moyen Âge (début XIe – milieu du XIVe siècle) », dans Revue de l’Avranchin et du Pays de Granville, , t. 88, 2011, p. 423-529.

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